Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Refermés - Page 16

  • Approches de Venise, Venise assiégée

    (...) le vice-roi, qui n'avait pas d'autres possibilités de nourrir son armée que le pillage, changea d’avis, rassembla ses fantassins allemands et se rendit à Montagnana et à Este ; puis il alla au village de Bovolenta que ses soldats brûlèrent, avec toutes les magnifiques villas qui se trouvaient dans les environs, après s’être emparés de nombreuses têtes de bétail. De Bovolenta, poussé par la convoitise du butin, et encouragé parce que les fantassins des Vénitiens étaient répartis entre Padoue et Trévise qu’ils gardaient, le vice-roi (…) décida de s’approcher de Venise. C’est pourquoi ils franchirent le Bacchiglione, pillèrent Pieve di Sacco – bourg riche et populeux –, allèrent à Mestre et, de là, poussèrent jusqu’à Marghera, sise sur les eaux amères : là, afin de rendre plus illustre la mémoire de leur expédition, ils firent tirer dix grosses pièces d’artillerie sur Venise, et les boulets atteignirent le monastère de l’église [de San] Secondo.

    (…) Mais à Venise, d’où les habitants voyaient tout le pays fumer le jour et brûler la nuit, à cause des incendies de leurs villages et de leurs villas et où ils entendaient, à l’intérieur de leurs propres demeures et maisons, le tonnerre de l’artillerie ennemie, qui n’avait été mise en batterie que pour montrer plus clairement leur déshonneur, les esprits de tous les hommes étaient bouleversés par la douleur et une grande indignation, car il semblait à chacun démesurément âpre de voir un tel changement de fortune (…)

    (Guichardin, Histoire d’Italie – trad. JL Fournel et JC Zancarini)

  • Jules II au siège de La Mirandola

    L’année 1510 se conclut sur cet état de choses. Mais au début de l’année nouvelle se produisit une chose inattendue, digne de rester dans les mémoires et jamais vue dans tous les siècles passés. En effet, comme il semblait au pape que le siège de la Mirandola traînait en longueur et qu’il attribuait en partie à l’impéritie des capitaines et en partie à leur déloyauté, en particulier à celle de son neveu, ce qui, en fait, découlait davantage de multiples difficultés, il décida de hâter les choses par sa présence : il faisait passer son impétuosité et l’ardeur de sa nature avant toute autre considération et n’était pas davantage retenu par la majesté de sa charge qui rendait si indigne qu’un pontife romain allât en personne aux armées pour attaquer des villes tenues par des chrétiens (…)

    Il partit de Bologne le deuxième jour de janvier, accompagné par trois cardinaux ; arrivé au camp, il logea dans la petite maison d’un paysan, exposée au feu de l’artillerie ennemie, car elle n’était pas à plus de deux arbalétrées des remparts de la Mirandola. Là prenant de la peinte et mettant à l’épreuve son corps aussi bien que son esprit et son autorité, il était sans cesse à cheval et parcourrait le camp en tout sens, pressant ses soldats de finir d’installer l’artillerie (…)

    (…) le pape, pendant qu’on pourvoyait à cela, alla à Concordia (…) Il resta à Concordia peu de jours, car la même ardeur et la même impatience le ramenèrent vers l’armée, ardeur que ne refroidit point en chemin la neige très abondante qui tombait pourtant du ciel, ni le froid rigoureux que les soldats pouvaient à peine supporter ; logé dans une petite église proche de ses batteries et plus près des remparts que son précédent logis (…) C’était certainement chose remarquable et très nouvelle aux yeux des hommes que de voir le roi de France, prince séculier, encore jeune, et d’une constitution alors très robuste, élevé depuis son plus jeune âge dans le métier des armes, se reposer en ses appartements et laisser à ses capitaines le soin de conduire une guerre qui était, avant tout, dirigée contre lui. Tandis qu’en face, on pouvait voir le souverain pontife, vicaire du Christ sur la terre, vieux, malade, élevé au milieu des plaisirs et des commodités, se rendre à cette guerre contre des chrétiens, qu’il avait lui-même provoquée, et mener lui-même le siège d’une ville obscure : là, s’exposant, tel le capitaine d’une armée, aux peines et aux dangers, il ne gardait que l’habit et le nom de pape. (…)

    (…) le pape ne négligeait rien pour obtenir la victoire, et il brûlait d’une fureur d’autant plus grande qu’un coup de canon, tiré par les assiégés, avait tué deux de ses soldats dans sa propre cuisine. Ayant quitté ce logis, à cause du danger, il y retourna le lendemain, poussé par sa nature indomptable ; (…)

    (Enfin la place capitule, et le pape) s’étant fait hisser sur les remparts, parce que les portes étaient effondrées, (…) descendit dans la ville.

    (Guichardin, Histoire d'Italie - trad. JP Sbriglio).

  • Tristan et les Borgia

    A présent Tristan pilotait et il faisait beau temps. Et du fait que la chaleur était oppressante, il eut très soif et demanda alors du vin à boire. Un des pages de Tristan bondit aussitôt et remplit une coupe au tonnelet que la reine avait placé sous la garde de Brangien. Lorsque Tristan eut pris la coupe, il en but la moitié et donna à boire à la jeune fille ce qui resta dans la coupe.
    Ils furent tous deux abusés par le breuvage qu'ils avaient bu parce que le garçon en avait pris par erreur ; celui-ci fut la cause d'une vie remplie de peines, de souffrances et de longs tourments, ainsi que d'appétits charnels et de désirs perpétuels. Immédiatement le coeur de Tristan se porta vers Yseult, et tout son coeur à elle se porta vers lui, en un amour si violent qu'ils n'avaient aucun moyen de s'y opposer.
    (La saga de Tristan et Yseult - trad. D Lacroix et P Walter)

    Mais voilà qu'au comble de leurs plus grandes espérances (tant sont vaines et trompeuses les pensées des hommes) le pape, alors qu'il était allé dîner dans une vigne proche du Vatican pour échapper aux grandes chaleurs, est soudainement transporté au palais pontifical et donné pour mort, et qu'aussitôt après on amène et on donne pour mort son fils. (...) On a toujours cru que l'origine de cet événement était le poison ; et, selon la version la plus commune, on raconte ainsi le déroulement de l'affaire : le Valentinois [César Borgia], qui devait se rendre au même repas, avait décidé d'empoisonner Adriano, cardinal de Corneto, dans la vigne duquel ils devaient dîner (...) ; on raconte donc que le Valentinois avait envoyé à l'avance certaines fiasques de vin empoisonné et les avait fait remettre à un domestique qui n'était pas au fait de la chose, avec consigne de ne les donner à personne ; mais le pape survint par hasard à l'heure du dîner, et, accablé par la soif et les chaleurs excessives, demanda qu'on leur donnât à boire : comme les provisions pour le dîner n'étaient pas encore arrivées du palais, ce domestique, qui croyait qu'on le réservait parce que c'était du vin de très grand prix, lui donna à boire de ce vin qu'avait envoyé à l'avance le Valentinois ; celui-ci, arrivant alors que le pape buvait, se mit aussitôt à boire du même vin.
    (Guichardin, Histoire d'Italie - trad. P Abruggiati).

  • Face et profil

    « Que l'on considère le Dessinateur faisant un portrait, la Cène de 1523 ou les deux Portements de Croix de 1520, on retrouve toujours une même  importance accordée aux deux "vues fondamentales" : la face et le profil. Souvent se rencontrent de bizarres combinaisons des deux, tels, par exemple, la figure d'un spectateur qui nous tourne le dos, mais dont le visage et l'une des jambes se montrent de profil, ou le saint Pierre de la Cène, dont le visage est de profil et le corps tout à fait de face ; quant au cinquième apôtre à partir de la gauche, dans la même gravure sur bois, sa pose est si crispée et si schématisée en même temps qu'on a parfois pris son épaule droite pour un coussin. Les exemples les plus significatifs s'observent dans la belle Déposition de Croix, où une vierge Marie de profil contraste avec une Marie-Madeleine de face ; et d'où l'un des porteurs marche parallèlement au plan de l'image, avec le corps et la jambe droite de profil, tandis que son pied gauche et son visage se présentent carrément de face ; et où le porteur de gauche, qui marche à reculons, tourne la tête de profil vers la gauche tandis que ses pieds pointent vers la droite. »

    (Panofsky, la Vie et l'Art d'Albrecht Dürer)

    (On rêverait d'en apprendre plus sur cette étrange manière "des figures de face ou de profil", dont le chef-d'oeuvre serait la fameuse Visitation de Pontormo à Carmignano).

  • Gloire japonaise

    « Aucun de mes collègues n'a conquis le laurier de poète à un âge aussi jeune que moi, et si mon compatriote Wolfgang Goethe chante avec complaisance "que le Chinois, d'une main tremblante, peint sur verre Werther et Charlotte", je puis de mon côté, pour continuer sur la même gamme ethnographique, opposer à cette réputation chinoise une réputation plus fabuleuse encore, c'est-à-dire une réputation japonaise. [Un Hollandais retour du Japon, où il avait passé trente ans] me raconta qu'il avait appris l'allemand à un jeune Japonais qui, plus tard, avait fait imprimer une traduction japonaise de mes poésies, et que ç'avait été le premier livre européen qui eût paru dans la langue du Japon. – Le brave Néerlandais ajoutait que je  trouverais du reste sur cette curieuse traduction un long article dans la Revue anglaise de Calcutta. J'envoyai aussitôt dans plusieurs cabinets de lecture, mais aucune des savantes directrices de ces établissements ne put me procurer la Revue de Calcutta, et je me suis adressé non moins vainement à M. Julien et à M. Paultier, ces antagonistes érudits qui ont enrichi la science de deux grandes découvertes : M. Julien, le fameux sinologue, a découvert que M. Paultier ne sait pas le chinois, tandis que M. Pauthier, grand indianiste, a découvert que M. Julien ne sait pas le sanscrit; ils ont publié beaucoup de livres sur ce sujet à la fois très important et très intéressant pour le public.

    Depuis lors je n'ai pas pas fait d'autres recherches sur ma gloire japonaise. »

    (Heine, De l'Allemagne).

  • Lèpre

    « Un soir, dans sa maison, prenant le café après le dîner, je me trouvais à côté de [Hegel] dans l'embrasure d'une fenêtre, et moi, jeune homme de vingt ans, je regardais avec extase le ciel étoilé, et j'appelais les astres le séjour des bienheureux. Le maître grommela en lui-même : "les étoiles, hum ! hum ! les étoiles ne sont qu'une lèpre luisante sur la face du ciel." – "Au nom de Dieu ! m'écriai-je,  il n'y a donc pas là-haut un lieu de béatitude  pour récompenser la vertu  après la mort ?" Mais Hegel, me regardant fixement de ses yeux blêmes, me dit d'un ton sec : "Vous réclamez donc à la fin encore un bon pourboire pour avoir soigné madame votre mère pendant sa maladie ou pour n'avoir pas empoisonné  monsieur votre frère ?"  »

    (Heine, De l'Allemagne)

  • Joueurs de violon

    « Le joueur de violon Solomons, qui donnait des leçons au roi d'Angleterre George III, disait un jour à son illustre écolier : "Les joueurs de violon peuvent se diviser en trois classes. A la première appartiennent ceux qui ne savent pas jouer du tout ; à la seconde, ceux qui jouent mal ; et à la troisième ceux qui jouent bien. Votre Majesté s'est déjà élevée jusqu'à la seconde classe."  »

    (Heine, De l'Allemagne.)