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Refermés - Page 19

  • Le nom des conspirateurs

    Agnolo Acciaiuoli, archevêque de Florence, avait beaucoup prôné auparavant les actions du duc, et lui avait concilié la faveur populaire ; mais lorsqu'il le vit maître de cette ville et qu'il connut ses manières tyranniques, il crut avoir trompé sa patrie et ne pouvoir réparer sa faute qu'en employant à guérir cette blessure la main qui l'avait faite. Il se mit à la tête de la première et de la plus grande conjuration, dans laquelle étaient entrés les Bardi, les Rossi, les Frescobaldi, les Scali, les Altoviti, les Magalotti, les Strozzi et les Mancini. Les principaux agents de l'une des deux autres étaient Manno et Corso Donati, et avec eux les Pazzi, les Cavicciulli, les Cerchi et les Albizzi. Les plus importants de la troisième étaient Antonio Adimari, Medici, Bordoni, Ruccellai et Aldobrandi.

    (...)
    Il ne fallut guère de temps que les trois conjurations s'entre-découvrissent : on convint de provoquer une émeute dans le Vieux Marché, dès le lendemain, qui était le 26 juillet 1343, et aussitôt de s'armer et d'appeler le peuple à la liberté. 

    (Machiavel, Histoires florentines -- trad. T Guiraudet et E Barincou)

  • Exorcismes

    Apparitions, mauvais présages, météores prodigieux, sorcières et revenants : l’auteur de la saga de Snorri montre un goût prononcé pour le fantastique. Mais ces phénomènes ne sont pas pour lui l’occasion de hausser le ton : les événements surviennent et sont décrits avec le même flegme narratif, la même neutralité, que les nombreuses scènes de combat ou que les recensions d’itinéraires ou de généalogies.  Hommes et spectres sont de plain-pied au point que, pour conclure la grande affaire de sorcellerie qui frappe la famille de Kjartan, les hommes se débarrassent des revenants en leur intentant un procès, selon toutes les formes requises.

    Ou encore cette autre sorte d'exorcisme : 

    Ce même soir à Froda, après que Thoroddr eut quitté la maison, on fit des feux et quand les gens se furent assis, ils virent une tête de phoque monter de la fosse à feu. Ce fut une servante qui s'assit la première et qui vit cette merveille. Elle prit un gourdin qui se trouvait à la porte et frappa le phoque à la tête. Il se dressa sous le coup (...). Alors, un domestique alla rosser le phoque, mais celui-ci se redressa à chaque coup jusqu'à ce qu'il tînt droit sur la nageoire caudale. Alors, le domestique tomba évanoui. (...) Alors le garçon Kjartan bondit, ramassa un gros frappe-devant et tapa sur la tête du phoque. C'était un fameux coup, mais le phoque secoua la tête et regarda alentour. Kjartan donna coup sur coup, et le phoque redescendit alors, comme si l'on enfonçait un clou. Il le frappa jusqu'à ce que le phoque fût descendu si bas qu'il tapait en même temps sur le sol et sur sa tête.

     

  • Attendrissement

    (…) dès que Thuridr arriva à Froda (auprès son mari, Thoroddr), Björn, fils d’Asbrandr, prit l’habitude d’y venir, et tout le monde disait qu’il avait séduit Thuridr.

    Les intrigues sentimentales ne sont pas absentes des sagas islandaises mais ne dessinent en général qu’un motif secondaire dans la trame du récit. La Saga de Snorri le Godi obéit  à la norme ; certes les "amours" de Björn et Thuridr courent tout au long de l’œuvre mais, mis bout à bout, les passages qui s’y rattachent tiendraient en quelques pages (et moins encore si on laisse de côté la description de combats où s’affrontent le mari offensé et le séducteur, ou leurs partisans.)

    (Après un combat interrompu avec Thoroddr Björn est condamné à l’exil). Björn fut banni pour trois hivers : il s’en alla l’été même. Et ce même été, Thruridr donna le jour, à Froda, à un garçon qui fut nommé Kjartan. Il grandit à la maison, à Froda, et fut de bonne heure grand et prometteur.

    (Quelques années plus tard, à son retour en Islande, Björn se rend à un grand rassemblement). Thuridr la maîtresse de Froda s’y trouvait. Björn entra en conversation avec elle et personne ne s’en étonna. On pensait qu’il fallait s’attendre à ce qu’ils aient beaucoup à se dire, tant leur séparation avait été longue. Pendant la journée, il y eut des hommes qui se battirent. Un homme du nord [de l’île] y fut blessé à mort. On le transporta sous un buisson qui se trouvait sur le banc de sable. Sa blessure saignait abondamment, et il y eut une mare de sang sous le buisson. Le garçon Kjartan, le fils de Thuridr de Froda, se trouvait là. Il avait une petite hache à la main. Il courut au buisson et trempa sa hache dans le sang.

    (Sur le chemin du retour, Björn s’attendrit : J’ai vu le garçon / Tout à fait mon portrait).

  • Comme c'était la mode

    Ce même automne, les fils de Thorbrandr dirent à Egill, leur esclave, que s'il voulait sa liberté, il fallait qu'il aille au jeu de balle, tuer quelqu'un des gens de Breidavik, Björn, Thordr ou Arnbjörn, d'une manière ou d'une autre.

    (On conseille à Egill d'attendre le soir et la fumée des feux pour se glisser dans la halle et, sans se faire voir, frapper sa victime. L'esclave obéit, se rend sur les lieux où sont rassemblés les adversaires, se cache toute la journée puis approche quand l'obscurité se fait.)

    Les feux se mirent à brûler fort et la halle s'emplit de fumée. Egill s'y rendit. Il s'était fort ankylosé dans la passe. Il avait des lacets de chaussures à glands, comme c'était la mode. L'un de ses lacets s'était dénoué et le gland traînait.
    L'esclave entra dans le vestibule. Quand il pénétra dans la salle commune, il voulut avancer sans bruit parce qu'il vit que Björn et Thordr étaient assis près du feu. Egill entendait s'affranchir pour toute sa vie dans un petit moment.  Mais quand il voulut passer le seuil, il marcha sur le gland du lacet qui traînait ; et quand il voulut lever l'autre pied, le gland fut pris, le fit trébucher et il tomba vers l'intérieur sur le plancher. Il y eut un vacarme aussi grand que si un quartier de boeuf écorché avait été jeté sur le plancher.

    (La comparaison donne une indication du sort qui attend Egill, en guise d'affranchissement).

    (Saga de Snorri le Godi, trad. R Boyer)

  • Quinze cadeaux

    Repris de , mais, comme Noël approche, je change un peu la contrainte, en donnant quinze auteurs dont j’ai offert les livres :

    Coetzee : Boyhood, Youth
    Conrad : A Personal record, The Mirror of the sea
    De Lillo : Libra
    Hasek : Chveik
    James : Aspern
    Kubin : L'Autre Côté
    Laxness : Gens indépendants
    Levi : La Trêve
    Machado de Assis : Dom Casmurro
    Michaux : Ecuador
    Nabokov : La Méprise
    Ossendowski : Hommes, Bêtes et Dieux
    Perutz : Le Cavalier suédois, Le Maître du Jugement Dernier
    Roth : American Pastoral
    Wayley (d'après Wu Cheng'en) : Le Singe Pèlerin

    Enchaîne qui  veut.

  • Alphabet planétaire

    (Sur Terre, quelles nouvelles espérer des explorateurs lunaires dont on croit qu'ils sont parvenus à leur but ?)
     

    — Pardon, mon lieutenant, dit le midshipman, mais le président Barbicane ne peut-il écrire?"
    Un éclat de rire accueillit cette réponse.
    "Non pas des lettres, reprit vivement le jeune homme. L’administration des postes n’a rien à voir ici.
    — Serait-ce donc l’administration des lignes télégraphiques? demanda ironiquement un des officiers.
    — Pas davantage, répondit le midshipman qui ne se démontait pas. Mais il est très facile d’établir une communication graphique avec la Terre.
    — Et comment?
    — Au moyen du télescope de Long’s peak. Vous savez qu’il ramène la Lune à deux lieues seulement des montagnes Rocheuses, et qu’il permet de voir, à sa surface, les objets ayant neuf pieds de diamètre. Eh bien, que nos industrieux amis construisent un alphabet gigantesque! qu’ils écrivent des mots longs de cent toises et des phrases longues d’une lieue, et ils pourront ainsi nous envoyer de leurs nouvelles!»

    (Verne — Autour de la Lune).

    (Ici encore, sans aucun doute, une allusion à Pym, à ses écritures telluriques, visibles seulement de l'espace... peut-être aussi à un épisode, que je ne me rappelle pas, de Robinson Crusoe
    Mais je ne résiste pas au plaisir de citer à nouveau, dans cet ordre d'idée, un passage de In the Heart of the Country de Coetzee. Magda, la vieille fille parricide, qui se retrouve isolée dans la ferme familiale voit des engins volants passer au-dessus d'elle:)

    251. The stones. When first the machines began to fly overhead and speak to me I was eager to speak back. I would stand on the head of a rock behind the house dressed for preference in white, in my patched old white nightdress, and signal with my arms and call out for responses, first in English, then later, when I began to see I was not understood, in Spanish. 'ES MI,' I shouted, 'VENE' in a Spanish which I had to invent from first principles, by introspecting, as I went along.

    .................

    255. The stones. Having failed to make my shouts heard (but am I sure they did not hear me? Perhaps they heard me but found me uninsteresting, or perhaps it is not their wont to acknowledge communications), I turned to writing. For a week, toiling from dawn to sunset, I trundled wheelbarrows full of stones across the veld until I had a pile of two hundred, smooth, round, the size of small pumpkins, in the space behind the house. These I painted, one by one, with whitewash left from the old days (like a good castaway I find a use for every odd and end, one day I must make a list of things I have not used and then, as an exercise, find uses for them). Forming the stones into letters twelve feet high I began to spell out messages to my saviours: CINRLA ES MI; and the next day: VENE AL TERRA; and: QUIERO UN AUTR; and again: SON ISOLADO.

     

  • Blanc

    "Blanc partout, Barbicane, blanc partout !"

    Le roman de Jules Verne, exception faite d'un épilogue, se termine à peu près sur ces mots ; et ce sont là les dernières paroles rapportées du toujours bavard Ardan et, pour ainsi dire, le dénouement du voyage lunaire. Il s'agit, assurément, d'un hommage que  l'écrivain rend à Poe et à son Narrative of Arthur Gordon Pym of Nantucket, rappelant la conclusion fameuse de celui-ci :

    But there arose in our pathway a shrouded human figure, very far larger in its proportions than any dweller among men. And the hue of the skin of the figure was of the perfect whiteness of the snow.

    (C'est alors une hypothèse, peut-être, à rajouter à la longue liste des élucidations proposées de la formidable figure poeesque :

    Barbican, Michel Ardan et Nicholl jouaient aux dominos.)