Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Le système Bette

Après bientôt trois ans, Lisbeth commençait à voir les progrès de la sape souterraine à laquelle elle consumait sa vie et dévouait son intelligence. Lisbeth pensait, Mme Marneffe agissait. Mme Marneffe était la hache, Lisbeth était la main qui la manie, et la main qui démolissait à coups pressés cette famille qui, de jour en jour, lui devenait plus odieuse, car on hait de plus en plus, comme on aime tous les jours davantage, quand on aime. L’amour et la haine sont des sentiments qui s’alimentent par eux-mêmes ; mais, des deux, la haine a la vie la plus longue. L’amour a pour bornes des forces limitées, il tient ses pouvoirs de la vie et de la prodigalité ; la haine ressemble à la mort, à l’avarice, elle est en quelque sorte une abstraction active, au-dessus des êtres et des choses. Lisbeth, entrée dans l’existence qui lui était propre, y déployait toutes ses facultés ; elle régnait à la manière des jésuites, en puissance occulte. Aussi la régénérescence de sa personne était-elle complète. Sa figure resplendissait. Lisbeth rêvait d’être Mme la maréchale Hulot.

 

Deux personnages-forces propulsent la Cousine Bette de Balzac : le premier animé, si l'on veut, par l'amour, le second par la haine ; d'un côté, le baron Hulot va irrésistiblement de maîtresse en maîtresse ; de l'autre, Lisbeth Fischer, le rôle titre, s’emploie à ruiner moralement et matériellement les Hulot sur qui elle veut asseoir sa domination. Les deux principes agissants du roman ne sont, à première vue, pas antagonistes : la cousine Bette profite du moteur Hulot qui brûle, comme combustible, la fortune, la position sociale et l’honneur de sa famille. Les dynamiques sont néanmoins différentes et une énergie l’emporte : Hulot mène une course inexorable qui ne s’arrête pas avec le roman ; Bette couve longtemps sous la cendre, croît peu à peu, passe par un maximum avant de diminuer et de s’éteindre (Lisbeth n’a pu triompher comme elle l’espérait en épousant le maréchal Hulot, frère aîné du baron ; disons qu’elle n’a pas su maîtriser le brasier Hulot dont les turpitudes finissent par détruire la position qu’elle espérait atteindre).

Deux personnages complètent le système d’oppositions et d’attractions à l’œuvre dans le roman. La baronne Hulot est l’objet de l’exécration cachée de Lisbeth. Epouse exemplaire et  bafouée, elle figure le pôle domestique que le baron fuit dans ses amours centrifuges mais qui le tient attaché, jusqu’à l’ultime libération, par une obscure force de rappel. Le perpétuel tressaillement nerveux qui afflige la baronne est ainsi comme le signe rentré des divagations de son mari et de ce lien qui les unit. — Mme Marneffe est l’instrument de la vengeance de Lisbeth et les deux femmes forment également une espèce de couple, peut-être lesbien. Elle représente le pendant femelle du type Hulot : si Hulot a n femmes successives (Jenny Cadine, Josépha, la Marneffe, la petite Bijou, Elodie Chardin, Atala Judici, Agathe Piquetard), Mme Marneffe à son apogée cumule cinq maris (M. Marneffe, le comte Wenceslas Steinbock, le Brésilien, le baron Hulot, le père Crevel), dont une bonne partie des mâles de la parentèle Hulot. — Mme Marneffe et la baronne Hulot, les deux puissances passives de l’intrigue, ne se rencontrent pas (Lisbeth et Hulot vont et viennent de l’une à l’autre). Une fois, cependant, elles échangent leur rôle, à distance et sans y réussir. La baronne entreprend une pitoyable tentative de séduction du père Crevel. Mme Marneffe épouse bourgeoisement ce même Crevel et elle en meurt, empoisonnée par un amant jaloux.

Les commentaires sont fermés.