– Savez-vous, mes amis, à quoi ressemble cette plaine vue de la hauteur où nous sommes ? dit Michel.
– Non, répondit Nicholl.
– Eh bien, avec tous ces morceaux de laves allongés comme des fuseaux, elle ressemble à un immense jeu de jonchets jetés pêle-mêle. Il ne manque qu’un crochet pour les retirer un à un.
– Sois donc sérieux ! dit Barbicane.
– Soyons sérieux, répliqua tranquillement Michel, et au lieu de jonchets, mettons des ossements. Cette plaine ne serait alors qu’un immense ossuaire sur lequel reposeraient les dépouilles mortelles de mille générations éteintes.
(Verne – Autour de la Lune).
Malgré la fantaisie, il y a quelque chose de funèbre dans ce voyage extraordinaire vers la Lune… Un silence sinistre sur un point crucial : tout au long des préparatifs de l'opération, après qu’il a été décidé que le projectile emporterait des passagers, jamais il n’est question de retour… Il faudra attendre bien longtemps après le départ pour que l’hypothèse soit envisagée (et puis réalisée, par accident). Non : dans le plan initial, il n’est question que de rejoindre la Lune et les précautions prises ne visent qu’à garantir les chances de l’atteindre. Le mouvement prévu est un envol sans retombée : Michel Ardan, venu de l'Orient, survient sur le chantier de la Columbiad, interrompt la rivalité mortelle entre Barbicane et Nicholl, et, psychopompe, les enrôle dans son ascension…
(Ne parlons pas du chien mort dont le cadavre, expulsé de l’aéronef, reste fixé sur la même trajectoire que lui, l'escortant à travers l'espace, memento mori déterminé par les lois de la mécanique).