- Enfant ! vous êtes à l'entrée de la vie, reprit-elle en saisissant la main d'Eugène (de Rastignac), vous trouvez une barrière insurmontable pour beaucoup de gens, une main de femme vous l'ouvre, et vous reculez ! Mais vous réussirez, vous ferez une brillante fortune, le succès est écrit sur votre beau front.
Ici un jeune homme ne devient riche que grâce à sa maîtresse ou par un mariage. Vautrin offre à Rastignac de réussir par la seconde voie. Pour cela il suffit que l'étudiant réponde à l’amour de la pauvre demoiselle Taillefer, obscure et sans dot. Un complice tuera en duel le frère unique de la jeune fille. Alors, le père se réconciliera avec la fille qu’il a reniée et celle-ci deviendra un parti considérable.
Rastignac n’accepte pas la proposition mais il fait tout de même un brin de cour à mademoiselle Taillefer. Cependant :
- L'affaire est faite, dit Vautrin à Eugène. Nos deux dandies se sont piochés. Tout s'est passé convenablement. Affaire d'opinion. Notre pigeon a insulté mon faucon. A demain, dans la redoute de Clignancourt. A huit heures et demie, mademoiselle Taillefer héritera de l'amour et de la fortune de son père, pendant qu'elle sera là tranquillement à tremper ses mouillettes de pain beurré dans son café. N'est-ce pas drôle à se dire ? Ce petit Taillefer est très-fort à l'épée, il est confiant comme un brelan carré ; mais il sera saigné par un coup que j'ai inventé, une manière de relever l'épée et de vous piquer le front. Je vous montrerai cette botte-là, car elle est furieusement utile.
Comme Rastignac veut avertir la victime, Vautrin lui verse un somnifère.
En plaçant la tête de l'étudiant sur la chaise, pour qu'il pût dormir commodément, il le baisa chaleureusement au front, en chantant :
Dormez, mes chères amours !
Pour vous je veillerai toujours.
(Balzac – Le Père Goriot).