Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Refermés - Page 30

  • Sphactérie

    En route pour Corcyre, contrainte par la tempête, la flotte athénienne fait halte dans le port de Pylos, dans une portion déserte du territoire spartiate. Retenus par les hasards du mauvais temps, presque malgré l'avis de leurs chefs, les soldats fortifient avec des moyens de fortune l'espèce de bastion naturel.
    Ils n'avaient pas d'outils de fer pour tailler les pierres et ils allaient les ramasser une à une pour les poser là où elles trouvaient le mieux leur place. Ils n'avaient pas non plus d'auges et, quand il fallait du mortier quelque part, ils le transportaient sur leur dos, penchés en avant de façon à soutenir au mieux leur fardeau. Avec leurs mains croisées par derrière, ils l'empêchaient de glisser à terre.
    Les Lacédémoniens alertés accourent, par terre et par mer, et tentent en vain de déloger les envahisseurs retranchés derrière leurs ouvrages. Une île jouxte Pylos et ferme sa rade : Sphactérie était "tout entière boisée et dépourvue de chemins frayés, car personne n'y habitait". Pour prévenir un débarquement supplémentaire, les Lacédémoniens décident d'y installer des hoplites.

    Mais, peu après, une flotte de renfort arrive d'Athènes et détruit les navires lacédémoniens. La troupe débarquée se trouve prise au piège de l'île dont les navires ennemis interdisent l'abord.

    Voilà que la guerre subit une formidable réduction : le sort des armes ne se jouent plus sur un théâtre qui embrasse toutes les terres grecques de la Sicile à la Thrace mais sur un ilet désert au large d'une côte infréquentée. Les batailles et les massacres précédents pèsent peu contre le sort des cent vingt Spartiates séquestrés. Aussitôt Sparte sollicite une trêve. Dans le temps qu'elle dure puis, ensuite, jusqu'à ce qu'Athènes lance l'assaut sur Sphactérie, la grande affaire des Spartiates est d'assurer le ravitaillement de leurs compatriotes.

    Selon les conditions d'armistice : Chaque homme recevrait comme ration deux chénices attiques d'orge, deux cotyles de vin et de viande. Le ravitaillement leur serait envoyé sous le contrôle des Athéniens et aucun bateau ne devrait aborder dans l'île sans qu'ils en fussent informés. Puis, après la rupture de la trêve, une contrebande s'instaure entre le continent et l'île : Partant de différents points de la côte péloponnésienne, (les passeurs) abordaient la nuit dans l'île, du côté du large. (...) Il y eut aussi des plongeurs qui traversèrent la rade en nageant sous l'eau. Ils traînaient après eux des outres contenant des graines de pavot trempant dans du miel ou des graines de lin pilées.

    (Pitance d'oiselets pour les soldats d'élite pris dans la nasse.)

  • Les deux trières

    Le stratège athénien Pachès s'est emparé de la ville de Mytilène, sur l'île de Lesbos, qui s'était révoltée contre Athènes. Il occupe la cité et envoie à Athènes les principaux citoyens qui lui paraissent avoir contribué à la révolte. Les prisonniers mytiléniens arrivent à destination :
    Dans un mouvement de colère, (les Athéniens) décidèrent de faire périr non seulement les hommes qui se trouvaient là, mais encore tous les Mytiléniens adultes et de réduire en esclavage les femmes et les enfants. (...) Ils envoyèrent donc une trière auprès de Pachès pour l'informer des décisions prises et lui donner l'ordre de faire exécuter sans délai les Mytiléniens.
    Le lendemain, un brusque revirement d'opinion se produisit parmi la population (...)
    En deux discours, les orateurs Cléon et Diodotos s'opposent devant les Athéniens rassemblés, l'un prônant la fermeté et le maintien de la première décision, l'autre la clémence. C'est finalement le nouvel avis qui l'emporte :
    Une seconde trière fut aussitôt envoyée. On fit diligence, car il fallait rattraper l'autre, si on ne voulait pas trouver la cité anéantie. La première trière avait environ un jour et une nuit d'avance. Les représentants mytiléniens approvisionnèrent les hommes d'équipage en vin et en galettes d'orge et leur promirent d'importantes récompenses au cas où ils arriveraient à temps. Ceux-ci effectuèrent la traversée en toute hâte, se restaurant sans quitter les rames avec des galettes trempées dans du vin ou de l'huile et se relayant pour permettre aux uns de dormir, pendant que les autres ramaient. Par chance, aucun vent contraire ne les gêna. Tandis qu'ils forçaient ainsi l'allure, la première trière, chargée d'une mission plutôt effroyable, ne marchait qu'avec lenteur.

    (Ici l'épisode forme comme les arrachements d'une voûte, premier élément d'une figure dont le second terme est absent, commence une arche invisible dont la retombée est parmi nous).

  • Autre nuit de Platée

    Au cours de cet hiver, les Platéens, qui étaient toujours assiégés par les Péloponnésiens et les Béotiens, se trouvèrent menacés de famine. (...) Ils formèrent, en accord avec les Athéniens assiégés avec eux dans la place, le projet de sortir tous ensemble pour tenter de forcer le passage et de franchir l'enceinte tenue par l'ennemi. (...)
    (Pour franchir la contrevallation, les fugitifs fabriquent des échelles ; ils en déterminent la taille en comptant, à distance, le nombre de briques dans la hauteur du mur ennemi, sur une portion restée sans enduit.)

    Les Platéens achevèrent leurs préparatifs et attendirent une nuit de mauvais temps, avec de la pluie et du vent, et sans lune. Le moment venu, ils sortirent de la place (...). Ils franchirent d'abord le fossé qui entouraient la ville, puis atteignirent le mur ennemi sans avoir été remarqué par les sentinelles, qui ne pouvaient les voir à cause de l'obscurité, ni les entendre à cause des bourrasques qui couvraient le bruit de leur approche. D'autre part, ils marchaient à bonne distance les uns des autres, pour éviter que leurs armes, en se heurtant, ne trahissent leur présence. Ils n'avaient qu'un armement léger et n'étaient chaussés qu'au pied gauche, pour ne pas glisser dans la boue. (...)
    Des feux furent allumés en direction de Thèbes pour signaler une attaque. Mais les Platéens restés dans la ville allumèrent eux aussi un grand nombre de feux sur leurs remparts. Ils les avaient préparés exprès, afin de rendre les signaux des assiégeants inintelligibles (...)

    (Les Platéens parviennent à franchir l'obstacle, puis le fossé qui l'entoure :)
    Cela n'alla pas sans peine ni sans lutte. Une couche de glace s'était formée à la surface, mais elle n'était pas assez solide pour qu'on pût marcher dessus. C'était, comme il arrive souvent lorsque le vent souffle de l'est plutôt que du nord, une glace en liquéfaction. D'autre part, la neige tombée au cours de la nuit, avec ce vent qui soufflait, avait considérablement élevé de niveau de l'eau dans le fossé et ce fut tout juste si les Platéens purent le franchir sans perdre pied. (...)
    Partant du fossé et formés en groupe compact, les fugitifs prirent la route de Thèbes, en laissant sur leur droite le sanctuaire du héros Androcratès. Ils pensaient que la route menant en pays ennemi était bien la dernière sur laquelle on pût les soupçonner de s'être engagés.
    (Trad. D Roussel)

    (A nouveau l'exactitude du détail semble croître à mesure de la nuit, de la tempête et du désordre des combats ; et la clarté du récit, comme le plan ingénieux des Platéens, profiter de la confusion).

  • Coup de main sur Platée

    Alors que la guerre entre Athènes et Sparte est sur le point d'éclater, profitant des derniers instants de la paix, un groupe armé de Thébains pénètre par surprise, la nuit, dans la ville de Platée. Regroupés sur l'agora, ils invitent les Platéens à renoncer à l'alliance avec Athènes et à rejoindre la ligue béotienne. Mais, après un moment de frayeur, les habitants se rendent compte que les assaillants sont peu nombreux et les attaquent.

    Les Thébains (...) prirent peur, tournèrent les talons et se mirent à fuir à travers la ville. Gênés par la boue et par l'obscurité (...), ne sachant, pour la plupart, par quelles rues passer pour s'échapper et poursuivis par des hommes qui savaient comment leur couper la retraite, les fuyards, dans leur majorité, trouvèrent la mort. Un Platéen referma la porte par laquelle ils étaient entrés dans la ville et qui était la seule ouverte. Il inséra dans la barre, en guise de cheville de sûreté, un fer de javelot, en sorte que cette issue elle-même fut interdite aux Thébains. (Certains fugitifs) parvinrent jusqu'à une porte non gardée et, sans se faire remarquer, rompirent la barre au moyen d'une hache que leur donna une femme. (...) Le gros de la troupe, formée par les hommes qui étaient restés le mieux groupés, fit irruption dans une vaste bâtisse qui dépendait du mur d'enceinte et dont le porche se trouvait ouvert. Ils crurent qu'il s'agissait d'une des portes de la ville donnant sur l'extérieur. (Et furent ainsi pris au piège). Tel fut le sort des Thébains qui s'étaient introduits dans Platée.
    (Thucydide - La Guerre du Péloponnèse,II 4 - trad. Denis Roussel)

    (L'optique supérieure de l'historien fait surgir une scène, la sortant de la nuit nocturne comme de la nuit des temps. Elle détaille, dans la mêlée confuse, le fer d'un javelot, une femme qui donne un hache, le cul-de-sac d'une construction adossée au rempart ; péripéties logiques d'une fuite sans issue. Mais son pouvoir est aussi celui d'une longue-vue retournée, rapetissant la vague gloire antique aux proportions d'escarmouches sanglantes où une poignée d'hommes s'affronte.)

     

  • Future's resounding emptiness

    D'après nature, poème élémentaire, de WG Sebald (trad. S Muller / P Charbonneau). La seconde partie du poème évoque la vie d'un naturaliste allemand du XVIIIème siècle. Désireux de rejoindre l'expédition en Sibérie de Bering, le savant arrive à Saint-Pétersbourg, nouvelle capitale russe, "ville née de l'angoisse devant l'immensité de l'espace".

    (...) les quais et les ponts, les rues et les places,
    les lignes de fuite, les façades et les rangées de fenêtres
    n'émergent que lentement
    du vide sonore de l'avenir

    (...)

    (Le "vide sonore de l'avenir", j'ai déjà entendu ce vers, qui m'arrête à nouveau, selon une citation en anglais du même texte, "future's resounding emptiness" ; je ne connais pas la version originale allemande. J'ai l'impression que la formule retentissante - le désert, l'espace se font temps et le temps résonance - en rappelle une autre (fait écho encore, si j'ose dire) ; mais je ne sais pas dire laquelle.)

  • La Neige de Saint-Pierre

    La Neige de Saint-Pierre, de Perutz. Le narrateur se réveille dans un lit d'hôpital. On lui apprend qu'il a été la victime d'un accident de la circulation et qu'il vient de passer plusieurs semaines dans le coma. Mais le patient ne croit pas les médecins, il est convaincu que sa blessure est le résultat d'une toute autre série d'événements dont la durée coïncide justement avec sa prétendue perte de conscience. Cependant, comme il se remémore son aventure, il rend compte  d'un certain nombre d'éléments qui trahissent l'autosuggestion, le "rêve dirigé" ou l'hallucination et incitent le lecteur à mettre en doute ce que lui raconte le narrateur : le temps du récit est discontinu, incertain ; les lieux changent sans transition ; les désirs ou les appréhensions du narrateur se réalisent selon qu'il les exprime ; ses frustrations sont renversées ; des détails "réels" engendrent les circonstances "rêvées"... (Le procédé est utilisé également, de façon peut-être plus essentielle, dans le Maître du Jugement dernierdu même auteur ; "Le Sud" de Borges, à qui on pense souvent, appartient aussi à ce genre de narration à double-entente.)

    Le charme du roman tient pour beaucoup au soin apporté à ces détails qui hantent le récit et quelquefois se répondent : dans la "vie réelle", le volume manquant des oeuvres complètes de Shakespeare ("le Conte d'hiver") ; puis dans le rêve, la gravure au mur de la chambre où deux femmes se jettent aux pieds "d'un roi shakespearien" tandis qu'à l'arrière-plan "on aperçoit un roi exotique et sa délégation, avec des chevaux et des chameaux" ; la neige qui envahit les rues du village... Ou  bien, détachée, soudain, une musique :
    J'écoutais le son d'un violon qui venait de la pièce voisine.
    C'étaient les premières mesures d'une
    sonate de Tartini, et cette mélodie mélancolique, comme habitée par des fantômes, m'émeut à chaque fois que je l'entends. Elle est associée pour moi à un vague souvenir d'enfance : je me vois dans l'appartement de mon père, c'est dimanche, tout le monde est sorti et je suis seul. Bientôt, la nuit tombe ; il n'y a aucun bruit, je n'entends que le vent qui gémit dans la cheminée, et j'ai peur, parce que tout autour de moi semble enchanté (...).
    (Trad. JC Capèle)

  • Rome (4) - Chateaubriand

    Fête à la villa Médicis

    J'avais donné des bals et des soirées à Londres et à Paris (...); mais je ne m'étais pas douté de ce que pouvaient être des fêtes à Rome : elles ont quelque chose de la poésie antique qui place la mort à côté des plaisirs.

    (...) Je vois passer devant moi ces femmes du printemps qui s'enfoncent parmi les fleurs, les concerts et les lustres de mes galeries successives : on dirait des cygnes qui nagent vers des climats radieux. A quel désennui vont-elles ? Les unes cherchent ce qu'elles ont déjà aimé, les autres ce qu'elles n'aiment pas encore. Au bout de la route, elles tomberont dans ces sépulcres toujours ouverts ici, dans ces anciens sarcophages qui servent de bassins à des fontaines suspendues à des portiques ; elles iront augmenter tant de poussières légères et charmantes. Ces flots de beautés, de diamants, de fleurs et de plumes roulent au son de la musique de Rossini qui se répète et s'affaiblit d'orchestre en orchestre.