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Mes bouquins refermés - Page 33

  • Louise et Millicent

    A la relecture, je me demande si la dernière vision qu’Hyacinth a de Millicent et de Sholto n’est pas inspirée d’une station dans la série des désillusions qui closent l’Education sentimentale (Il y aurait d’ailleurs, sans doute, bien d’autres parallèles à faire avec le chef-d’œuvre de Flaubert  – ne serait-ce que dans la peinture des milieux révolutionnaires). 

    Ayant rompu avec Mme Dambreuse, Frédéric retourne à Nogent ; sur le bateau, il se prend à rêver à son amie d’enfance, Louise ("elle était si bonne"). Arrivé à destination, il se met à sa recherche :

    La cloche de Saint-Laurent tintait ; et il y avait sur la place, devant l’église, un rassemblement de pauvres, avec une calèche, la seule du pays (celle qui servait pour les noces), quand, sous le portail, tout à coup, dans un flot de bourgeois en cravate blanche, deux nouveaux mariés parurent.
    Il se crut halluciné. Mais non ! C’était bien elle, Louise couverte d’un voile blanc qui tombait de ses cheveux rouges à ses talons ; et c’était bien lui, Deslauriers ! — portant un habit bleu brodé d’argent, un costume de préfet. Pourquoi donc ?

    On constatera que James a repris la technique de Flaubert (selon le principe du regard : ce qui est vu est vu par quelqu’un) en y donnant un tour de vis supplémentaire, qui lui est propre (le regard spéculaire : Hyacinth voit, voit qu’il est vu, et comprend alors etc.).

    (En l’occurrence la différence de traitement des "intrigues" dans The Princess Casamassima s’apparente à la façon dont sont rendues dans l’Education Sentimentale d’un côté la passion de Frédéric pour Mme Arnoux (Hyacinth et la princesse Casamassima), de l’autre les amours de M. Arnoux (Sholto et Millicent), dont le niais Frédéric est le témoin obtus. Dans le premier cas, la vision des événements répond à la compréhension qu’en ont les personnages ; dans le second, le récit rend compte d’éclats visibles, le héros n’a qu’une intelligence limitée du tout.)

  • Autre début de Casamassima

    The Princess Casamassima a un second commencement (plus jamesien que le premier par son jeu de regards). Cette autre scène primordiale marque l’entrée de la princesse dans le roman ; quatre personnages y prennent part, compte non tenu de madame Grandoni, suivante de la Casamassima, dont  la situation "quelque peu ridicule" est celle "d’une confidente de tragédie à qui l’héroïne aurait cessé de se confier."

    Hyacinth Robinson a invité au théâtre son amie d’enfance, Millicent Henning, forte et belle femme, employée dans un grand magasin, et qu’il fréquente en tout bien tout honneur (si tant est qu’on puisse décider de la chose dans un roman de James). Alors que le jeune homme est absorbé dans la contemplation du spectacle, Millicent attire son attention sur le regard insistant d’un gentleman dans la loge principale à gauche qui, dit-elle, le dévisage depuis une demi-heure.

    “Watching me ! I like that!" said the young man. "When I want to be watched I take you with me."
      "Of course he has looked at me," Millicent answered, as if she had no interest in denying that. "But you're the one he wants to get hold of."
      "To get hold of!"
      "Yes, you ninny: don't hang back. He may make your fortune."

    Hyacinth finit par reconnaître l’homme : il l’a croisé dans une réunion du club politique "radical" qu’il fréquente. Le capitaine Godfrey Sholto, tel est son nom, le salue de loin puis, maintenant que le contact est établi, se lève et les rejoint pendant l’entracte. Après quelques banalités, le capitaine signale qu’il est venu chercher Hyacinth à la demande des dames "du grand monde" qu’il accompagne : l’une d’elles (la princesse) désire faire la connaissance du jeune homme. Hyacinth est d’abord réticent mais finit par obtempérer ; le capitaine tiendra compagnie à Millicent pendant son absence.

    (Ne dirait-on pas que tout au long du roman, Hyacinth reste, comme dans le premier chapitre, le petit garçon qui traîne dans les rues de Londres, qui s’y abandonne à ses distractions d’enfant solitaire, émerveillé par le spectacle, mais que l’on appelle, que les adultes envoient chercher ?)

    Nous suivons alors Hyacinth dans la loge de la princesse. Rien ne nous est dit de la conversation de Sholto avec Millicent, pendant son absence. Dans la suite, on ne saura de leurs relations que ce qu’en voit notre héros, de loin en loin, par hasard, et les soupçons qu’il peut avoir malgré les démentis de Millicent. Cette liaison douteuse forme un contrepoint lointain à celle d’Hyacinth et de la princesse. Le quatuor ainsi institué est marqué par l’ambiguïté de la première rencontre, du premier regard. Qui Sholto a-t-il vu d’abord, Millicent ou bien Hyacinth ? Où est le prétexte, où est le vrai motif : l’intérêt de la princesse Casamassima pour le jeune artisan aux idées avancées, ou la stratégie amoureuse du capitaine qui s’intéresse à la belle employée ? (Ici le roman fait penser à une comédie d’ancien régime transposée, avec plus ou moins de bonheur, à l’âge de la lutte des classes et des attentats anarchistes ; il y a le monde des valets et le monde des maîtres, leurs échanges et leurs travestissements, et deux intrigues, l’une triviale et l’autre sublime).

     Dans le dernier chapitre, James retourne en quelque sorte cette scène originelle. Faisant malgré lui ses adieux au monde, le héros va surprendre Millicent dans le magasin où elle travaille. Mais il y découvre alors Sholto engagé avec la jeune femme, qui lui montre des articles de mode. Millicent est de dos et ne peut voir le nouveau venu. Après une minute, le capitaine remarque le regard d’Hyacinth.

    But Sholto only looked at him very hard, for a few seconds, without telling her he was there; to enjoy that satisfaction he would wait till the interloper was gone. Hyacinth gazed back at him for the same length of time – what these two pairs of eyes said to each other requires perhaps no definite mention – and then turned away.

    Sans transition, le paragraphe suivant reprend la deuxième partie de la scène au théâtre, mais renversée : la princesse vient chercher Hyacinth chez lui pour la première fois – trop tard.

  • Début (et fin) de Casamassima

    Le début de The Princess Casamassima de James rappelle les ouvertures des romans de Dickens : le livre et le héros commencent pour ainsi dire ensemble, accédant à l’existence dans une seule irruption : le monde se saisit du héros et le héros surgit dans le monde ; la convocation instaure un dilemme que la suite s’ingéniera à faire résonner jusqu’au règlement final. (C’est le schéma archétypique, si l’on veut, du Procès de Kafka).

    Ici la force préhensile a les traits de la terrible Mrs Bowerbank, gardienne de prison de son état, trop massive pour le pauvre salon de Miss Pynsent  à qui elle est venue apporter une odieuse nouvelle : la mère au moment de mourir voudrait voir une dernière fois son enfant. Alors que la modiste a envoyé chercher le petit garçon qu'elle a recueilli pour le montrer à sa visiteuse, les deux femmes discutent le cas, qu'elles récapitulent ainsi : la mère est une meurtrière, elle a tué un lord, l’enfant est le fruit de leur liaison illégitime et la raison du crime.

    Cependant il faut bien avouer que Miss Pynsent a caché à son pupille la moitié de l'histoire : elle a suggéré une ascendance aristocratique, mais elle ne lui a rien dit de sa mère en prison. Que faire ? La morale et  la logique veulent qu’on rétablisse l’équilibre : l’enfant ira faire la dernière visite ; mais, ce faisant, ce n’est pas seulement la symétrie qu’on restaure, c’est la contradiction qu’on installe au cœur de l’existence même du malheureux Hyacinth Robinson.

    (A la fin du roman, soumis aux ordres d’un groupe terroriste, le prolétaire Hyacinth doit assassiner un grand personnage ; le dernier argument qui le retient est celui de la répétition : il ne peut recommencer le geste de sa mère. Puisqu’il incorpore en quelque sorte les deux côtés du problème, la solution est à trouver en lui-même.)

  • Britten, Chostakovitch

    Salle Pleyel : Illuminations de Britten, Huitième de Chostakovitch.

    (Hormis celle-ci, je ne connais pas de mises en musique de Rimbaud et l’expérience ici est plutôt rebutante : d’autres poèmes, ceux du Cahier de Douai, iraient peut-être mieux mais la prose des Illuminations est particulièrement rétive.  A la lecture du texte, l’accompagnement de cordes sonne étriqué et douceâtre, et le propos paraît trivial ; ou bien les phrases font bloc et la musique n’y entre pas).

  • Lulu

    A l'opéra Bastille.


    (J’ai beaucoup écouté Lulu autrefois. C’est sans doute le premier enregistrement d’opéra que j’ai fréquenté. En 1990, je trouvais que le motif de l’amour de Lulu pour Schön était la plus belle musique du monde. On l’entend d’abord, je crois, sous forme de mélodrame à la scène 2 du premier acte, j’en pourrais encore réciter les paroles :

    Meines Mannes ? Wenn ich einem Mann auf dieser Welt angehöre, gehöre ich Ihnen. Ohne Sie wäre ich – ich will nicht sagen wo. Sie haben mich bei der Hand genommen, mir zu essen gegeben, mich kleiden lassen, als ich Ihnen die Uhr stehlen wollte. Glauben Sie, das vergisst sich? Wer außer Ihnen auf der ganzen Welt hat je etwas für mich übrig gehabt?

    Comme morceau symphonique, tristano-malhérien, elle sert d’interlude à la fin de cette même scène. Mais le rideau est baissé pour le changement de décor ; une partie du public considère alors que son attention est facultative et parlotte avec son voisin. Cela gâche un peu l’effet de ce grand bramement exaspéré, désir qui embrasse le vide, élan qui s’évapore avant d’étreindre : mais, patience ! on l’entendra encore avant la fin de la soirée.)

  • Tannhaüser

    A l'opéra Bastille.

    (A la fin du deuxième acte le simple cri « Haltet ein » d’Elisabeth suffit à clouer tout un chœur d’hommes braillards et à suspendre la sentence de mort. Mais le plus beau vient au troisième acte avec ce grand nocturne initial que le chœur des pèlerins traverse mais ne  dérange pas.  Les ressorts de l’intrigue sont dissous dans un lac d'amertume et de sourde attente. La romance de Wolfram et la prière d’Elisabeth y flottent comme deux vaisseaux désarmés et sans erre, avant que le formidable récit de Rome ne vienne emporter l’opéra vers sa conclusion facultative.)

  • Brahms, Bruckner, Stravinski.

    Salle Pleyel : messe n°2 de Bruckner, Symphonie de psaumes de Stravinski.

    (Dans le finale de la symphonie, ne dirait-on pas que Stravinski adapte à la musique le procédé du ralenti cinématographique : les saccades du temps sont brutalement dilatées, on croirait là voir courir le cent mètres à grandes enjambées suspendues ou bien de lourds chevaux au galop défiant les lois de la pesanteur, posant délicatement leur sabot sur le sol qui vibre comme la peau des timbales)