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Mes bouquins refermés - Page 29

  • Face

    Le Reniement de saint Pierre, de Le Nain, au Louvre. 

    (Le vêtement grossier découvre la poitrine nue, que le remords va frapper, et la bouche est béante, hébétée encore par la dénégation. Le vieil homme a levé le bras ; s’il avance, ce sera comme à tâtons. Son œil décoloré ne regarde personne. Sa main cherche une diagonale incertaine entre le groupe qui le cerne et le foyer qui l’éclaire, qu’il veut fuir. Car les hommes et la lumière l’ont pris à partie. La servante, c'est la franchise même, main sur le cœur, témoigne et interroge ; le soldat solidement planté sur son bâton écoute; une dernière tête, immobile, face à nous, clôt l’espace nocturne et donne aux ténèbres un visage que les flammes font rougeoyer. Les yeux grand ouverts plongent dans les nôtres par-dessus l’épaule de la représentation. La figure est intermédiaire entre cet espace et l'autre. Son regard nous ajoute au cercle des témoins, que nous fermons.)

  • Bach, Duphly, Böhm, Purcell...

    Concert aux Bouffes du Nord.

    (Christian Ritter : Allemande sur la mort de Charles XI de Suède. Henry Purcell : Suite en ré majeur (1. Prélude – 2. Alman – 3. Hornpipe) ; deux Grounds (1. en ré mineur – 2. en mi mineur). Johann Pachelbel : Quatre Fugues ; Fantasia en sol mineur. Johann Sebastian Bach : Suite en mi mineur « für das Lautenwerk », BWV 996 (I. Prélude – II. Allemande – III. Courante – IV. Sarabande – V. Bourrée – VI. Gigue). Georg Böhm : Chaconne en sol majeur ; Suite en fa mineur (1. Allemande – 2. Courante – 3. Sarabande). Jean-Henry d’Anglebert : Prélude non mesuré en ré mineur. Jacques Duphly : la Felix, la Debelombre, les Colombes, la Damazy : rondeau, les Graces. Bach : 25ème variation Goldberg, BWV988).

  • Liszt, Wagner

    Concert salle Pleyel.

    ("Le Ring sans paroles" : vrai, les coupures et coutures sont navrantes, tout pot-pourri est atroce et tout extrait symphonique amer. Mais ne nions pas le plaisir qu'il y a à feuilleter une fois encore le fameux livre d'images : la déplorable chevauchée des Walkyries ; leurs ricanements font penser aux vers de Hugo :
            Les chevaux de la mort se mettent à hennir
            Et sont joyeux
    Les adieux de Wotan ; on se dit que Mahler a dû les refaire quatre ou cinq fois. L'ascension par Siegfried du rocher de Brünnhilde, avec sa brève traversée de la merveilleuse musique du feu (combien extraordinaires apparaissent alors les progrès dans l'orchestration à mesure de la composition du Ring) ; puis le grain des cordes restitue la saveur astringente de l'atmosphère des cimes. L'idylle musicale de Siegfried et Brünnhilde : qu'elle est fugace ! à peine la chose vécue, c'en est déjà la remémoration. Le Rhin roule jusqu'à la cour bréhaigne des Gibichung. Le meurtre de Sigfried dans la clairière détrempée et lugubre. La marche funèbre ; vision renouvelée de celle de l'Eroica, rompue et comprimée, reconfigurée en rampe d'apothéose. Le finale ; mais sans l'immolation de Brünnhilde et les douze heures du drame antécédentes, on s'étonne : ce n'est que cela ?)

  • Parvis piémonts

    Le fleuve et les routes montant vers le Nord empruntent un large sillon entre les collines ocres. Les voies parallèles longent de vastes piémonts stériles. Je vois se dresser ici les monuments célèbres de cette terre. Voici le bas-relief colossal et sa grossière victoire ailée, à tête carrée, arquée comme un cintre. Le temple antique dont il ne reste qu’un massif de colonnes peintes, debout sur des blocs rouges. La forteresse rasée d'où seul surgit le haut donjon crénelé. Ils sont tournés vers le voyageur comme les sentinelles ou les emblèmes des nations qui les édifièrent il y a mille ou deux mille ans pour marquer et exalter leur territoire. Mais ces témoins d’époque révolues ont été si complètement restaurés qu’ils paraissent neufs ; ils ont perdu tout lien avec le pays qui les environne, nettoyés, reconstruits, isolés au centre de parvis modernes et démesurés.

  • On vient chercher Wenceslas Steinbock

    (Balzac, la Cousine Bette)
    Le surlendemain, à quatre heures et demie du matin, au moment où le comte Steinbock dormait du plus profond sommeil, il entendit frapper à la porte de sa mansarde ; il alla ouvrir, et vit entrer deux hommes mal vêtus, accompagnés d’un troisième, dont l’habillement annonçait un huissier malheureux.
    — Vous êtes M. Wenceslas, comte Steinbock ? lui dit ce dernier.
    — Oui, monsieur.
    — Je me nomme Grasset, monsieur, successeur de M. Louchard, garde du commerce…
    — Eh bien ?
    — Vous êtes arrêté, monsieur, il faut nous suivre à la prison de Clichy… Veuillez vous habiller… Nous y avons mis des formes, comme vous voyez : je n’ai point pris de garde municipal, il y a un fiacre en bas.
    — Vous êtes emballé proprement… dit un des recors ; aussi comptons-nous sur votre générosité.
    Steinbock s’habilla, descendit l’escalier, tenu sous chaque bras par un recors (...)

    (La suite, avec plus de détails, chez Kafka :)
    Mais à peine franchie la porte de l'immeuble, ils s'accrochèrent à lui d'une façon que K. n'avait encore jamais expérimentée. Ils le tenaient leurs épaules collées derrière les siennes ; au lieu de plier les bras, ils les entouraient autour de ceux de K. sur toute la longueur et, au bout, lui enserraient les mains dans une prise imparable, qui était le fruit d'un enseignement et de tout un entraînement. K. marchait raide entre eux deux et ces trois hommes formaient maintenant une unité telle qu'en en brisant l'un, on les eût brisés tous. C'était une unité comme ne peut guère en constituer que la matière inanimée.

    (Le Procès, trad. B. Lortholary)

  • L'oiseleur

    Paysage à l'oiseleur de Rubens, au Louvre.

    (L'oiseleur a tendu son filet haut entre les arbres et, assis au pied, il attend patiemment le passage de sa proie. Il tient dans la main le long fil ou la tige qui doit servir à déclencher le piège ; où il attrapera l'oiseau noir qui s'envole peut-être tout en bas, à gauche, parmi un groupe de figures –  sinon pourquoi l'une d'elle a-t-elle levé le bras ?

    Plus sûrement, le peintre use de la couleur et, selon elle, fait monter dans son paysage le crépuscule et la brume où se prend le soleil – ou bien est-ce la lune ?). 

  • Le cheval turc

    (Fait prisonnier à Pavie, François Ier est libéré le 18 mars 1526 après de longs mois de captivité à Madrid. L'accord passé avec Charles Quint implique la remise comme otages des deux fils aînés du roi. L'échange a lieu sur la Bidassoa.)

    Au milieu du fleuve, se trouvait une grande barque, solidement amarrée, sur laquelle il n'y avait personne. Le roi s'approcha de cette barque sur un bateau où avaient pris place avec lui le vice-roi, Alarcon et huit autres hommes, tous armés d'armes courtes ; de l'autre côté de la barque, accosta un autre bateau avec Lautrec, les otages et huit autres compagnons, semblablement armés. (...) tout se passa si promptement que cet échange fut accompli en un seul et même mouvement. A peine eut-il atteint la rive, le roi, comme s'il craignait un guet-apens, monta sur un cheval turc, d'une étonnante vélocité, préparé tout exprès, puis sans s'arrêter galopa jusqu'à Saint-Jean-de-Luz, ville qui lui appartenait, à quatre lieux de là : après s'être promptement restauré, il se rendit, tout aussi vite, à Bayonne où il fut accueilli dans une incroyable allégresse de toute la Cour.

    (Guichardin, Histoire d'Italie, XVI)