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Mes bouquins refermés - Page 30

  • Ténèbres

    Etude pour l'Extrême-Onction (série des Sacrements Chantelou), par Poussin, dans l'exposition Mariette au Louvre.

    (Il est étrange de constater combien le dessin préparatoire rappelle une période de l'histoire de l'art  plus ancienne que celle de l'oeuvre réalisée et d'avec laquelle la peinture de Poussin marque justement une rupture.  Ainsi l'étude pour l'Extrême-Onction fait penser aux ténèbres inquiètes du Maniérisme : par la perspective outrée, le foisonnement des ombres, les figures aigres et labiles et leurs mouvements exaspérés. La tenture s'affaisse au-dessus du lit d'agonie. L'angle des murs fait intrusion dans la salle. Un trait de plume heurté relève les profils retournés ; le geste du prêtre semble adresser une sommation plutôt qu'un sacrement et les flambeaux sont portés en avant au lieu de brûler au repos. Le dessin rend compte d'une image antérieure, à l'énergie aveuglante ; les gestes et les lumières sont mêlés dans la confusion préalable au travail du peintre qui assure l'équilibre des émotions et la claire séparation des attitudes selon les caractères.)

  • "Charles"

    (... Il semblait au roi d'Angleterre) que César commençait à le mépriser : alors qu'il avait l'habitude, avant la bataille de Pavie, de n'envoyer que des lettres écrites de sa main et signées "Votre fils et cousin Charles", il commença, après avoir remporté cette victoire, à lui faire écrire des lettres dans lesquelles il n'y avait plus, de sa main, que la signature, qui était dépourvue de toutes ces marques de révérence et de soumission et où ne figurait que son seul nom "Charles".

    (Guichardin, Histoire d'Italie, XVI)

  • Invention de l'espace

    Dans l'exposition Fra Angelico du musée Jacquemart-André.

    (Je retrouve une vieille connaissance : le Couronnement de la Vierge des Offices. On ne se laissera pas éblouir par la suavité des couleurs ou par la naïveté du fond d’or où les rayons gravés dessinent un ostensoir. Mais y a-t-il plus bel aperçu du paradis que l'aire céleste évidée par les anges dans leur danse autour de la Mère et du Fils ? La ronde fragmentaire trace deux arabesques qui ne seraient que décoratives si elles n’étaient intimement liées à l’espace réel qu’elles définissent (hors d'eux cet espace est de pure lumière), où s’arrangent les figures tangibles, les bras et les mains ployés et le balaiement des robes. Ces êtres ne sont pas des abstractions : ailleurs dans l’exposition, on comprend que ce sont les frères idéalement éveillés d’autres corps accablés par le sommeil, encore sourds à la grâce : le pauvre homme des miracles de saint Nicolas, les apôtres endormis de l’Agonie au jardin des Oliviers.)

  • Schubert

    Winterreise, salle Gaveau.

    (Il y a, si on veut, deux Voyages d’hiver : l'un, celui du pauvre vagabond qui erre dans un pays glacé ; l'autre, celui du poète qui allégorise son désespoir amoureux. Chaque poème donne à voir une station et aussi une image de l’égarement du mal-aimé. Qui parle ? J’entends d’abord, ce soir, le poète dolent et témoin de sa douleur, dont la désolation n’exclut pas l’habileté. Cependant, à mesure que le parcours se déploie, les deux voix tendent à se confondre ; le marcheur voit danser devant ses yeux, dans une hallucination, la figure de son destin ; la métaphore développée par le poète coïncide avec la vision du voyageur. Dans le dernier lied, l’apparition est incontestable, il faut la suivre, le chanteur a fait un pas: c’est la mort.)

  • Undercurrent

    Undercurrent, de Vincente Minelli.

    (How could I fall in love with someone I have never seen ? se demande l'héroïne ; mais sa question alors fait connaître la vérité et la double négation s'annule : oui, elle est amoureuse de Michael, elle l'a donc déjà vu sans le savoir. Une scène antérieure s'explique : Ann est à la recherche de renseignements sur le frère dont son mari refuse de parler ; elle part seule visiter la maison que le jeune homme avait aménagée dans les solitudes ; un inconnu la reçoit, se présentant comme le gardien des lieux ; il pousse une porte qu'elle ne parvenait pas à ouvrir ; son visage se dégage peu à peu au cours d'une longue promenade, qui monte jusqu'à la mer.

    L'intrigue est dénouée et le retournement s'achève : le mauvais mari est tué ; Ann retrouve son père ; Michael prend la place de celui-ci au piano ; Ann a, quant à elle, pris le fauteuil d'infirme de la mère des deux garçons. Elle a échangé le secret matériel de l'homme qu'elle avait épousé contre celui, infiniment plus problématique, sans doute, de Michael.)

  • Par aventure

    Vers 1521 un nouveau protagoniste apparaît dans l’Histoire d’Italie : le récit ne quitte pas la troisième personne mais l’auteur lui-même fait son entrée, discrètement, sans annonce, Francesco Guiccardini, commissaire aux armées pour le compte du pape Médicis. Le fond reste le même : le Roi, César et leurs alliés mènent des campagnes mal décisives dans le champ de bataille d’Italie, les armées déambulent entre Milan et Gênes, Crémone, Parme ou Pérouse et, à leurs marges, des tyrans indigènes reprennent ou perdent la cité divisée qui les appelle et les chasse. Mais  le récit de l'historien dont la tâche est de rendre l'ordre des faits établis et advenus se trouble d'obscurité, d'incertitude et d'occasions manquées. Les troupes se frôlent sans se rencontrer, les délibérations sont maculées de rumeurs, le peu de raison et la disette d'information faussent les décisions.

    Et par le fait de la présence du témoin, il semble qu’une vitre a été ôtée ; le souffle de l'éventuel et la puissante odeur du réel montent jusqu’à nous. Les routes sont défoncées et ne permettent pas le passage de l'artillerie ; un camp est établi puis levé ; l'avant-garde traverse l'Adda en pleine nuit sur deux barques chargées au dernier point ; le condottiere lance son cheval dans le fleuve :

    Sans nul autre aiguillon que son propre courage et que sa très grande soif de gloire, Jean de Médicis traversa le fleuve sur son cheval turc, qui nagea dans l'eau profonde jusqu'à la rive opposée, ce qui suscita à la fois la terreur chez l'ennemi et le réconfort parmi les troupes amies.

    Aux abords de Milan, un inconnu prévient que la ville est prête à se révolter pour aider les assaillants. 

    Ce matin-là, un événement remarquable survint, alors que les légats et les principaux chefs de l'armée s'étaient arrêtés dans un pré, non loin de Chiaravalle, afin de laisser passer les Suisses : un vieillard survint, qui par l'apparence et la vêture semblait homme du peuple, et qui, affirmant avoir été envoyé par les habitants de la paroisse de San Siro, les priait à grands cris d'avancer, parce que les habitants de cette paroisse et tous ceux de Milan avaient reçu l'ordre, aussitôt que l'armée serait proche, de prendre les armes contre les Français au son des cloches de toutes les paroisses. Ceci apparut comme un véritable prodige, parce que, quelque effort qu'on fît pour le retrouver, on ne put jamais savoir qui était l'homme ni par qui il avait été envoyé.

    Toute une nuit le conseil de Parme délibère s’il doit ou non ouvrir la ville aux Français (et le gouverneur sait qu’en prolongeant le débat il retient les habitants sur la pente de la reddition, les chances grandissent que la réalité des forces en présence se dévoile et que, par la résistance du peuple détrompé, la ville soit sauvée). 

    De la sorte tantôt en parlant en parlant en particulier avec nombre d'entre eux, tantôt en discutant avec  eux tous, et tantôt en gagnant du temps à faire le tour des remparts ou à se consacrer à d'autres préparatifs, il les retint toute la nuit (...)

  • Rome ou le désert

    Le pape [Adrien VI] se rendit par mer à Rome, où il entra le 29 août [1522], accueilli par une foule très nombreuse et par toute sa cour. Bien que sa venue fût au plus au point désirée (car Rome, sans pape, ressemble plus à un désert qu'à une ville), son arrivée émut néanmoins grandement tous les esprits, car on savait le pape de nation barbare, sans aucune expérience des choses d'Italie et de la cour pontificale, et même pas issu d'une de ces nations qu'un long commerce a familiarisées avec l'Italie.

    (Guichardin, ibid., XV)