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Mes bouquins refermés - Page 103

  • Au cinéma

    En Belgique, juste avant la dernière guerre, des garçons enfermés dans un pensionnat tenu par des religieuses. Dans leurs jeux ou plutôt dans leurs conspirations, ils arrangent comme ils peuvent les secrets et les discours des adultes : patriotisme belge et flamand, politique internationale, théologie catholique et mystères de l'enfantement. Qui pourrait venir à bout de la confusion des langages qu'on leur tient ? dans quel but ?

    Les Sœurs emmènent les enfants au cinéma pour une séance spéciale. Mais la projection est interrompue...

    Dans le hall du cinéma, Vlieghe dit que c'était dommage, ça commençait à devenir passionnant avec ce chasseur aveugle. N'avait-il pas remarqué que, comme chaque année, des fragments de différents films avaient été collés ensemble arbitrairement ? Louis n'avait jamais pu comprendre pourquoi. Probablement que les Soeurs et les élèves étaient déjà bien contents de voir quelque chose qui bougeait dans une lumière tachetée en noir et blanc (et cette fois-ci, ô surprise, en couleurs). Peut-être qu'un tout cohérent, comme à la séance normale du dimanche soir au ciné "Diana", avec des titres, de la musique, et un début, des péripéties et un dénouement -- peut-être aurait-ce pu avoir des conséquences périlleuses pour les élèves, qui devaient grandir dans la confusion et rester prisonniers de mystère, de fragments, d'énigmatiques et péniblement inintelligibles petits éclats de miroir.

    (Hugo Claus - Le Chagrin des Belges, trad. A van Crugten)

  • Holbein

    Exposition Holbein à la Tate Gallery.

    Les objets, les étoffes, les mains, les visages sont rendus avec la même méticulosité. Les traits du visage, les rides, les commissures, sont tracés avec une précision extraordinaire ; des variations imperceptibles de la couleur et de l'ombre font voir la saillie des pommettes, le creux des joues, le relief des tempes (certains dessins utilisent un papier couleur chair ; en les scrutant de près, on finit par ne plus savoir ce qu'il faut attribuer aux altérations du papier ou au visage du modèle). Des distorsions néanmoins (un œil forci, une tête ou des mains hors de proportion) peuvent fausser le réalisme.

    Les figures marquent peu d'animation. Quelquefois la pose s'affadit par élégance ; quelquefois elle se fige pompeusement ; la vie manque. Certains (comme le femmes de la famille de Thomas More) semblent en proie à une tristesse réprimée, à un désarroi muet. Concentration, ennui, contentement de soi, colère rentrée. Seule Christine de Danemark ose un sourire ; c'est un des portraits de femme commandés par Henri VIII alors qu'il se cherche une épouse. Dans la retenue générale, le manteau fourré et la robe noire de la jeune veuve forment un ensemble somptueux avec sa juxtaposition et sa superposition de noirs brillants ou mats, lisses ou grumeleux. Faussement modestes également : ses yeux, sa bouche, ses mains à demi croisées ; le ballet compliqué des doigts va-t-il s'arranger en une posture obscène ?

  • Une tête prophétique

    Dans les premières pages de Roméo et Juliette au village, de Keller (trad Armand Robin), deux enfants jouent dans un champ laissé à l'abandon faute d'héritiers. (Le titre de la nouvelle n'est peut-être pas le seul à prophétiser ; un jouet démoli semble alors prendre la parole :)

    Ne restait plus de solide dans la poupée que la tête ; elle ne pouvait manquer d'attirer tout particulièrement l'attention des enfants. Ils la séparèrent soigneusement du tronc vidé et regardèrent, ébahis, l'intérieur : il était creux ; ce vide méritait réflexion ! (...) (Le garçon) venait d'attraper une grande mouche bleue ; tenant l'insecte bourdonnant dans le creux entre ses deux mains, il (...) emprisonna la mouche dans la tête dont il boucha l'ouverture avec de l'herbe. Les deux enfants portèrent cette tête à leurs oreilles, puis la déposèrent à terre ; coiffée encore de la rouge fleur de pavot et maintenant toute bruissante, elle semblait une tête prophétique et devant elle les deux enfants enlacés attendaient, dans un profond silence, des légendes et des oracles. Mais tout prophète suscite l'effroi et l'ingratitude : la faible vie qui remuait dans cette figure grossière excita chez les deux enfants l'instinctive cruauté humaine : ils décidèrent d'enterrer la tête, creusèrent une petite fosse, l'y ensevelirent sans demander l'avis de la mouche captive ; au-dessus de la tombe ils érigèrent un imposant monument de cailloux.

    Que peut bien annoncer cette espèce d'oracle ? (dont le souvenir invisible court tout le long du récit.) La folie des pères des enfants qui s'affrontent et se ruinent à cause du champ ? l'entêtement de l'un, la tête fêlée de l'autre ? l'apparition d'un musicien vagabond que la rumeur désigne comme l'héritier de la terre disputée mais qui, faute de preuves, ne peut faire valoir ses droits ? Quand les deux enfants se retrouvent bien plus tard, malgré la haine que se vouent les deux familles, le violoneux les surprend dans les champs et les harangue, bourdonnant et noir, juché sur un tas de cailloux envahi de coquelicots.

  • Fagin's last night alive

    L'avant-dernier chapitre d' Oliver Twist commence ainsi :

    The court was paved, from floor to roof, with human faces. Inquisitive and eager, eyes peered from every inch of space. From the rail before the dock, away into the sharpest angle of the smallest corner in the galleries, all looks were fixed upon one man -- Fagin. Before him and behind: above, below, on the right and on the left: he seemed to stand surrounded by a firmament, all bright with gleaming eyes.

    Le tribunal rend son verdict. Fagin est condamné à mort. La muraille faite de visages et la nuit faite d'yeux cèdent la place aux murs réels de la prison, à l'obscurité de la cellule. Quelques journées sans jour passent.

    Enfin, dans le dernier paragraphe, on franchit la porte vers l'extérieur ; dehors le jour se lève : cependant la foule est rassemblée à nouveau et, si les ténèbres ne sont plus tout autour, à la périphérie, elles sont toujours là, au centre :

    Day was dawning when they again emerged. A great multitude had already assembled; the windows were filled with people, smoking and playing cards to beguile the time; the crowd were pushing, quarelling, joking. Everything told of life and animation, but one dark cluster of objects in the centre of all--the black stage, the cross-beam, the rope, and all the hideous apparatus of death.

  • one slow melancholy wind

    Oliver Twist, de Dickens.

    Le bandit Sikes tue sa bonne amie Nancy parce qu'elle a commis le plus grand des forfaits qui se conçoive dans le monde du crime : elle a parlé. Le meurtre est particulièrement horrible et particulièrement injuste puisque la jeune fille, en trahissant, a tout fait pour protéger son compagnon et a sacrifié l'espoir d'une fuite et d'une vie nouvelle pour rester auprès de lui.

    Après le meurtre, au lever du jour, Sikes quitte la grande ville, erre toute la journée dans les environs, allant, revenant sur ses pas, fuyant, s'arrêtant, sans oser entrer dans une taverne avant le soir.

    Alors que,  réfugié dans un coin de la salle, il peut enfin manger et boire,  un marchand ambulant vient à entrer et commence son boniment : il a ici un produit très efficace et pas bien cher pour venir à bout de toutes les taches imaginables ; il se propose d'en faire la démonstration à qui voudra ; ce monsieur-là (Sikes) a d'ailleurs sur son chapeau une marque sombre

    ....no wider than a shilling, but thicker than a half crown. Wether it is a wine-stain, fruit-stain, beer-stain, paint-stain, pitch-stain, mud-stain, or blood-stain ---

    Sikes n'en écoute pas plus long et prend la fuite (tel Wozzeck dans la scène à l'auberge quand tous se mettent à crier : Blut ! ).

     

    Personne ne cherche à suivre Silkes dans la nuit. Cependant, depuis le matin, le fantôme de la morte le hante :

    He could trace its shadow in the gloom, supply the smallest item of the outline, and note how stiff and solemn it seemed to stalk along. He could hear its garments rustling in the leaves, and every breath of wind came laden with that low cry. If he stopped it did the same. If he ran, it followed- not running too: that would have been a relief: but like a corpse endowed with the mere machinery of life, and borne on one slow melancholy wind that never rose or fell.

    Le lendemain, alors qu'il a entrepris de revenir à Londres, ce n'est plus le fantôme qui l'effraie mais son propre chien ; la bête ne l'a pas quitté dans sa fuite, elle a été là tout le temps auprès de lui, sur ses pas (comme le fantôme) ; elle peut le faire reconnaître. Silkes décide donc de noyer son chien.

  • Pelléas et Mélisande (3)

    Au Musée d'Orsay.

    Plus touché par cette représentation que par la précédente (il vaut mieux s'arrêter là).

    Par moment le piano est si beau qu'on a l'impression qu'il pourrait se suffire à lui-même, s'absentant du drame (comme cette lumière venue sur la mer, où se joue l'agonie de Mélisande et qu'elle semble rejoindre).

    (Dans les dernières notes, dans cette conclusion cristalline, l'espèce de ritournelle brève et ancienne qu'on entend me fait penser sans raison aux musiciens de verre de Keller.)

  • Boys is wery lazy

    'Young boys have been smothered in chimneys before now', said a gentleman.

    'That's acause they damped the straw afore they lit in the chimbley to make 'em come down agin,' said Gamfield; that's all smoke, and no blaze; vereas smoke ain't o' no use at all in making a boy come down, for it only sinds him to sleep, and that's wot he likes. Boys is wery obstinit, and wery lazy, gen'lmen, and there's nothink like a good hot blaze to make 'em come down vith a run. It's humane too, gen'lmen, acause, even if they've stuck in the chimbley, roasting their feet makes 'em struggle to hextricate theirselves'

    (Dans le catalogue des carrières permises aux orphelins confiés à la charité publique, au début d'Oliver Twist, celle d'apprenti ramoneur n'est pas la moins réjouissante.)