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Mes bouquins refermés - Page 101

  • Chostakovitch

    Salle Cortot.

    (Quatuor Danel - Quatuor à cordes n°1, 8 et 15).

    (Le Quinzième Quatuor) doit être joué de telle façon que les mouches tombent raides mortes du plafond et que, par pur ennui, le public se lève et quitte la salle.

    ... disait, paraît-il, le compositeur. L'expérience, hier soir, n'a pas été entièrement concluante. Le premier mouvement est cependant bien lent, presque immobile. Les quatre voix chantent pauvrement à voix basse le même thème. Si elles n'étaient interrompues, leur patience en viendrait à bout et finirait par dissoudre entièrement la musique dans la durée, ne laissant subsister autre chose dans le temps que le grain de l'archet contre la corde et l'inspiration des musiciens qui reprennent leur souffle.

  • Idoménée

    A l'opéra Garnier.

    La scène est en Crète sur les rivages de la mer. Les lumières, magnifiques, rendent bien compte du caractère changeant, ouvert, des lieux (peut-être plus océaniques que méditerranéens). Elles sont en harmonie avec la beauté des vents dans l'orchestre, qui soufflent l'éclaircie. Neptune parle avec de grands appels de cuivre.

    Le dieu exige d'Idoménée qu'il respecte sa promesse d'exécuter la première personne qu'il aura vue après avoir échappé au naufrage ; c'est son fils, Idamante. Les atermoiements du roi  pèsent sur son peuple. Un monstre ravage le pays. L'idée d'une équivalence entre le sang du roi et les malheurs de ses sujets (l'un paye pour l'autre) sous-tend la scène de lamentation du dernier acte. Un des plus beaux passages de l'opéra : le choeur est réuni autour de l'autel du sacrifice avec Idoménée, qui avoue son secret.

    C'est cependant le personnage d'Electre qui, hier soir, était le plus poignant. Malheureuse en amour, exilée, en deuil, elle a droit à un bref moment de joie usurpée dans le deuxième acte. Elle l'expie à la fin de l'opéra, en se consummant comme une flamme noire, s'échappant, se tordant comme un démon chassé par l'exorcisme qui a rendu le bonheur au peuple de la Crète.

  • Chostakovitch

    Au Théâtre des Champs-Elysées.

    Les deux oeuvres jouées, la Suite sur des poèmes de Michel-Ange et la Quinzième Symphonie font partie des dernières composées par Chostakovitch ; elles diffèrent plus par leur ton que par leur musique. La première porte une parole et fait figure de testament ; la seconde, sans mots, reste sans commentaire.

    Dans la Suite, la voix est sombre, étouffée mais son chant plein d'aplomb. L'homme de génie est orgueilleux et amer, ennemi de son temps et sûr de son art. Michel-Ange parle russe ; malgré le livret, je ne peux pas suivre. Cependant la paraphrase du vers (où Michel-Ange donne la parole à sa Nuit du tombeau des Médicis) :
    Caro m'è 'l sonno, e più l'esser di sasso
    s'accompagne, je crois, d'une citation de la Quatorzième Symphonie : il s'agit du passage qui met en musique la Mort du poète, de Rilke - derrière ces mots-ci, ceux-là. La Nuit, le sculpteur, le poète et Chostakovitch : que d'alter ego convoqués dans l'ombre !

    La Suite débute par une fanfare qui sera répétée plus loin. Fanfare de marbre, solennelle et nue, elle confond les trompettes d'un Jugement dernier et celles embouchées par la Renommée. Elle sonne la gloire et ouvre à la Vie éternelle.

    La dernière pièce, par contraste, agrémente l'immortalité d'un air guilleret et carillonnant. La Quinzième Symphonie commence par un air semblable et presque railleur confié aux flûtes. Elle se conclut dans une même allégresse énigmatique frappée par les percussions. Entre-temps on a entendu des collages de musiques de Rossini (comme dans Jeu de cartes de Stravinski) et de Wagner qui donne aux autres épisodes des apparences de pastiche ou de parodie.

  • onirie, ironie

    L'autre nuit, dans mon rêve, je relis des notes anciennes de ce carnet et je n'y comprends goutte.

  • Brahms

    Aux Bouffes du Nord.

    Premier Quatuor à cordes de Brahms. C'est peut-être la première fois que je l'entends. Je crois pourtant reconnaître le troisième mouvement (est-ce possible ?). Le reste du temps, je suis distrait par le ronflement des projecteurs. Un cinquième protagoniste, indésirable, se mêle aux quatre musiciens. Il est perché contre la rampe du balcon ou en haut des murs. Il siffle continûment, sans perdre haleine, se faisant entendre dès que les autres baissent la voix.

    En seconde partie, le Quintette pour clarinette et cordes. C'est là ce que Brahms a composé de meilleur, je crois. La clarinette est mise au centre. Elle prend des poses de charmeur de serpents, se tournant vers le premier violon ou le violoncelle. Mais, loin de diriger leurs évolutions, elle les accompagne ou cherche à s'en faire accepter. Elle ne peut rivaliser avec leur mobilité, avec la sinuosité de leurs parcours. Elle ajoute une ombre heureuse à leur jubilation tranquille.

  • Voix

    Le Cul de Judas de Lobo Antunes est un monologue. Dans un bar de Lisbonne, un homme raconte à une inconnue sa vie de médecin militaire pendant la guerre en Angola. Sa voix rappelle celle de Marlow dans Coeur des Ténèbres de Conrad. ( Et je me souviens de cette image qu'on y trouve : la description d'un bateau de guerre français en train de canonner la côte déserte de l'Afrique...

    Once, I remember, we came upon a man-of-war anchored off the coast. There wasn't even a shed there, and she was shelling the bush. It appears the French had one of their wars going on thereabouts. Its ensign drooped limp like a rag; the muzzles of the long six-inch guns stuck out all over the low hull; the greasy, slimy swell swung her up lazily and let her down, swaying her thin masts. In the empty immensity of earth, sky, and water, there she was, firing into a continent. Pop, would go one the six-inch guns; a small flame would dart and vanish, a little smoke would disappear, a tiny projectile would give a feeble screech-- and nothing happened. )

  • Une tête sur un frigo

    (...) des bustes de Saint Vincent de Paul (...) qui allaient décorer le haut des réfrigérateurs sur des ovales de crochet si bien qu'on aurait dit que le ronronnement des appareils naissait de leurs oesophages de terre cuite affligés par des indigestions de burette.

    (Le Cul de Judas de Lobo Antunes (trad. P Léglise-Costa)).