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Refermés - Page 50

  • XCIX

    Au Grand Palais, pour revoir les Lorrain rassemblés dans l'exposition de peinture française.

    Pourquoi ne pas dire que devant la Répudiation d'Agar, plus qu'au monde de la Bible, je pense à un poème de Baudelaire, tel qu'il a été lu par Walter Benjamin dans Paris, Capitale du XIXème Siècle (il ne s'agit pourtant pas d'un lever, mais d'un coucher de soleil) :

    Les poèmes XCIX et C des Fleurs du Mal sont, dans l'oeuvre de Baudelaire, étranges et solitaires comme les grandes statues de l'Ile de Pâques. On sait qu'ils appartiennent aux parties les plus anciennes du livre ; Baudelaire lui-même a abondamment indiqué à sa mère qu'ils se rapportaient à elle et qu'il ne leur avait pas donné de titre car il trouvait choquant de révéler cette connexion secrète. Les deux poèmes, surtout le premier, respirent une paix qu'il est rare de trouver chez Baudelaire. Ils donnent tous les deux l'image de la famille dont le père est mort ; mais le fils, loin de prendre la place de celui-ci, la laisse vide. Le soleil lointain qui se couche, dans le premier poème, symbolise le père dont le regard - "grand oeil ouvert dans le ciel curieux" - se pose sans aucune jalousie , et avec une sympathie distante, sur le repas que la mère et le fils partagent. (...)

  • Seule la lumière

    L’inachevable

    Quand il eut vingt ans il leva les yeux, regarda le ciel, regarda la terre à nouveau, – avec attention. C’était donc vrai ! Dieu n’avait fait qu’ébaucher le monde . Il n’y avait laissé que des ruines.
    Ruines ce chêne, si beau pourtant. Ruines cette eau, qui vient se briser si doucement sur la rive. Ruines le soleil même. Ruines tous ces signes de la beauté comme le prouvent bien les nuages, plus beaux encore.
    Seule la lumière (…)

    (La suite dans La Vie errante d’Yves Bonnefoy.)

    Pour continuer cet écho dans l’escalier, le buisson de Ruysdael qui est au Louvre.

    (La lumière règne dans les nuages ; pendant que l’ombre grouille dans l’enchevêtrement végétal. Il y a à droite le chemin ouvert ; la broussaille est impénétrable. Il y a à gauche dans l’éloignement la ville de Harlem avec l’ordre de ses églises et de ses tours ; au centre l’informe et la disproportion.)

  • Across and beyond

    Fantômes.

    "They don't know, as yet, quite how--but they're trying hard. They're seen only across, as it were, and beyond--in strange places and on high places, the top of towers, the roof of houses, the outside of windows, the further edge of pools; but there's a deep design, on either side, to shorten the distance and overcome the obstacle; and the success of the tempters is only a question of time. They've only to keep to their suggestions of danger." (The Turn of the screw – James)

  • Everything, finally, is sex

    En relisant Le Tour d'écrou, je tombe sur des pages qui me remettent en mémoire les paroles du narrateur de Jeunesse de Coetzee : Even Henry James, on the surface so proper, so Victorian, has pages where is darkly hints that everything, finally, is sex.
    Par exemple ce passage où la gouvernante et Mrs Grose discutent du caractère du petit Miles, dix ans (remarquez que ce dernier n’est jamais explicitement nommé) :

    "I take what you said to me at noon as a declaration that you've never known him to be bad."
    She threw back her head; she had clearly, by this time, and very honestly, adopted an attitude. "Oh, never known him--I don't pretend that!"
    I was upset again. "Then you have known him--?"
    "Yes indeed, miss, thank God!"
    On reflection I accepted this. "You mean that a boy who never is--?"
    "Is no boy for me!"
    I held her tighter. "You like them with the spirit to be naughty?" Then, keeping pace with her answer, "So do I!" I eagerly brought out. "But not to the degree to contaminate--"
    "To contaminate?"--my big word left her at a loss. I explained it. "To corrupt."
    She stared, taking my meaning in; but it produced in her an odd laugh. "Are you afraid he'll corrupt you?" She put the question with such a fine bold humour that, with a laugh, a little silly doubtless, to match her own, I gave way for the time to the apprehension of ridicule.

    On trouve dans ce dialogue une des armes favorites des personnages jamesiens : la phrase en suspens. C’est une façon de désarçonner son interlocuteur qu’on rencontre souvent, je crois, dans la vie de tous les jours. A l’autre de finir la phrase ou de proposer un sens, au risque de dévoiler sa pensée, et d’en trop dire, alors que vous restez dans l’ombre confortable de l’ambiguïté. Ici c’est successivement la gouvernante puis Mrs Grose qui tire ; avec l’avantage à cette dernière, quand la gouvernante est contrainte de lâcher une énormité : le mot ‘corrupt’, pour désigner les entreprises du garçonnet.
    Mais la gouvernante n’a pas dit son dernier mot. Dans le deuxième round, elle choisit une autre arme dans l’arsenal de l’ambiguïté jamesienne : le pronom personnel. Qui donc se cache derrière ce ‘il’ ? Le petit Miles, son oncle séduisant, ou bien le double de celui-ci, le maléfique Quint ?

    But the next day, as the hour for my drive approached, I cropped up in another place. "What was the lady who was here before?"
    "The last governess? She was also young and pretty--almost as young and almost as pretty, miss, even as you."
    "Ah, then, I hope her youth and her beauty helped her!" I recollect throwing off. "He seems to like us young and pretty!"
    "Oh, he did," Mrs. Grose assented: "it was the way he liked everyone!" She had no sooner spoken indeed than she caught herself up. "I mean that's his way--the master's."
    I was struck. "But of whom did you speak first?"
    She looked blank, but she coloured. "Why, of him."
    "Of the master?"
    "Of who else?"

    Cette fois-ci, la gouvernante a gagné ; elle a enrôlé Mrs Grose dans son délire ; les fantômes peuvent apparaître.
    Pour conclure, voici un autre extrait du Jeunesse de Coetzee qui prolonge ce que j’ai essayé de dire, appliqué aux dialogues de la Coupe d’Or ou des Ailes de la Colombe :

    People in James do not have to pay the rent ; they certainly do not have to hold jobs ; all they are required to do is to have super-subtle conversations whose effect is to bring about tiny shifts of power, shifts so minute as to be invisible to all but the practised eye. When enough of such shifts have taken place, the balance of power between the personages of the story is (Voilà !) revealed to have suddenly and irreversibly changed. And that is that : the story has fulfilled its charge and can be brought to an end.

    (A peu près : Dans les livres de James les gens n’ont pas de loyers à payer  ; ils n'ont bien évidemment pas besoin de travailler ; tout ce qu’on leur demande, c’est d’avoir des conversations hyper-subtiles qui ont pour effet de provoquer de minuscules transferts de puissance, des transferts si infimes qu’ils sont invisibles sauf à l’œil exercé. Quand un nombre suffisant de ces transferts a eu lieu, le rapport de forces entre les personnages s’avère (Voilà !) avoir été modifié de façon soudaine et irréversible. Et tout est là : le récit a rempli son rôle et peut s’achever).

  • Schubert, Einstein

    Vendredi à la Cité de la Musique, musique pour chœur de Schubert et de Brahms.

    Heureux concert, avec le souvenir d’un hiver passé à lire (et à écouter, et à relire) le livre d’Einstein, Schubert, portrait d’un musicien (trad. Delalande).

    Ce soir-là il y avait donc entre autres das Grab, Coronach, Nachthelle, et l’occasion de citer Einstein pour :
    Ständchen (Sérénade, de Grillpazer) : Schubert en l’entendant : « je n’aurais jamais cru que ce fût aussi beau » (…); ce contralto profond qui plane au-dessus des voix d’hommes comme une étoile au-dessus d’une onde légèrement agitée. (Tant pis si la soliste n’était pas Brigitte Fassbaender).
    Et Das Gesang der Geister über dem Wasser (Le Chant des esprits au-dessus des eaux, de Goethe) : Quiconque ignore une œuvre comme celle-là n’a aucune idée de la grandeur de Schubert (…) ; l’œuvre débute et s’achève dans un climat de contemplation méditative, sur un tempo extrêmement lent, soutenu aux cordes par ce rythme dactylique (une longue, deux brèves) cher entre tous à Schubert ; elle s’anime de plus en plus jusqu’au faîte de l’intensité dramatique, où les voix se joignent à l’unisson ou en succession de tierces ; puis elle s’apaise, se fait pastorale et s’éteint dans le souffle d’un pianissimo le plus léger. Le moindre mouvement du texte est rendu ; chaque image prend du relief.

    Après cela la musique de Brahms paraîtrait bien lourdingue, s’il n’y avait le poème de Hölderlin, le Chant du Destin d’Hyperion – avec la stupeur finale des hinab …  hinab, béants devant l’abîme.

    On a donc eu successivement le poème de Goethe et celui de Hölderlin avec la même chute de l’eau dans les rochers (‘Klippe’). Mais, chez le premier, elle finit, étale, à refléter les étoiles avant de les rejoindre ; chez le second, dans le gouffre incertain disjoint de l’éternelle clarté (trad. Jaccottet).

  • Seconde nuit

    Le genêt, de Leopardi.

    Il marche sur la terre brûlée du Vésuve. Il s’arrête dans un champ de lave noire. Il lève les yeux vers les étoiles. Leur flamboiement se transmet au miroir lointain de la mer. Les limites du monde brillent dans l’azur.

    (…)
    Sovente in queste rive,
    Che, desolate, a bruno
    Veste il flutto indurato, e par che ondeggi,
    Seggo la notte; e su la mesta landa
    In purissimo azzurro
    Veggo dall'alto fiammeggiar le stelle,
    Cui di lontan fa specchio
    Il mare, e tutto di scintille in giro
    Per lo vòto seren brillare il mondo.

    (…)

    Nuit redoublée de la terre, obscure dans la nuit étincelante de la mer et du ciel.

  • La voix se brise

    La Douce, de Dostoïevski.

    Et donc, un mois plus tard, sur les cinq heures, en avril, par une journée claire et pleine de soleil, j’étais installé à ma caisse et je faisais les comptes. Soudain, je l’entends, elle, qui, dans notre chambre, à sa table, plongée dans son ouvrage, tout bas, tout bas …  s’était mise à chanter. (…) Elle chantait à mi-voix, et, d’un seul coup, elle a monté, et elle s’est brisée net, la voix – une petite voix mais si pauvre, elle s’est brisée, mais si touchante ; elle a toussé, et de nouveau, tout bas, tout bas, à peine, à peine, elle s’est remise à chanter. (trad. A Markowicz)