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Noms de musiciens - Page 6

  • Tchaïkovski, Rott

    Salle Pleyel.

    Première symphonie de Hans Rott.

    (Que du paroxysme ! Les mouvements ont l’air trop courts pour ces apothéoses, comme s’ils n’étaient que la partie émergée d’un vaste complexe sonore, que de toute la montagne il ne restait que la crête. Comme un jeune animal qui à  la première  provocation se hérisse et s’irrite, l’orchestre à peine lancé croît au plus fort volume, se gonfle, fait marcher les timbales et hisse les cuivres – avec  la sonnerie quasi ininterrompue du triangle, comme le grelot de la folie ou une alarme déréglée. Dans le scherzo, la musique par moments se retourne sur elle-même, surprise d’entendre sa  propre voix ; elle se parodie, reprend d’un ton faux et criard une fanfare ou un air ; ce roulement de timbale, omineux, lui a fait peur, elle se tait.)

  • Mozart, Bruckner

    Salle Pleyel.

    Cinquième de Bruckner.

    (Les cieux sont étagés comme dans certains vieux retables et montent par grandes masses abruptes jusqu’à la lumière éternelle qui les coiffe, les déborde et les englobe dans la profondeur. Tout en bas, à gauche, les champs où l’homme foule lourdement la glèbe ; à droite, la forêt est pareille à des piliers et aux tuyaux de l’orgue, et à la grande fugue qu’ils jouent. On entend le son du cor dans la distance (que cette distance soit le temps ou l’espace, l’abîme de la nostalgie ou de la mysticité). Cependant un ange "en haut de l’univers juché" sonne la trompette ; le soleil invisible se dégage, obéissant aux lois d’un monde impénétrable, et fait rougeoyer les vitraux au fond de l’édifice.)

  • Schubert, Wolf

    A l'amphithéâtre de l'opéra Bastille, récital de lieder de Schubert et de Wolf.

    (Les lieder de Mignon successivement dans des versions de Schubert et dans celles de Wolf. Si, pour Schubert, on peut encore imaginer, à la limite, que c’est le personnage de Goethe qui chante, chez Wolf c’est la Muse qui prête sa voix à la jeune fille. Ce ne sont plus des chansons mais des pages du roman mises en musique et un surcroît de sens fait résonner les "allein" blêmes de Heiss mich nicht reden ou les "ziehen" tremblants de désir de Kennst du das Land.)

  • Boulez

    Salle Pleyel.

    (J'ai longtemps fait de vains efforts, certes mesurés, pour aimer Pli selon pli, appâté par la très haute réputation de l'oeuvre et par les poèmes qu'elle incorpore à défaut de faire entendre. Obéissant à l’habitude, j'y retourne, donc (j'avais oublié que j'avais déjà assisté à une exécution au concert des trois pièces centrales) mais sans plus de résultat. Le compositeur, qui dirige, a beaucoup vieilli ; c’est une chose cruelle à voir que ce face à face entre une musique immuable et son créateur, qui ne l’est pas... (A moins qu’il ne s’agisse de la mise en abyme d’un Tombeau selon Mallarmé). A la fin, l’arrêt est prononcé : « la mort », dernier mot du poème consacré à Verlaine. Ce « la mort » chuchoté mais sonore, pénultième, et la  grande déflagration de tout l'orchestre qui suit me paraissent contredire le sens du vers, qui évoque la chanson douce de Sagesse. Mais je comprends sans doute mal la valeur musicale de cette coda spectaculaire.)

  • Mahler

    Au Théâtre des Champs-Elysées.

    … Et résonne encore la flûte
    Dans la fumée des choses transparentes


    (Le Chant de la Terre est peut-être la première musique que j’ai aimée, il y a bien longtemps, particulièrement « parce qu’on n’y reconnaissait pas le son des instruments » – Au cœur de l’Abschied, l’orchestre est quasi dissous dans le souffle noir issu du grondement du gong ou de l’ébranlement des cordes les plus graves. Mais la flûte résonne encore ; elle fuit et court comme une voix que le pressentiment de son propre silence apeure, et puis cesse.)

  • Rossini, Mozart, Beethoven

    Concert, salle Pleyel.

    Vingt-quatrième concerto pour piano de Mozart.

    (Je crois avoir lu, il y a fort longtemps, une singulière présentation de l’œuvre que je découvrais alors (parmi les premières) et l’image ne s’est pas effacée depuis. Ce n’était pas seulement le plus beau ou le plus dramatique des concertos de Mozart et une des plus magistrales créations du compositeur : l’ouvrage tenait une place insigne dans l’histoire de la musique, ou mieux de l’esprit. Ici on pouvait entendre pour la première fois (ne me demandez pas comment) que le devenir historique s’était rendu sensible à l’homme. Etait-ce dans les coups de boutoir du premier mouvement, dans la grâce faussement naïve du larghetto ou bien dans les variations du finale ? je ne sais pas : il ne fallait pas distinguer. A la fin du siècle des lumières, à la veille de bouleversements majeurs, l’homme ajoutait au sentiment de sa propre mortalité la conscience de la caducité du système social ou spirituel qui l’englobe et de ses transformations. Et la découverte était source de terreur ou d’euphorie).

  • Mahler

    Sixième de Mahler, au théâtre du Châtelet.

    (Les fameux coups de marteau du finale : l’instrument n’en est pas un, un maillet contre une planche, et le coup outrepasse l’orchestre. Ils ponctuent certes les grandes oscillations du balancier musical mais ils semblent alors non pas sortir de la masse sonore mais y entrer, s’y imprimer. Chaque coup affole l’orchestre comme un fouet (et le troisième, celui qui fut supprimé, mille fois plus fort, à peu de temps, l’abat). Les harpes craquent, les cordes soufflent sans voir, les cloches des troupeaux passent nocturnement en coulisse. L’orchestre titube comme un géant. Mais un sursaut, un assaut rassemblent ses forces, les portent jusqu’à la plus grande affirmation. Alors le coup tombe : qu’il soit foudre divine, châtiment de tout orgueil, ou le signe physique de la mort, simple ponctuation du non-être – la troisième fois, la musique finit, ayant bu la goutte de néant qui manque à la mer.)