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Noms de musiciens - Page 2

  • Strauss, Brahms

    Concert au Théâtre des Champs-Elysées.

    (Also Sprach Zarathustra : passée l’introduction, je ne reconnais plus rien, je renonce à suivre les titres du programme et j’en suis réduit à rêvasser aux ressemblances avec d’autres morceaux du compositeur : semblables non par les thèmes sans doute mais par les tournures et les couleurs. Je crois donc voir passer, dans l’épais ragoût straussien,  quelques images des opéras ultérieurs : danses lourdement anachroniques d’Elektra, monologues méditatifs d’Arabella ou de Capriccio, et leurs intermèdes nocturnes, musiques de métamorphose.)

  • Prokofiev, Chostakovitch

    Salle Pleyel.

    (Premier concerto pour violon de Prokofiev. L'oeuvre s'accorde aux impressions que donne généralement la musique de Prokofiev : c'est une création au fond toujours accueillante, de celles qu'on peut apprécier dès le premier abord. Sa séduction, qui peut être à la longue décevante, vient de la succession d'effets et de numéros brillants. Sous les oripeaux modernistes, avec sa raucité et ses pétarades, elle rappelle les fééries anciennes ; elle accompagnerait les prouesses de danseurs ou d'accrobates et la pantomime dans un cirque idéal.)

  • Beethoven, Schumann

    Concert salle Pleyel.

    (Entendant l’ouverture d’Egmont puis la Deuxième de Schumann, je ne peux que remarquer, dans les passages rapides, à quel point leurs régimes diffèrent. Chez Beethoven, l’énergie fabriquée par le processus musical est cumulative et, comme dans la machine de Wimshurt, elle produit tôt ou tard une décharge. Chez le second, il n’y a pas d’accroissement, l’électricité se dissipe dans le geste qui la crée : la ronde est fermée, ça danse sur place, comme un bouchon dans la mare que la vague soulève et ne fait pas avancer.  Ici, le développement peint un climat ou une émotion plus qu’il ne mène un discours ; il ne tend ni à une apothéose ni une assomption. Il n'engage pas de combat, il accueille une vision : ainsi dans le formidable adagio, une nef dérive lentement, perdue, tourne sur elle-même et, monotonement, lance par bouffées son cri, un appel qui n'attend pas de réponse.)

  • Webern, Brahms

    Concert au Théâtre des Champs-Elysées.

    (Vendredi, le chef enchaîne Lontano de Ligeti et l'adagio de la Dizième de Mahler, sans laisser au public l'occasion d'applaudir, gardant la main levée dans l'intervalle ; et cette transition muette a constitué, sans doute, le meilleur moment de la soirée : les altos débobinent le fil, la mélodie s'étire, le temps se désenchevêtre. Ce soir, même procédé pour la seconde partie du concert :  les Cinq Pièces de Webern précèdent sans coupure la Deuxième de Brahms. Comment faire autrement ? elles sont si brèves. Les saluts auraient duré plus longtemps qu'elles. Mais, cette fois-ci, la rencontre est malheureuse : les pauvres scintillations de Webern sont englouties sans retour dans le flot montant de la symphonie. Deux musiques : l'une ne peut se passer du silence, s'en abreuve, y rayonne ; l'autre l'ignore, elle le chasse devant elle et tire de son propre sein les contrastes qu'elle développe). 

  • Ligeti, Manoury, Mahler

    Salle Pleyel.

    (Lontano de Ligeti. Autant certaines pièces de Webern font penser à des symphonies de Mahler épurées et réduites à leurs couleurs et à leurs accents essentiels, autant ici on songe à une transmutation menée sur quelque mouvement de Bruckner. Mais l'opération en cause alors n'est pas une synthèse mais plutôt une sorte de grossissement ; comme une peinture observée de tout près, les grands traits de l'image sont perdus mais la texture se révèle et, dans la vision rapprochée, le grain de la couleur apparaît, cuivres et cordes  : deux touches juxtaposées, l'une sourde, l'autre limpide.  Ou bien : le cristal de l'oeuvre a subi une rotation, non pas dans l'espace mais dans le temps, et se présente désormais par la tranche, en raccourci ; les lignes ne sont plus allongées selon la pente de la durée mais apparaissent obliques, resserrées, et se chevauchent : renfermant, dans l'entrelacement, sa lumière particulière.  Ou mieux, selon Ligeti, cité dans le programme :)

    Une entrée soudaine des cors après un tutti éveille en nous, spontanément, sinon une association directe, du moins une allusion à certains éléments du postromantisme. Je pense ici avant tout à Bruckner et Mahler, mais aussi à Wagner. Notamment à un passage de Huitième symphonie de Bruckner, dans la coda du mouvement lent, où, dans un profond silence et une grande douceur, les quatre cors jouent subitement un passage qui sonne comme une citation de Schubert, mais vue par Bruckner. J'aimerais préciser qu'à l'éloignement spatial s'ajoute ici de plus l'éloignement temporel, c'est-à-dire que nous ne pouvons saisir l'oeuvre qu'à travers notre tradition, qu'à l'intérieur d'une certaine formation musicale.

  • Nielsen, Chostakovitch, Grieg

    Musique de scène pour Peer Gynt, à la salle Pleyel.

    (Ah ! le chœur mélancolique chanté par les plus humbles choses à Peer Gynt, alors qu'il revient, vieux et seul, au pays natal :)

    LES PELOTES
    Nous sommes les pensées que tu devrais avoir eues… Des petites menottes que tu devais nous offrir !
    Nous devions nous élever, voix émouvantes… et il faut que nous roulions, pelotes de fil gris.

    UN BRUISSEMENT DANS L’AIR
    Nous sommes les chansons que tu aurais dû chanter !... Mille fois, tu nous a réprimées et contraintes. Dans le creux de ton cœur, nous sommes restées, attendant… Jamais on n’est venu nous chercher. Qu’il y ait du poison dans ta gorge !

    DES BRINS DE PAILLE BRISEES
    Nous sommes des œuvres que tu devais accomplir. Le doute qui étrangle nous a estropiés et fendus. Au jour suprême, nous arriverons en bandes et annoncerons la chose… et cela suffira pour toi !

    (Ibsen, Peer Gynt – trad. R Boyer)

     

  • Schubert

    Schwanengesang, Salle Pleyel.

    (Une parole retentit dans toute la suite des lieder de ce cycle qui n'en est pas un, malgré le disparate des poètes, des humeurs, des climats et des circonstances ; son chant profère avec la même force magique des mots quelquefois banals quelquefois fatidiques. Seule l'ultime pièce a été rejetée après les applaudissements, en bis et en guise d'apostille : sie heisst -- die Sehnsucht ! Le souffle s'approfondit à mesure qu'il coule plus lentement, et touche au silence (qu'il met en mouvement, selon sa pente). La voix trouve son origine à la fin, dans le cauchemar lucide du Doppelgänger ; les fragments antérieurs s'y engloutissent à rebours. Le temps dédouble l'être : le présent s'immobilise, paralysé et pris de vertige, devant des souvenirs béants. Exils, nuits illunées, amours passées, la ville, au loin, et l'automne intercalaire. Leur âme expirée fait trembler la phrase : so manche Nacht, in alter Zeit !).