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Mes bouquins refermés - Page 77

  • Bach

    Concert à la salle Pleyel.

    Trois cantates de Bach dont "la 26" Ach wie flüchtig, ach wie nichtig: la plainte aussitôt lancée s'interrompt, fugitive "comme la vie de l'homme", happée par le même silence ; Wie sich die Tropfen plötzlich teilen la musique semblable à la goutte d'eau que la brève chute révèle et détruit.

  • Bassin de Latone

    Le gel commence à saisir l'eau du bassin. La glace encore peu épaisse est transparente ; le fond apparaît nettement dans l'eau froide : la tuyauterie des fontaines et les feuilles mortes noyées y rappellent les feuillages et les jets évanouis.
    (...souvenirs
    qui sont comme des feuilles sous (la) glace au trou profond
    )
    Des enfants (mais pas seulement) jettent du gravier dans la fontaine pour le plaisir, sans doute, de voir l'eau porter des pierres et entendent, sous les coups, le chant métallique de la glace tels des fils de fer qui vibrent.

     

  • Mahler

    Sixième symphonie, au Théâtre des Champs-Elysées.

    Pendant les trois premiers mouvements, je rongeais mon frein espérant beaucoup du finale (n’est-ce pas le plus prodigieux Mahler ?).  Puis elle finit par arriver, cette façon d’agonie, fureurs et effondrements, avec les fameux coups de marteau (deux avérés et le troisième manquant). Ensuite le silence se fit…  - eh quoi ! N’est-ce donc que cela ?… j’attendais encore.

  • Sierra de las calaveras

    La route suit la grande voie de la plaine entre les montagnes au loin : ça va très vite, il n’y a rien à voir ; tout est plat et nu. Seules, devant nous, deux chaînes perpendiculaires se détachent de l’horizon, se rejoignent et viennent barrer le pas. La route s’élève dans les collines en tournant. L’allure ralentit et s’intéresse aux cailloux épars sur la terre sèche, dans la pente des talus ou sous le poing des rochers. Ces pierres-là sont des ossements jaunis, courts et ronds. Têtes de mort qu’on voit sans horreur, curieuses formations géologiques.

  • Rome (5) - Incapacité

    Dans la Transfiguration de Raphaël, aux musées du Vatican, deux magnifiques figures d'apôtres. Ils se tiennent à l'extrême bord, à gauche de la scène inférieure ; ils se détournent, dans l'ombre, attristés par leur échec. Ils ont été incapables de guérir l'enfant malade qu'on leur a amené ; il ne voient pas la révélation qui a lieu sur la colline au-dessus d'eux. Ils baissent les yeux. Le plus jeune a ses deux mains ouvertes et levées, en signe d'impuissance. Seul l'arrête peut-être, sous son regard, le geste d'un de leur compagnon qui se redresse et dont le bras va se tendre vers la gloire ouverte dans le ciel.

  • Rome (4) - Chateaubriand

    Fête à la villa Médicis

    J'avais donné des bals et des soirées à Londres et à Paris (...); mais je ne m'étais pas douté de ce que pouvaient être des fêtes à Rome : elles ont quelque chose de la poésie antique qui place la mort à côté des plaisirs.

    (...) Je vois passer devant moi ces femmes du printemps qui s'enfoncent parmi les fleurs, les concerts et les lustres de mes galeries successives : on dirait des cygnes qui nagent vers des climats radieux. A quel désennui vont-elles ? Les unes cherchent ce qu'elles ont déjà aimé, les autres ce qu'elles n'aiment pas encore. Au bout de la route, elles tomberont dans ces sépulcres toujours ouverts ici, dans ces anciens sarcophages qui servent de bassins à des fontaines suspendues à des portiques ; elles iront augmenter tant de poussières légères et charmantes. Ces flots de beautés, de diamants, de fleurs et de plumes roulent au son de la musique de Rossini qui se répète et s'affaiblit d'orchestre en orchestre.

  • L'Obscurité

    Ne nous réveillons-nous maintes fois de notre sommeil ? nous pensons nous réveiller, nous entendons tout, voyons tout et sommes cependant endormis au plus profond de nous-mêmes, emplis des poisons secrets et salutaires du sommeil, restons étendus un petit moment et notre pensée en apparence si éveillée fixe quelque profondeur de notre existence d'un terrible regard d'acier, d'un regard plein de tourments ? Rien ne tient tête à ce regard. Comment puis-je supporter cela (...) Comment se fait-il que je vive en supportant cela et ne mette pas fin à mes jours ? Car il n'y a pas de réponse supportable. Le jour va venir avec les cloches du matin et les voix des oiseaux, la lumière va devenir vivante mais cela ne changera pas. Cependant qu'on se rendorme une seule fois et cela s'en va (....). C'est le regard perçant d'un dormeur et personne, ni aujourd'hui ni ultérieurement ne lui devra une réponse. (Hofmannsthal, Le Poète et l'époque présente, trad. A Kohn)

    L'Obscurité, de Jaccottet. Le narrateur (de ce court récit) revient après des années dans la ville qui a été le lieu de son apprentissage. Il s'enquiert de son maître et s'étonne de ne trouver pas même le souvenir de la gloire qui était la sienne. Le maître a déserté aussi la retraite heureuse qu'il s'était choisie, à la montagne. Après bien des recherches, le narrateur finit par le retrouver, seul, installé dans un  taudis de la ville, malade semble-t-il. Pendant toute une nuit (qui rappelle le "terrible regard d'acier" décrit par Hofmannsthal), il l'entend nier tout ce qui avait été la substance de son enseignement ; au lieu de la beauté constater la douleur et le vide ; se livrer à la plainte et au ressentiment.

    Le décor de cette chambre est peut-être le plus marquant : le désespéré occupe un ancien atelier d'artiste au rez-de-chaussée d'une cour intérieure. Quant le soleil bas de l'hiver a passé furtivement là-haut comme "une torche rouge", les lampes s'allument et laissent voir, à travers le feuilletage du verre, de la poussière et du crépuscule, les vies absurdes et méchantes des voisins.