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Mes bouquins refermés - Page 51

  • Cosmè Tura

    Au Louvre, prêté par le musée d'Ajaccio: La Vierge à l'Enfant avec saint Jérôme et une sainte martyre, de Tura.

    (Les couleurs ont noirci : les figures se mélangent aux colonnes de l’arrière-plan ; elles paraissent coiffées par les vases remplis de cerises du décor, qu’elles cachent à demi ;  les têtes rondes et les cous hauts et droits donnent l’impression d’un jeu de quilles.  Mais, au second regard, la lueur blanche des chairs perce sous l’obscurcissement de la peinture ; les volumes des draperies se dégagent de l’ombre ; les mains, magnifiques, sont vivantes, elles serrent et portent. Les visages de la sainte martyre et de la Vierge sont presque semblables : le même ovale, la bouche petite, le menton rond et les yeux cernés mais celui de la Vierge, animé par la douleur, se détourne pour ne pas voir l’Enfant jouer avec les fruits écarlates.)

  • Les voix extérieures

    La Glyptothèque de Copenhague jouxte le parc d'attractions de Tivoli. L'été les hurlements des passagers du grand-huit s'entendent par les fenêtres ouvertes dans la galerie des antiques. Ils prêtent leur cri aux gorges des Niobides et de Niobé que tous les efforts du marbre n'avaient pu rendre sonores.

  • Beethoven, Wagner

    Concert à la Laieszhalle de Hambourg.

    (La Laieszhalle est l’actuelle salle de concert symphonique de la ville. Dans le mesure où je peux en juger, elle remplit parfaitement son rôle, tant par la taille que par l’acoustique. La construction d'une nouvelle salle a néanmoins été décidée, comme à Paris, en prévision sans doute d’un engouement prochain et général pour le genre. Le premier concert est prévu en juin 2012. L’ « Elbphilharmonie » est par ailleurs la figure de proue spectaculaire d’un quartier neuf bâti dans une zone désaffectée du port. La publicité est abondante et les promeneurs sont nombreux autour du chantier ; on visite un pavillon de présentation et, en grimpant sur un escabeau, on peut même passer la tête, par le dessous, dans une maquette de l’amphithéâtre dont tous les sièges sont occupés par des figurines. Sur une affiche, un esprit chagrin a néanmoins écrit « Titanic » en regard d’une image du projet terminé ; voulant peut-être ainsi qualifier la forme générale du monument qui peut faire penser à une iceberg juché sur l'étrave gigantesque  d'un ancien entrepôt.)

    L’orchestre donne d'abord la quatrième symphonie de Beethoven, avec son deuxième mouvement en forme de mécanisme à bascule : une pulsation invariable heurte une phrase aux accents tranquilles, elle grossit jusqu’à ce qu’une décharge générale vide la tension accumulée.

    Après l’entracte, deux chanteurs rejoignent les musiciens pour un extrait du troisième acte de la Walkyrie. Ils font face à la salle et, privés des ressources du théâtre et des épisodes précédents, peinent à nous convaincre qu'ils sont Wotan et Brünnhilde ; chacun semble plaider pour lui-même une cause obscure, leurs interventions sont ponctuées de leitmotive désassemblés, leur visage reste dans l'ombre. Enfin les adieux de Wotan retissent ensemble la voix et la musique : on est en terrain familier ; tout un pan de la musique post-romantique semble varier cet air-là. Puis, comme un sorcier enflamme la mer, Wagner y mêle la musique du feu. Les motifs scintillants et inextinguibles viennent contredire la vieille musique expirante promettant une suite à ce congé trop majestueux.

     

  • Le Couronnement de Poppée

    Théâtre de Drottningholm.

    (Le théâtre apparaît transporté jusqu’à nous depuis le dix-huitième siècle, sans changement : un peu blanchi peut-être, mais intact. A l’intérieur, les chandelles ont bien été remplacées par des lampes qui les imitent ; mais les ampoules sont montées sur pivot et vacillent comme les vraies flammes. La mise en scène reprend les décors anciens de toiles peintes (l’intérieur d’un palais, des jardins d’Italie, les rivages de la mer…) ; seuls certains effets d’éclairage ont l’air modernes.
    L’architecture du temps, avec ses grandes ouvertures et ses murs sans épaisseur, semble faite pour la belle saison et le plein air : que devient-elle à l’automne ? Les portes-fenêtres du foyer ouvrent sur les pelouses du parc (où paissent des troupeaux d’oies). A l’entracte, alors que les spectateurs passent dehors,  le crépuscule d’été traverse la pièce dessinant les hautes arches sur le mur opposé.)

    Mais l’aménité des lieux ne déteint pas sur l’opéra qui y est représenté. La mise en scène est anglaise ; aucun caractère n’échappe entièrement à la mesquinerie. Le drame est plus vulgaire et brutal que voluptueux, malgré la musique. Néron aime beaucoup mordre et pincer son amante. Le personnage d’Othon, pour une fois, n’a rien de geignard, c’est un jeune noble écervelé qui change très vite de sentiment (amoureux dans la même journée de Poppée puis de Drusilla, fonçant tête baissée dans l’intrigue combinée par Octavie).

  • Musique ininterrompue

    Grande salle de musique, rectangle. Aux murs des panneaux gris-bleu de bois peint. Le public est dans les tribunes, sur trois côtés, et l’orchestre au centre sous l'enclos des lourdes balustrades. Les musiciens jouent les uns derrière les autres, assis en rang comme à l’école. Le chef travaille en bas dans l’ouverture sombre de la fosse ; mais toute l’attention va au soliste au milieu du parterre (je crois qu’il tient un violon). Quand sa partie est terminée, il se tourne sur sa chaise vers une jeune femme derrière lui qui ne porte pas l'uniforme de l'orchestre. C’est lui qui l’a amenée tout à l’heure et placée à côté des harpistes (Elle pince elle-même une sorte de petite harpe). Le violoniste l’encourage malgré la musique, chuchotant et battant la mesure. Elle égrène des notes qui résonnent lourdement. Le scandale ne doit pas leur sembler assez grand : le soliste et son élève chantent maintenant ce même air. Leur intervention a le dessus, elle passe les limites de l’orchestre, quelques voix dans le public se joignent à eux, les musiciens continuent à jouer et on ne sait plus s’il s’agit d’un concert ou d’un office.

  • L'arc brisé

    Le 9 septembre 1000, une bataille navale oppose dans la Baltique le roi de Norvège, Olaf, aux rois du Danemark et de Suède et au duc Eric, leur allié. Le roi Olaf est encerclé sur son navire, le Serpent.

    Einar Thambarskelfir était posté dans la maille étroite, à l'arrière du Serpent, et tirait à l'arc ; c'était un archer d'une adresse et d'une vigueur hors de pair. Il décrocha contre le duc Eric une flèche qui vint se planter dans la tête du gouvernail, au-dessus de la tête du duc, et s'enfonça jusqu'au fût. Le duc regarda autour de lui, puis demanda à ses hommes s'ils savaient d'où venait le trait, mais aussitôt une seconde flèche arriva si près du duc qu'elle vola entre son bras et sa hanche, puis alla se ficher dans le dossier [de l'homme de barre] si profondément que la pointe et une grande partie du fût en ressortirent. Le duc dit alors à l'homme qui selon certains s'appelait Finn, mais qui selon d'autres était Finnois, et qui était un excellent tireur à l'arc : "Vise le grand gaillard qui est posté dans la maille étroite !" Finn décocha une flèche qui arriva au beau milieu de l'arc d'Einar, au moment même où il le bandait pour la troisième fois. L'arc se fracassa alors en deux morceaux. Le roi Olaf déclara alors : "Qu'est-ce qui vient de se fracasser si bruyamment ? " Einar répondit : "C'est la Norvège, mon roi, qui vient de se fracasser entre tes mains. - Ce ne fut pas un si grand fracas, rétorqua le roi, mais prends mon arc et continue de tirer", et il lui lança son arc. Einar l'attrapa, engagea aussitôt une flèche dans et tendit l'arc bien au-delà de la pointe de la flèche. Il s'exclama alors : "Trop souple, trop souple est l'arc du souverain !" Il rejeta l'arc, se saisit de son bouclier et de son épée et se mit à combattre.

    (Snorri Sturluson, "Saga du roi Olaf Tryggvason" in Histoire des rois de Norvège (I) - trad. F-X Dillmann).