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Mes bouquins refermés - Page 137

  • L'Arrière-Pays

    A et B se rencontrent une première fois dans une diligence. Parmi les autres voyageurs : deux jeunes sœurs qui voyagent avec leur père. Peu après A et B se croisent à nouveau dans une auberge de la grande ville. Ils font connaissance ; une amitié naît entre les deux étrangers en habit noir : B est venu s'occuper d'un procès, A sollicite une place.

    Un jour de désœuvrement ils décident d'aller au spectacle. Mais A propose de laisser le hasard choisir : ils écriront le nom des cinq théâtres de Vienne sur des papiers pliés qu'ils feront tirer par un valet ; celui-ci se procurera les billets ; ils iront en voiture fermée sans connaître la salle ni le programme. Assis côte à côte dans les premiers rangs de l'orchestre, ils voient avec surprise s'avancer sur la scène l'aînée des deux sœurs de la diligence. A comprend alors qu'il s'agit de l'enfant prodige, de la violoniste virtuose, Theresa Milanollo. Ravi par la musique, il ne se rend compte que fort tard de l'émotion de son compagnon, de ses larmes, de ses sanglots. Après le concert, par délicatesse, il se refuse à l'interroger.

    Les démarches des deux amis s'achèvent, et pour tous les deux, par un échec. Avant qu'ils se séparent tristement, A promet de rendre visite à B au Tyrol sur le chemin de ce voyage en Italie qu'il rêve de faire un jour.

    Des années passent. Un héritage inespéré permet enfin qu'A réalise son projet. Arrivé à Merano, dans le Tyrol, il apprend que les revers de fortune ont conduit son ami à se retirer plus au sud, sur les bords du Lac de Garde, à Riva ou dans ses environs. Mais là-bas personne ne connaît B. A ne se décourage pas ; il loue une barque et, avec le secret espoir de porter secours à son ami, il explore les rivages du lac. Un jour un jeune pêcheur reconnaît le portrait que trace A et ajoute : que B joue merveilleusement du violon. Il lui montre un sentier qui s'élève dans la montagne. Au fur et à mesure de l'ascension, le paysage se fait plus sauvage et désert. Le soir, suivant le chemin qu'on lui a indiqué, il aperçoit une silhouette dans les derniers rayons du soleil, une jeune fille avec qui il échange quelques mots, mais qu'ébloui il ne peut voir.

    Arrivé à ce point de ma (re)lecture (des Deux Sœurs, de Stifter), je m'arrête, et pour paraphraser Yves Bonnefoy, c'est moi qui suis ébloui – par cette vision de l'Arrière-Pays.

  • Promontoire

    Une villa romaine occupait l'extrémité de la presqu'île. Les ruines que l'on voit aujourd'hui sont celles des constructions inférieures ; elles formaient le soubassement de la terrasse mi-artificielle mi-naturelle où étaient installés les bâtiments d'habitation, autour d'une grande cour ou jardin. Ce sont ces cryptoportiques, ces arcs, ces voûtes détruites qui ont fait donner à l'endroit le nom de Grottes.

    Le sommet du promontoire est un champ planté d'oliviers. L'étendue est limitée par un vide, laissé par l'effondrement des étages inférieurs, avec au-delà la surface du lac. Un jardin suspendu entre le ciel et l'eau.

     

  • Mal vus

    La princesse de Trébizonde, qui plaisait tant à Giono, était peut-être visible il y a quelques années encore, accrochée à hauteur d'homme dans la Chapelle Giusti de Sant'Anastasia. Plus maintenant : la fresque de Pisanello a retrouvé sa place d'origine au-dessus de l'arc de la Chapelle Pellegrini, à dix mètres du sol.

    Le célèbre triptyque de Mantegna à San Zeno Maggiore de Vérone a été installé dans le chœur. On devine l'espace majestueux qui entoure les figures et que des piliers carrés instaurent devant l'azur semé de nuages blancs. Mais une barrière dans l'église interdit de s'approcher. Faut-il alors se réjouir que le retable ait été privé de sa prédelle et que le panneau central en soit exposé au Louvre ? (pourtant dans un endroit aussi peu propice que la Grande Galerie).

  • Mantoue

    (...) des peintures où Mantegna a accordé l'histoire des Gonzague aux arbres, aux chevaux, aux monuments et au ciel, en trouvant même, au-dessus de leur destin qui paraît d'ailleurs ici plus lourd que joyeux, la place du rêve que suscite toute trouée vers le lointain. (Jaccottet - La Semaison)

    [Mantegna - Fresques de la Chambre des époux - détail de l'oculus]

    (Arasse voit dans dans les nuages, le profil d'un visage typiquement mantegnesque, autoportrait, incertainement visible)

    (HAMLET : Do you see yonder cloud that's almost in shape of a camel ? POLONIUS : By the mass, and 'tis like a camel, indeed. HAM. : Methinks it is like a weasel. POL. : It is backed like a weasel. HAM. : Or like a whale ? POL. : Very like a whale.)

  • Italian Hours

    I write these lines with the full consciousness of having no information whatever to offer. I do not pretend to enlighten the reader ; I pretend only to give a fillip to his memory ; and I hold any writer sufficiently justified who is himself in love with his theme.

    Dans les pages d'où sont extraites ces lignes, Henry James ne fait pas beaucoup plus que donner une liste de tableaux (rappelant que Venise ce n'est pas la littérature ou la musique - quoi qu'en dise Nietzsche - mais la peinture, et que ce n'est que là qu'on peut avoir une idée du génie de Bellini, Carpaccio ou Tintoret).

    Notamment : l'Assomption, de Titien (à l'époque à l'Accademia, maintenant aux Frari) ; la Présentation de Marie au Temple, de Tintoret (à Santa Maria dell'Orto) ; le Baptême du Christ, de Cima da Conegliano (à San Giovanni in Bragora) ; la Crucifixion, de Tintoret (à la Scuola di San Rocco) ; la Vierge aux anges musiciens, de Bellini (aux Frari) ; la Pala de San Giobbe, de Bellini (à l'Accademia) ; la Pala de San Zaccaria, de Bellini (à San Zaccaria) ; Saint Jérôme, de Bellini (à San Giovanni Crisostomo) ; San Giovanni Crisostomo, de Sebastiano del Piombo (dans la même église) ; les Deux dames vénitiennes, de Carpaccio (au Musée Correr).

    Et puis encore deux œuvres jumelles de Carpaccio. Chambre, solitude, visitation divine : la lumière surnaturelle ou l'ange entrent par les ouvertures du mur de droite, réduites à des fentes par la perspective. Sainte Ursule endormie (à l'Accademia) et Saint Augustin (à la Scuola de San Giorgio degli Schiavoni).

    (Scuola di San Giorgio degli Schiavoni : un endroit magique, symbole de Venise, pour l'accord du lieu et de l'image).

  • Flammes peintes, langues de pierre

    Matin dans le vaporetto n°42 vers les Fondamente Nove. Dans la brume une Venise nouvelle paraît, bleue au loin resserrée dans son île, fantastique : non pas le sommet pointu de tours par-dessus les murs, mais la cime des cyprès du cimetière de San Michele.

  • La même chose

    Une phrase de Philippe Jaccottet dans la Semaison : je ne fais que redire la même chose toujours ; si au moins ce pouvait être de plus en plus vrai.