Dans un article consacré au Ring (à l'occasion de la production de Bayreuth des années 1976-1980), Boulez (prêchant peut-être pour sa paroisse) loue Wagner pour la familiarité qu'il a développée avec ses propres œuvres tout au long de la lente gestation de l'Anneau du Nibelung ; une indiscrétion de Cosima nous apprend qu'elles étaient souvent jouées au piano « à la maison ». Il semble (...) que cette familiarité (a permis de) stimuler, exciter, décupler son imagination et son adresse dans l'emploi de ce matériel, (...) lui évitant de réaliser par un effort laborieux et artificiel une croissance qui s'est accomplie de façon miraculeusement organique. Il cite comme autres exemples de cette méthode un musicien, Berg, et un romancier, Balzac. Mais comme souvent avec Wagner (et réciproquement), je songe à Proust. Un exemple entre cent de cet art de composer en variant, répétant, réarrangeant des thèmes travaillés de longue date : un article paru dans le Figaro en 1907 et qui a failli s'appeler « Le Snobisme et la postérité » (en passant : une formule qui pourrait servir de sous-titre à la Recherche). Après des pages consacrées au téléphone qui seront reprises dans le Côté de Guermantes, il y a - dans la partie coupée par le journal - l'évocation de ces femmes du monde qui laissent des mémoires où elles donnent à leur salon un rôle éclatant qu'il n'avait pas dans la réalité ; tandis que leurs rivales, qui régnaient dans le monde, n'ont pas eu souci d'écrire. Retentit alors le leitmotiv de Madame de Villeparisis (et de Norpois) : les personnes de ce genre ont souvent une longue liaison avec un vieil homme d'Etat qui vient causer politique avec elles tous les soirs en jouant au bézigue et qui généralement n'a pu parvenir à fixer chez elle la société élégante etc.