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Mes bouquins refermés - Page 136

  • Malcesina

    Le 13 Septembre 1786, Goethe s'embarque pour une promenade sur le lac de Garde. Le soir, comme le vent a tourné, le bateau est obligé d'accoster dans le port de Malcesina, en territoire vénitien, juste après la frontière avec l'Empire d'Autriche. Le lendemain, tirant partie de son escale forcée, Goethe entreprend de faire quelques croquis de la forteresse (une ruine ; y entre qui veut).

    Mais bientôt un attroupement se forme ; les autorités arrivent ; on l'accuse d'être un espion à la solde de l'Empereur. Goethe ne se laisse pas impressionner, et improvise un petit discours où il établit un parallèle entre les ruines fameuses de l'Antiquité Romaine et celles, méconnues, du Moyen-Age. Il vante les charmes du pays et, en particulier, ce donjon qu'il est en train de dessiner. La foule sans vouloir se détourner d'un orateur si brillant (ou d'un individu si suspect) commence à se tordre le coup pour voir derrière elle un peu de cette beauté inédite et pourtant familière.

    (Et deux siècles plus tard nous continuons de loucher comme, alors, les habitants de Malcesina, lisant la description et tâchant de voir, par dessus ou à travers, en même temps, le paysage décrit).

  • Haydn, Bruckner

    Premier concert de la saison (après deux mois de musique en conserve) au Théâtre des Champs-Elysées.

    Une symphonie de Haydn (hélas sans les commentaires de Zvezdo), numérotée 44, et la quatrième de Sibelius Bruckner. Espérons que ce sera mieux la prochaine fois.

    (Penché par-dessus la rambarde du deuxième balcon : l'impression que la couleur n'est plus la même. Est-ce l'automne déjà comme pour les marronniers de l'avenue Montaigne ? ... ah, c'est qu'ils ont posé un parquet à l'orchestre et changé la cage de scène ; j'attends maintenant les considérations sur la nouvelle acoustique de la salle).

  • Le miroir de la mer

    Au milieu exact de ma promenade je fais demi-tour. Sur le sentier côtier le compte des allers et le compte des retours toujours exactement s'équilibrent. J'ai laissé à main droite, je trouverai à main gauche, le raz périlleux entre l'île et la rive où les courants adverses luttent dans la mer –  et sourdent inconciliables l’œil d'eau étale, le hérissement du ressac.

  • Traductions

    Comment peut-on lire de la poésie en traduction ? Mais Philippe Jaccottet (toujours dans La Semaison) :

    Le poème de Mandelstam, de 1921, qui commence par le vers : Je me suis lavé, de nuit, dans la cour (ou simplement « dehors »), représente à mes yeux un modèle de poésie à opposer à presque toute celle qui s'écrit aujourd'hui (...). Réconciliant le proche et le lointain à partir des choses les plus simples, rude sans être crispé, douloureux mais sobre. D'ailleurs, aucun poète depuis des années ne m'a donné le sentiment de la « grande »  poésie comme Mandelstam, même à travers des traductions que l'on devine de valeur très inégale.

    Ci-après deux versions du poème cité. La langue est perdue, l'image demeure. Le sel et l'étoile.

  • Je me lavais dehors en pleine nuit

    Je me lavais dehors en pleine nuit.
    Le firmament brillait d'âpres étoiles.
    La cuve refroidit, pleine à ras bords,
    Et le rayon est comme du sel sur la hache.

    A double tour on a fermé la grille.
    La terre est rude en toute conscience.
    On chercherait en vain plus pure trame
    Que la vérité de la toile fraîche.

    Dans la cuve l'étoile fond comme du sel
    Et l'eau froide est de plus en plus noire,
    Et plus pure la mort, plus âcre le malheur,
    Et la terre plus cruelle et plus vraie.

    (Ossip Mandelstam - trad F Kérel)

  • Je me lavais de nuit dans la cour

    Je me lavais de nuit dans la cour –
    Le firmament brillait d'étoiles rêches.
    Rayon de l'étoile comme du sel sur la hache,
    Pleine à ras bords refroidissait la cuve.

    On a verrouillé le portail,
    Et la terre, en conscience, est rude, –
    Où trouver substance plus pure
    Que la vérité écrue de la toile fraîche ?

    Pareille au sel l'étoile fond dans la cuve,
    Et l'eau froide devient plus noire,
    Plus pure la mort, plus salé le malheur,
    Et la terre plus vraie, plus épouvantable.

    (Ossip Mandelstam - trad R Char et T Jolas)

  • Riva

    Un jour une barque aborde dans le port de la petite ville de Riva. En sort un brancard porté par les mariniers où une forme humaine est étendue, sous une couverture à fleurs. Ils traversent la place et entrent dans une des maisons du bord de l'eau. Seuls les enfants et les pigeons semblent marquer un peu d'intérêt à ce cortège.

    Mais bientôt arrive un individu coiffé d'un haut-de-forme avec un crêpe. Il frappe à la porte, on le fait monter jusqu'à la pièce où le corps repose entre des cierges, comme pour une veillée mortuaire. Mais l'homme couché là, avec sa barbe et ses cheveux en désordre, n'est pas mort ; il n'est pas vivant non plus. Comme il l'explique à son interlocuteur, qui est le maire de Riva : un jour qu'il pourchassait un chamois dans la Forêt Noire, il s'est tué en tombant d'un rocher. Mais, pour une raison ou une autre, le processus mortel s'est interrompu et depuis, le chasseur navigue sur les eaux terrestres.

    Max Brod qui a composé le texte que nous lisons à partir de différents fragments laissés par Kafka, place alors ces mots dans la bouche du chasseur Gracchus :
    - Personne ne lira ce que j'écris, personne ne viendra à mon aide. Si on faisait un devoir de me venir en aide, les portes de toutes les maisons resteraient fermées, toutes les fenêtres fermées ; tous garderaient le lit, la tête sous les couvertures : le monde entier comme une auberge la nuit. Ce n'est pas sans raison (....) L'idée de me venir en aide est une maladie et doit être soignée au lit.

    Le maire s'inquiète : « comptez-vous maintenant rester avec nous à Riva ? »

    (Variation très personnelle sur le thème du Hollandais Volant).