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Noms de musiciens - Page 20

  • Mahler, Chostakovitch

    Hier soir au Théâtre des Champs-Elysées. Concert Mahler, Chostakovitch.

    D'abord, les Rückert Lieder. J'avoue que des lieder de Mahler, ça fait longtemps que je n'écoute plus que ceux du Compagnon Errant. Mais ce soir je suis sous le charme d'une chanson sans emphase (sauf le fin de Um Mitternacht, mais d'un ton si naïf) où la voix et les instruments parlent la même langue.

    Le bonheur, c'est quand elle dit, et l'orchestre avec elle dans le même souffle (et toute la salle frissonne et retient sa respiration) :
              Und ruh' in einem stillen Gebiet

    Et, alors, c'est elle, cela, le lieu tranquille, l'autre monde, l'habitation bénie du ciel et des ombrages.

    Après, tout pourrait s'arrêter et chacun rentrerait heureux chez lui.

    Ensuite, la Huitième Symphonie de Chostakovitch.

    Le malheur de cette musique, c'est l'Histoire. L'Histoire avec une grande hache, comme disait l'autre. Il suffit de rappeler qu'elle fut créée à Leningrad Moscou en 1943. Les images affluent. Que ce soient celles de la propagande soviétique, avec au mieux des séquences tirées d'un film d'Eisenstein, assauts de soldat dans la neige, locomotives à vapeur dévorant l'espace (dans le troisième mouvement, on entend les coups de sifflet.) Ou bien la réalité noire, l'envers, tout l'arrière-pays d'esclavage, de famine et de mort.

    Mais, bien sûr, la musique n'a pas de sens. Elle n'a pas de mains, elle ne désigne rien ; elle n'a pas de bouche, elle ne dit rien. Et c'est ainsi que je veux l'entendre, et puisque ça se joue encore, j'y retourne ce soir.

  • Mahler

    Vendredi soir, au Théâtre des Champs-Elysées. La Neuvième Symphonie de Mahler.

    Je repense à la note de parcours de Bladsurb. A moi. J'ai commencé comme beaucoup j'imagine de ma génération qui ne sont pas musiciens par Mahler. Oui je n'étais pas le seul et je me revois entrant dans une salle de classe vide au Lycée en 1990 ou 1991 pour lire, tracé en grandes lettres curvilignes par une main anonyme à travers tout le tableau noir, le nom de Kathleen Ferrier. Elle était pour nous, faut-il le préciser, la voix du Chant de la Terre, c'est-à-dire sa dernière et principale partie : l'Adieu. J'ai donc commencé par l'adieu.

    Ou, s'il faut tout dire, par les quinze premières minutes de ce mouvement et ceux qui le précèdent. Car le repiquage avait été fait sur une face seulement de ce support d'enregistrement du siècle dernier : la cassette magnétique de quatre-vingt dix minutes. L'oeuvre dure une heure ; il en manquait le quart d'heure final (we were young et were ignorant). A quelque chose malheur est bon (pardon pour le calembour), j'ai eu successivement, à quelques mois d'intervalle, le paysage crépusculaire des premières mesures puis (quand la bévue fut corrigée) sa reprise, plongée dans la nuit, agrandie dirait-on par les ténèbres.

    Après le Chant de la Terre, il y eut la Neuvième Symphonie. Surtout, à l'époque, le dernier mouvement, qui finit comme l'Adieu, sans finir, "dans la lumière au loin infinie". Il y a deux motifs dans cette musique : l'un horizontal, l'écoulement de toute la masse énorme du temps ou l'invasion du souvenir ; le second vertical, le temps suspendu ou le silence à présent.

  • Mozart, Bruckner

    Jeudi dernier, concert au théâtre des Champs-Élysées.

    Mozart, Symphonie n°41. Le premier mouvement est tellement une ouverture d’opéra que je passe tout le début du deuxième à attendre une voix (une soprano invisible ?), qui ne vient pas. (Dans la série des instruments fantômes, n’y a-t-il pas une pièce de Schnittke où un piano dissimulé en coulisse fait irruption inopinément à la fin ?)

    Bruckner, Symphonie n°9. Ce n’est pas celle que je préfère ; notamment à cause du scherzo, où la musique joue à se faire peur, avec cette grosse voix qui sonne le pas de charge ; suivie des voltigeurs qui plantent les banderilles.
    Mais il y a ces moments d’attente sourde,

                Ce bruit mystérieux sonne comme un départ

    et l’accolement abrupt de la clarté avec l’ombre,

                Vous êtes un beau ciel d’automne clair et rose !
                Mais la tristesse en moi monte comme la mer

    et les fanfares à la Parsifal qui finissent en plein ciel, et les appels prodigieux du Jugement,

                Le son de la trompette est si délicieux,
                Dans ces soirs solennels de célestes vendanges,
                Qu’il s’infiltre comme une extase dans tous ceux
                      Dont elle chante les louanges.

  • Concert Jarrell, Reich

    Mardi soir, à la Cité de la Musique. Concert Jarrell et Reich.

    Michael Jarrell, Assonance V. Un violoncelle évolue au milieu d’échos confiés à différents instruments (harpe, alto, percussions, cuivres …) qui font demi-cercle autour de lui. Il y a quelques moments visuellement confondants lorsque les coups d’archet du soliste se surimposent exactement avec leur répondant dans le petit ensemble : c’est comme si le violoncelle jouait du trombone.

    Michael Jarrell, Mémoires : pendant que l’orchestre se traîne par terre, poussant de temps en temps de grands « han », le chœur avance à tâtons, syllabe après syllabe, qu’il tient longtemps sur le même souffle, ou bien psalmodiant. Le texte qu’on peut lire mais pas entendre, dit entre autres ceci (L’Ecclésiaste) : Cuncta fecit bona in tempore suo et mundum tradidit disputationi eorum (Il a fait toute chose convenable en son temps et il abandonne le monde à ses disputes).

    Steve Reich, The desert music, voilà une musique qui n’a pas peur de faire fuir ses auditeurs ; elle s’installe dans la durée, au risque de la crampe ou du mal de tête. L’oreille trompée croit d’abord à un air de danse ou à un refrain entendu à la radio. Mais le refrain se répète et la chanson ne commence jamais. Quoi entendre dans le bégaiement perpétuel ?

  • Schubert, Einstein

    Vendredi à la Cité de la Musique, musique pour chœur de Schubert et de Brahms.

    Heureux concert, avec le souvenir d’un hiver passé à lire (et à écouter, et à relire) le livre d’Einstein, Schubert, portrait d’un musicien (trad. Delalande).

    Ce soir-là il y avait donc entre autres das Grab, Coronach, Nachthelle, et l’occasion de citer Einstein pour :
    Ständchen (Sérénade, de Grillpazer) : Schubert en l’entendant : « je n’aurais jamais cru que ce fût aussi beau » (…); ce contralto profond qui plane au-dessus des voix d’hommes comme une étoile au-dessus d’une onde légèrement agitée. (Tant pis si la soliste n’était pas Brigitte Fassbaender).
    Et Das Gesang der Geister über dem Wasser (Le Chant des esprits au-dessus des eaux, de Goethe) : Quiconque ignore une œuvre comme celle-là n’a aucune idée de la grandeur de Schubert (…) ; l’œuvre débute et s’achève dans un climat de contemplation méditative, sur un tempo extrêmement lent, soutenu aux cordes par ce rythme dactylique (une longue, deux brèves) cher entre tous à Schubert ; elle s’anime de plus en plus jusqu’au faîte de l’intensité dramatique, où les voix se joignent à l’unisson ou en succession de tierces ; puis elle s’apaise, se fait pastorale et s’éteint dans le souffle d’un pianissimo le plus léger. Le moindre mouvement du texte est rendu ; chaque image prend du relief.

    Après cela la musique de Brahms paraîtrait bien lourdingue, s’il n’y avait le poème de Hölderlin, le Chant du Destin d’Hyperion – avec la stupeur finale des hinab …  hinab, béants devant l’abîme.

    On a donc eu successivement le poème de Goethe et celui de Hölderlin avec la même chute de l’eau dans les rochers (‘Klippe’). Mais, chez le premier, elle finit, étale, à refléter les étoiles avant de les rejoindre ; chez le second, dans le gouffre incertain disjoint de l’éternelle clarté (trad. Jaccottet).

  • Ce que disait Robert

    Vendredi soir au Concert, à la Maison de la Radio

    De là où je suis placé je vois l’orchestre de biais. Chaque groupe d’instruments isolé et ensemble comme les phrases superposées du thème échafaudé à travers l’orchestre jusqu’au coup de gong. Et le suspens énigmatique de la trompette finale comme le mystère de toute musique qu’on ne connaît pas.

    Première à Paris, si j’ai bien compris, soixante-dix ans après Vienne, de la quatrième symphonie de Franz Schmidt. Avant la seconde partie, grande agitation du couple dans la loge d’à côté : qu’est-ce que Robert en a pensé ? Le malheur, c’est qu’ils ont eu son avis séparément pendant l’entracte ; et ils ne sont pas d’accord. (Stendhal : en France, pour savoir si j’ai eu du plaisir, je demande à mon voisin).

    Que disait Robert ? Restons avec Stendhal : à propos de Paestum où il n’a paraît-il jamais mis les pieds, « il y aurait trop de choses à en dire, et des choses trop difficiles à comprendre ». C’est comme ça que j’imagine l’avis de Robert.

    Ensuite le premier concerto pour violon de Chostakovitch. « Le bonheur à coups de marteau ».

  • Faire rimer rose et morose

    Jeudi soir au concert, à l’opéra Bastille.

    C’était  :
    - Orion, de Saariaho. (Je peux entendre à la rigueur la nuit d’hiver… mais une constellation ? cette musique, comment pourrait-elle s’élever à la puissance du ciel étoilé, être aussi belle qu’Orion ?)
    - Schéhérazade. (N’est-ce pas ce que Ravel a fait de mieux ? Le texte est suffisamment en retrait pour laisser à la musique la meilleure part, la rêverie et l’humour.)
    - Le Poème de l’amour et de la mer, de Chausson. (Pour le cri des mouettes après le premier poème (Faites-moi voir …) ; et la chanson sentimentale de l’interlude. Mais la musique et les vers s’enfoncent mutuellement la tête sous l’eau. Pour faire rimer rose et morose, préférer Baudelaire : Vous êtes un beau soir d’automne clair et rose / mais la tristesse en moi monte comme la mer …)
    - Rondes de printemps, de Debussy. (Quelque part entre deux. Moins bien que Fêtes et mieux que Jeux.)