Entre une Flûte Enchantée au Théâtre des Champs-Elysées et un Boris Godounov au Châtelet (dont il ne sera pas question ici), concert à l'espace des Blancs-Manteaux.
Ça débutait directement par le plat principal avec en première partie la Quatrième de Schumann. La musique y fait preuve d'une belle énergie : même si elle frôle, en de rares moments, la crise de hoquet (comme dans le scherzo par exemple, d'où peut-être la référence à la Quatrième de Beethoven ?). A peine interrompu par la romance dans le style troubadour du deuxième mouvement, le joyeux déferlement ne met pas en cause la cohésion de l'ensemble : sans doute parce que tous les mouvements se développent à partir de germes mélodiques présentés dans l'introduction, telles des fleurs aux couleurs variées jaillissant d'un même buisson (Einstein). (Je ne sais pas ce que vaut l'image dans l'absolu, mais dans le cas particulier elle pourra servir de légende à la photo). La fin du Scherzo et l'introduction du dernier mouvement font un passage beau comme du Bruckner avec un climat de sourde attente et les appels croissants des cuivres dégageant l'espace sonore comme s'ouvre un arc de triomphe. La suite s'y engage avec allégresse, ponctuant de grandes accélérations, où tout l'orchestre semble sonner une trompe, l'exultation finale.
Dans la seconde partie, le programme faisait preuve de pédagogie en faisant entendre des musiques familières dont on ne s'était pas jusqu'alors préoccupé (bien à tort) de savoir le nom.
Noms de musiciens - Page 18
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Schumann, Fauré, Borodine, Bizet
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Brève (Berg, Schönberg)
Deux mots après un concert au Musée d'Orsay :
A propos de l'Adagio de Berg, je renvoie à la note et à la radio de Zvezdoliki (tout un roman : minuit sonnant, palindrome sublime, intiales entrelacées ; mystère sans l'impudeur de la fort gênante Suite Lyrique).
(Et oubliant la référence/révérence, j'avoue que le Pierrot Lunaire est loin d'être l'oeuvre de Schönberg que je préfère).
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Varèse, Jolivet, Messiaen
Concert à la Cité de la Musique.
Successivement :
- Ecuatorial : courte pièce de Varèse qui mobilise des cuivres, des percussions, un piano, un orgue électrique, des ondes Martenot et un chœur d'hommes (et la traduction espagnole d'un texte précolombien). Pourquoi tout cela ? Mystère. (Sauf à voir des soucoupes volantes planer au-dessus des temples Mayas ?)
- Danses rituelles de Jolivet : rituelles, c'est à dire inspirées du Sacre du Printemps (en plus massif), donc incantatoires, donc répétitives (avec crescendos de cuivres et de percussions). Duo des hautbois dans la Danse Nuptiale. Danse du héros et Marche funèbre avec coups de gong finaux à réveiller les morts.
- Poèmes pour Mi, de Messiaen. Suite de poèmes biblico-amoureux. La voix alterne litanies et vocalises. L'orchestre l'accompagne marche après marche sur les escaliers d'un ciel rayonnant et irisé (Et les cieux rayonnaient sous l'écharpe d'Iris). La touche simplifiée et la richesse des timbres (et le vocabulaire) expliquent la comparaison avec un vitrail.
[D'un concert Boulez à l'autre, le public a rajeuni (bien que Jane B soit partie et que Madame P soit toujours là), mais s'est enrhumé davantage (ou bien les jeunes toussent plus fort ?) ; même la soprano se mouche entre les morceaux.]
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Bartok
Concert à la Cité de la Musique.
Le Vrai Parisien en a parlé ; Bladsurb l'a commenté (première approche) ; si je les lis correctement, nous avons entendu la même chose.
Donc la Musique pour cordes, percussions et célesta, ce sera une prochaine fois (il me semble que j'aimais, dans le temps).
Quant au Prince de bois, il souffrait (pour moi) de la comparaison avec l'Oiseau de Feu, la semaine dernière (mais je ne me risquerai pas à un parallèle Bartok / Stravinsky). L’œuvre était surtitrée (les épisodes du ballet décrits en quelques phrases). Ça permet de mieux suivre mais en prenant le risque (pas complètement évité) de transformer la musique en illustration sonore un peu triviale. Le procédé m'a néanmoins permis de savoir le nom des passages que j'ai préférés : les interventions de la nature, la forêt animée, les fleurs pitoyables, les ondulations et le miroitement du ruisseau (saxophones (?), harpe, célesta) ; la danse du pantin et surtout son savoureux retour claudiquant.
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Ravel, Debussy, Stravinsky
Au Châtelet.
Zvezdoliki a déjà tout dit. Je me contente de rajouter quelques citations qui valent pour elles-mêmes.
Passons sur Ma mère l'oye de Ravel, « que je découvre », et que j'oublie avec les Nocturnes de Debussy :
- Nuages (les nuages qui passent ... là-bas... là-bas ... les merveilleux nuages ! comme dit Baudelaire). Processions de mouvantes architectures dans les hauts ciels lumineux de l'Île de France (si Debussy voulait d'autres images, il fallait donner un titre moins évocateur). Mais d'un coup, qu'il fait sombre ! on se croirait dans les souterrains du Château d'Allemonde, avec l'odeur de mort qui monte.
- Fêtes. Musique circulaire traversée par une marche. Quel cortège ! D'un bloc, massif, sonore, irrépressible.
- Sirènes : celui que j'ai préféré des trois, ce soir. Mise en scène : Geneviève et Mélisande se sont promenées dans les jardins au-dessus de la mer. Leur regard a suivi le départ du navire qui fera peut-être naufrage. Maintenant le rivage a disparu. Le bateau est invisible (ce qui fait peur). Personne, aucun Ulysse dans ce paysage abstrait. Les voix des sirènes n'ont rien d'humain (elles font partie des éléments, des instruments de l'orchestre). Les motifs prolifèrent, comme de pures vagues sans profondeur (je songe à l'océan métaphorique d'Un coup de dés). Détails multipliés à travers l'étendue, effacés par une bourrasque, ressurgis, naissent du vent, sont le vent (pas de ciel, pas de mer).Mais le meilleur est encore à venir avec la seconde partie : l'Oiseau de feu, de Stravinsky. Je ne connais pas l'argument du ballet ; les épisodes se succèdent et j'invente : quel volatile ! quelquefois toute une basse cour, ébouriffée, crachant des plumes ou des étincelles aux quatre coins de l'orchestre. D'autres fois il pépie ou plane mélodieusement dans la paisible aurore d'une rustique Russie (est-ce un chant d'église qu'on entend ?). Il balaie tout ça brutalement d'un coup d'aile oblique et entreprend une course-poursuite avec lui-même. Se repose, se cache dans une caverne pleine d'ombres, se métamorphose en dragon. Pour finir, ressort, satisfait, et se laisse admirer ; se gonfle, déploie les unes après les autres ses rémiges ; il fait la roue ou bien c'est le soleil :
Dis si je ne suis pas joyeux
Tonnerre et rubis au moyeux
De voir en l'air que ce feu troueAvec des royaumes épars
Comme mourir pourpre la roue
Du seul vespéral de mes chars. -
Bartok, Dusapin, Borodine
Concert de quatuor à cordes, à la Cité de la Musique, dont Bladsurb a déjà tout dit. Ouf ! (ce soir-là je luttais contre le sommeil, aujourd'hui je m'abandonne à la paresse).
Il y avait donc :
- le troisième de Bartok : joué trop froidement à mon goût (dommage pour une œuvre si dansante)
- le cinquième de Dusapin : bien moins déconcertant, la première fois, qu'un roman de Beckett (impression de sonorités « orientales » : pourquoi ?)
- le second de Borodine : charmant et très bien interprété sans doute, mais ... -
Bach
Concert à la Cité de la Musique, l'Art de la fugue (selon l'Esprit de l'escalier, je ne pouvais pas rater ça).
J'avoue ne pas avoir été satisfait de la première partie : j'avais l'impression que la sonorité du quatuor à cordes ne convenait pas à la musique (lignes trop épaisses, confusion des sons, déploiement indistinct, « centripète au lieu de centrifuge »). Sans compter un certain nombre de « catastrophes » : partitions éparpillées, trilles d'une sonnerie de téléphone, contrepoint interrompu brutalement par le violoncelliste, pas content, et repris da capo.
Dans la seconde partie (qui commençait après le contrepoint n°11), la formation se métamorphose : instrumentistes par deux (second violon et alto, premier violon et violoncelliste), puis par trois. Pour finir le second violon ouvre la petite valise qu'il a apportée à l'entracte, posée derrière lui sur une chaise, et en sort ce qui ressemble à un deuxième alto (j'aime bien le côté théâtral de cette transformation ... comme l'arrivée de la soprano dans le deuxième quatuor de Schönberg).
Alors j'étais dans la musique. Sans comprendre, je cherchais une image : peut-être celle d'êtres endormis, côte à côte, ensemble dans une seule nuit mais séparés par le sommeil ; l'un et l'autre rêvent et leurs rêves parallèles, incommunicables, ne font qu'un. Ou, plus exactement, je me souvenais, mal, des derniers vers d'un poème de Bonnefoy (Les arbres, dans Ce qui fut sans lumière) :
(...)
Comme, avançant le bras, on peut toucher
Parfois, dans la distance entre deux êtres
Un instant du rêve de l'autre qui va sans fin.
Mais plutôt que des vers, il semble que l'usage licite soit d'associer à cette œuvre un système de notation musicale (B, A, C, H) ou des sommes alphabétiques (B(2)+ A(1) + C(3) + H(8) = 14).