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Musique et théâtre - Page 16

  • Siegfried

    Au Châtelet.

    Soufflons sur les quelques braises avant d'oublier :

    - ce que j'ai préféré : le couple Siegfried-Mime. Le premier comme un valet de jeu de cartes, d'une seule pièce, sans articulation, souriant toujours, blond, peinturluré en rose et blanc. Le second plein de grimaces, plié en deux, haussé sur la pointe des pieds, dansant et tournant. Mime a recueilli Siegfried, l'a nourri, élevé, a été père et mère pour lui ; Siegfried ne lui donne en retour que haine ou mépris ; malgré cela ne veut, ne peut pas le quitter. Parce que Siegfried est un personnage sans mémoire et que Mime détient les clés de son passé (il a deux opéras d'avance). Mime, dont toutes les astuces échouent, mélange de dissimulation et de naïveté, de mensonge et d'aveu (culminant dans la scène où Siegfried entend en même temps les pensées meutrières et les paroles mielleuses du Nibelung)

    - ce que je n'ai pas compris : le personnage du Wotan/Wanderer (comme la Fantaisie). Apparaissant dans chacun des trois actes, pour faire le malin, feignant de tirer les ficelles, et finissant à la trappe. Au premier acte, joue aux devinettes avec Mime (révision de cosmogonie-leitmotive). Au deuxième vient narguer son vieil ennemi Alberich et taquiner le dragon. Au troisième réveille Erda (pourquoi ?), accueille (ou défie ?) Siegfried (tant et si bien que j'ai raté la beauté crépusculaire de ce début de l'acte 3)

    - Wagner a placé astucieusement le réveil de Brünnhilde au milieu du troisième acte (après le beau passage où la musique raréfiée fait entendre l'arrivée de Siegfried sur les sommets), au moment où l'attention du spectateur chancèle après quelques heures de spectacle. Mais je n'aime pas tous ces cuivres ni le duo qui suit (Brünnhilde jouant les sibylles - elle a bien connu le papa et la maman de Siegfried) ; sauf la musique douce, intime, apaisée, anachronique de la Siegfried-Idyll

    - La scène de la forge : pendant que Siegfried chante sa chanson (de fer-blanc), Mime commente la préparation du poison (juxtaposition rappelant les sarcasmes de Loge au moment de l'entrée des dieux au Walhalla dans l'Or du Rhin). Art de la forge et de la cuisine mis en parallèle comme dans une Mythologique de Lévi-Strauss.

    - Et surtout : la panique de Mime ; le passage où il tente d'apprendre la peur à Siegfried et la réponse du héros (le thème du feu, qui sonne louche et mauvais chez l'un, reparaît chez l'autre clair comme le brasier qui entoure le rocher de la Walkyrie) ; les murmures de la forêt ; l'oiseau.

    (mais pendant tout l'opéra, dans les hauteurs de la salle, le bruit d'une soufflerie déchaînée ; un problème de chauffage ?)

  • Orfeo

    Au Théâtre des Champs-Elysées.

    Au théâtre Dom Casmurro proposait  de représenter les pièces en commençant par la fin. Pour l'Orfeo de Monteverdi, cela débuterait par les lamentations du héros (Echo cachée au fond de l'espace lui répond et fait entendre le vide, le désert et la solitude dans une salle pleine comme un oeuf) et cela finirait, opportunément, par une aimable pastorale où Orphée chante les épreuves surmontées. (Mais comme on sait, Orphée n'a pas le droit de se retourner).

  • L'Amour des trois oranges

    A l'opéra Bastille.

    Avis des habitués : ça a coûté très cher mais, pour une fois, ça se voit - et c'est réussi.

    Le meilleur de la fête vient (sans doute) de la comédie de Gozzi où, après un commencement d'allégorie (le trône convoité du Roi de Trèfle, Pierrot prince mélancolique pour avoir avalé trop de mauvais vers), la malédiction de la terrible fée Fata Morgana verse le spectacle dans le conte : sans logique, un vent merveilleux, une cuisinière plus terrible que Fafner - mais coquette (ça la perdra) - et trois oranges qui sont trois princesses qui meurent de soif.

  • Le Nez

    A l'opéra Bastille.

    J'ai tout de même réussi à me procurer un billet pour le Nez.

    Je n'ai pas aimé le spectacle qui vu de ma place (lointaine et perpendiculaire) paraissait laid et confus (ce qui n'est en rien une nécessité même quand il s'agit de donner le spectacle de la confusion et de la laideur). En revanche, s'il est permis d'en juger après une première écoute, la musique de Chostakovitch est la bonne pour cette histoire où l'humain se désintègre : un homme et son nez décollé coexistent dans une société qui est un répertoire vide de formules, de fonctions, de titres et d'intérêts. Musique grotesque et grise (marches creuses, cordes détimbrées, percussions sèches, chœurs faux) avec un rire qui n'est que le masque du rien. Sans le désespoir ou l'ironie amère d'autres œuvres du compositeur (ici on n'a même pas la consolation d'être malheureux ou moqueur, on ne se possède pas soi-même). Pas d'histoire mais une suite d'affolements et d'effondrements. Une fausse boucle (le nez perdu, le nez retrouvé) mais un commencement et une fin abrupts, sans progrès, sans morale.

  • Tristan et Isolde (3)

    A l'Opéra Bastille.

    Hier soir, difficile de résister à la tentation d'y retourner, malgré la crainte d'être déçu par la reprise d'un spectacle qui a été l'un des plus beaux que j'aie eu l'occasion de voir. Mais faut-il une excuse ?

    Certes l'Isolde de l'automne est loin de valoir l'Isolde du printemps ; le Tristan de novembre n'est pas le Tristan d'avril (au début on craint même la catastrophe). Mais tant de choses extraordinaires demeurent : le finale de l'Acte 1 et la béance entre la musique de la mort/ l'amour/ la mer et celle du rivage et du monde des vivants (lumière et choeurs dans la salle) ; l'extase orchestrale avant la prière à la nuit (O sink hiernieder ...) et puis l'avertissement de Brangäne (Einsam wachend in der Nacht ...) ; le chant désolé de Marke avec l'aube affreuse à la fin de l'Acte 2 ; le prélude de l'Acte 3 (le bruit des vagues qui se brisent) ; la mélodie du pâtre (Öd' und leer das Meer) ; cet enfant qui allume et puis souffle une flamme ...

  • La Walkyrie

    Au Châtelet.

    Impression d'ensemble : la musique est moins belle que dans l'Or du Rhin, plus lyrique, plus dramatique mais moins extraordinairement évocatrice.

    Impression de détail : (récapitulons cette histoire bien connue)

    Le premier acte est comme un opéra dans l'opéra, le seul des trois actes à avoir une action cohérente et continue. C'est une espèce de Tristan et Isolde miniature (moins le dénouement), un triangle amoureux, héroïque au lieu de masochiste, mais également placé sous le signe de l'extase nocturne et de la transgression. Ce soir, ça débute très lentement, trop (?) lentement : la rencontre de Siegmund et de Sieglinde est presque paralysée comme s'il s'agissait non pas des premiers feux de l'amour mais de beaucoup plus tard après sa consommation. Heureusement, le mari, Hunding, arrive et nous tire de l'assoupissement. Il est terrifiant, éclairé en vert, vert comme un revenant malfaisant dans une saga islandaise. Inopportunément, face à lui, le héros Siegmund fait pâle figure. Mais l'émotion et l'action ne commencent véritablement que plus tard avec le récit de Sieglinde (Hunding dort). Quelle amertume de femme mal mariée, quel mépris de femme déchue pour sa belle-famille ! Son chant (seul, face au public) a une telle force que Siegmund ne semble plus être alors qu'un fantôme né de sa haine, un reflet et un écho d'elle-même dans la solitude, mêlés au souvenir de son père, un rêve où s'incarnent sa frustration et son désir de vengeance. Les deux amants, le frère et la sœur, fuient dans la nuit transfigurée.

    Dans les actes suivants les scènes se succèdent sans avoir la même cohérence. Leur intérêt (j'ai l'impression) dépend beaucoup de la qualité des interprètes, de leur capacité à faire passer les émotions et les raisons des personnages (ce n'est pas gagné). Après un Heiaha! Hojotoho! gamin de la Walkyrie, Brünnhilde : scène de ménage entre son père et sa belle-mère. Fricka, moitié mégère, moitié philosophe de la liberté, vient demander à Wotan de punir son fils Siegmund coupable d'avoir bafoué les lois du mariage. Wotan cède, et une fois seul, sombre avec l'orchestre dans la dépression (on croit à l'accablement de Wotan, moins à sa colère, jamais à son autorité). Il envoie Brünnhilde annoncer sa mort à Siegmund. Fameuse scène avec roulements de timbale, déjà la Marche Funèbre du Crépuscule des Dieux. De gamine Brünnhilde se métamorphose en déesse de la mort avant de se laisser attendrir (après un jeu de question-réponse sur ce que l'on trouve au Walhalla) par l'amour suicidaire des deux Sieg. Combat d'ombres chinoises et victoire de Hunding sur Siegmund, doublé par la confrontation entre Wotan-Fricka et Brünnhilde. Sur le devant de la scène, Sieglinde voit tout cela comme un cauchemar (je finirais par croire que tout l'opéra n'est que le rêve parthénogénétique de Sieglinde).

    Le troisième acte commence par la Chevauché des Walkyries (un mauvais moment à passer). Brünnhilde a recueilli Sieglinde et cherche refuge auprès de ses sœurs. Pour calmer les pulsions suicidaires de Sieglinde, elle commence à prophétiser et lui annonce la naissance d'un fils : retentit alors le thème de Siegfried et cela sonne comme une réclame pas très engageante pour l'opéra suivant. Wotan arrive. Les Walkyries s'enfuient. Le thème de la Chevauchée revient mais sous une forme plus évocatrice : une débandade, une déroute, une dispersion aux quatre coins du ciel. Wotan condamne sa fille rebelle à se faire déflorer par le premier homme qui passera. Un beau passage tire-larmes des vents à l'orchestre commence la déploration-plaidoyer de Brünnhilde. Elle impose sa volonté (ce Wotan est un pantin) : un feu magique entourera le rocher où elle repose et en réservera l'accès au « héros sans peur ». Alors les fameux adieux de Wotan (moins impressionnants sans Wotan). Mais retentit l'appel du dieu du feu - Loge : et la musique devient merveilleuse. Sur les flots du lyrisme impuissant de Wotan viennent briller les flammes magiques qui ne s'éteindront plus, roulant, dansant, brûlant sans consumer. Le scintillement décroît et croît sous le soufflet de l'orchestre mais demeure inextinguible, toujours changeant, immobile.

    (C'est avec cette image dans l'oreille qu'on attendra la suite en janvier.)

  • L'Or du Rhin

    Onze ans (et quelques mois) après, retour au Châtelet pour le Prologue de l'Anneau du Nibelung. Je ne me hasarderai pas à gloser sur la signification profonde de ce cycle temporel (manifestement funeste).

    Quelques remarques (avant que ça se confonde avec la Walkyrie demain) :

    - première merveille : la beauté de l'orchestre. Dès l'évocation initiale des flots du Rhin, il y a la richesse des timbres, la fusion progressive des lignes répétées et superposées, les thèmes qui semblent sourdre des profondeurs (le genre de chose qu'on n'entend pas aussi bien au disque confirme Zvezdo)

    - des passages longuets (la scène de ménage Fricka/Wotan, dieux discrédités dès leur première apparition) mais d'autres qui donnent envie de revenir (le Rhin, le récit de Loge, la fatigue des Dieux, les forges des Nibelungen, les transformations d'Alberich, la malédiction de l'anneau ...)

    - le mode récapitulatif : quand Wagner a mis en scène une action il oublie rarement d'en faire le récit un peu plus tard. Par exemple à la scène 3, premier épisode, Mime se fait battre comme plâtre par Alberich devenu invisible, deuxième épisode, Mime détaille sa mésaventure à Wotan et Loge. Dès la scène 2, Loge décrit les événements qui se sont déroulés à la scène 1. Mais en l'occurence c'est un des plus beaux passages de l'opéra grâce à l'enchaînement des letimotive : ils font passer dans le récit les étincelles du dieu du Feu qui parcourt le monde, puis les miroitements des eaux du Rhin, puis l'éclat de l'or qui allume la convoitise des dieux et des géants

    - le mode prophétique : pendant du précédent. La renonciation d'Alberich, la malédiction de l'anneau, la prophétie d'Erda. Le passé se récapitule, l'avenir s'annonce. (Tout cela serait lettre morte sans la musique qui projette dans le présent toute la richesse rétrospective des opéras à venir : par exemple le thème du Crépuscule des Dieux dans la scène d'Erda).

    - le motif du Tarnhelm : le plus impressionnant des thèmes de l'Anneau du Nibelung ? associé au casque magique, celui qui permet les métamorphoses. Il domine la scène des transformations d'Alberich. Une musique sinistre et incertaine comme un souffle des profondeurs, un déferlement de brumes.