Au Châtelet.
Soufflons sur les quelques braises avant d'oublier :
- ce que j'ai préféré : le couple Siegfried-Mime. Le premier comme un valet de jeu de cartes, d'une seule pièce, sans articulation, souriant toujours, blond, peinturluré en rose et blanc. Le second plein de grimaces, plié en deux, haussé sur la pointe des pieds, dansant et tournant. Mime a recueilli Siegfried, l'a nourri, élevé, a été père et mère pour lui ; Siegfried ne lui donne en retour que haine ou mépris ; malgré cela ne veut, ne peut pas le quitter. Parce que Siegfried est un personnage sans mémoire et que Mime détient les clés de son passé (il a deux opéras d'avance). Mime, dont toutes les astuces échouent, mélange de dissimulation et de naïveté, de mensonge et d'aveu (culminant dans la scène où Siegfried entend en même temps les pensées meutrières et les paroles mielleuses du Nibelung)
- ce que je n'ai pas compris : le personnage du Wotan/Wanderer (comme la Fantaisie). Apparaissant dans chacun des trois actes, pour faire le malin, feignant de tirer les ficelles, et finissant à la trappe. Au premier acte, joue aux devinettes avec Mime (révision de cosmogonie-leitmotive). Au deuxième vient narguer son vieil ennemi Alberich et taquiner le dragon. Au troisième réveille Erda (pourquoi ?), accueille (ou défie ?) Siegfried (tant et si bien que j'ai raté la beauté crépusculaire de ce début de l'acte 3)
- Wagner a placé astucieusement le réveil de Brünnhilde au milieu du troisième acte (après le beau passage où la musique raréfiée fait entendre l'arrivée de Siegfried sur les sommets), au moment où l'attention du spectateur chancèle après quelques heures de spectacle. Mais je n'aime pas tous ces cuivres ni le duo qui suit (Brünnhilde jouant les sibylles - elle a bien connu le papa et la maman de Siegfried) ; sauf la musique douce, intime, apaisée, anachronique de la Siegfried-Idyll
- La scène de la forge : pendant que Siegfried chante sa chanson (de fer-blanc), Mime commente la préparation du poison (juxtaposition rappelant les sarcasmes de Loge au moment de l'entrée des dieux au Walhalla dans l'Or du Rhin). Art de la forge et de la cuisine mis en parallèle comme dans une Mythologique de Lévi-Strauss.
- Et surtout : la panique de Mime ; le passage où il tente d'apprendre la peur à Siegfried et la réponse du héros (le thème du feu, qui sonne louche et mauvais chez l'un, reparaît chez l'autre clair comme le brasier qui entoure le rocher de la Walkyrie) ; les murmures de la forêt ; l'oiseau.
(mais pendant tout l'opéra, dans les hauteurs de la salle, le bruit d'une soufflerie déchaînée ; un problème de chauffage ?)