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  • Elektra

    Mercredi soir à l'Opéra Bastille. Elektra, de Strauss.

    De Mycènes, il n’est resté que la porte du palais avec le bas-relief des lionnes affrontées. Clytemnestre fait de mauvais rêves (ils sortent de l’orchestre ; c’est le son d’un tuba bouché ou des trombones). Quelque chose comme
    (…) un horrible mélange
    D'os et de chairs meurtris et traînés dans la fange,
    Des lambeaux pleins de sang et des membres affreux
    Que des chiens dévorants se disputaient entre eux.

    Elle multiplie les sacrifices. En vain.
    Si grande sa détresse qu’elle vient chercher conseil auprès de sa fille, qui est intelligente, mais qui la hait. Face à cette femme vieillie, couverte de bijoux, Electre, taillée comme un bûcheron, habillée comme un sac, exulte : la fin de ses cauchemars ? oui, elle connaît le remède. C’est une victime nouvelle à immoler, une victime humaine. Qui ? La mère d’Iphigénie, la veuve d’Agamemnon, celle-là même qui vient l’interroger, sa propre mère.

    Je croyais qu’Elektra échappait au kitsch de Salomé ; j’oubliais, dans le finale, l’air de danse, qu’on pourrait appeler la valse des Atrides. Mais le cri d’Electre invoquant Agamemnon et sa douleur au début de la scène avec Oreste.

  • Un visage

    Je la regarde parler. Son visage ne m’est pas inconnu. Front blanc. Sourcils et yeux écartés, noirs. Nez grec. Ingres, le portrait de Mademoiselle Rivière.

    Le sait-elle ?

  • The prisonner of Shark Island

    Mardi soir au cinéma, Je n’ai pas tué Lincoln, de Ford.

    (Encore Lincoln : on reconnaît le maquillage de la verrue sur la joue droite).

    Une scène d’exécution. Les deux axes du supplice : l’un parallèle à l’alignement des tambours où les condamnés sont avancés ; l’autre perpendiculaire, en plongée, l’escalier à gravir pour monter à la potence. Les soldats, les prêtres sont solidement tenus par leur uniforme ; les suppliciés s’effondrent dans leurs vêtements fripés.

  • Young Mr Lincoln

    Lundi soir au cinéma. Young Mr Lincoln, de Ford

    Nombreux moments d’anthologie, comme :
    - la première scène (dans une de ces galeries qui plaisent tant à Ford). On nous annonce : Abraham Lincoln ! et voici un jeune type qui s’extrait de son rocking-chair, s’avance en traînant les pieds, met les deux mains dans les poches, et donne en trois phrases son programme électoral, avec un grand détachement
    - l’arrivée de Lincoln, avocat débutant, à Springfield, juché sur une mule, silhouette encombrée de ses longs bras et de ses longues jambes, vêtu de noir, avec un grand chapeau haut-de-forme
    - le bal chez les riches ; Lincoln tournoie raide comme un piquet à contre-sens des évolutions de la bonne société où sa partenaire veut l’entraîner. Dépitée elle l’emmène sur la véranda (encore une) ; mais au lieu du flirt attendu, il reste pétrifié à la vue de la rivière (qui est sa bien-aimée morte)
    - le (presque) condamné à mort réuni avec sa famille dans la prison le temps d’une chanson ; regards vagues, (presque) dans l’objectif. Puis la musique s’arrête et il faut se séparer

    La place de la caméra est souvent avec la foule ou un des protagonistes, à hauteur d’homme, ce qui nous vaut ces personnages de dos ou ces nuques dans le cadre. Alors on est parmi eux, avec eux, même quand ils ne sont pas visibles. Si je supporte l’interrogatoire de la mère par le procureur (seuls dans le plan) qui cherche à lui faire désigner l’un de ses fils et choisir celui qu’elle enverra à la potence, c’est parce que je sais que Lincoln est à mes côtés (son regard est le nôtre, sa compassion est la nôtre), qu’il va intervenir et arrêter ça.

    Dans la dernière scène, dans une pièce nue, Lincoln chapeauté se détourne du groupe de ses adversaires politiques (le parti des nantis). La foule l’attend pour l’acclamer. Une porte s’ouvre. On entend la clameur. Il s’avance dans l’encadrement face à la caméra et se découvre. La foule = le public = la nation tout entière.

  • Seule la lumière

    L’inachevable

    Quand il eut vingt ans il leva les yeux, regarda le ciel, regarda la terre à nouveau, – avec attention. C’était donc vrai ! Dieu n’avait fait qu’ébaucher le monde . Il n’y avait laissé que des ruines.
    Ruines ce chêne, si beau pourtant. Ruines cette eau, qui vient se briser si doucement sur la rive. Ruines le soleil même. Ruines tous ces signes de la beauté comme le prouvent bien les nuages, plus beaux encore.
    Seule la lumière (…)

    (La suite dans La Vie errante d’Yves Bonnefoy.)

    Pour continuer cet écho dans l’escalier, le buisson de Ruysdael qui est au Louvre.

    (La lumière règne dans les nuages ; pendant que l’ombre grouille dans l’enchevêtrement végétal. Il y a à droite le chemin ouvert ; la broussaille est impénétrable. Il y a à gauche dans l’éloignement la ville de Harlem avec l’ordre de ses églises et de ses tours ; au centre l’informe et la disproportion.)

  • Mozart, Bruckner

    Jeudi dernier, concert au théâtre des Champs-Élysées.

    Mozart, Symphonie n°41. Le premier mouvement est tellement une ouverture d’opéra que je passe tout le début du deuxième à attendre une voix (une soprano invisible ?), qui ne vient pas. (Dans la série des instruments fantômes, n’y a-t-il pas une pièce de Schnittke où un piano dissimulé en coulisse fait irruption inopinément à la fin ?)

    Bruckner, Symphonie n°9. Ce n’est pas celle que je préfère ; notamment à cause du scherzo, où la musique joue à se faire peur, avec cette grosse voix qui sonne le pas de charge ; suivie des voltigeurs qui plantent les banderilles.
    Mais il y a ces moments d’attente sourde,

                Ce bruit mystérieux sonne comme un départ

    et l’accolement abrupt de la clarté avec l’ombre,

                Vous êtes un beau ciel d’automne clair et rose !
                Mais la tristesse en moi monte comme la mer

    et les fanfares à la Parsifal qui finissent en plein ciel, et les appels prodigieux du Jugement,

                Le son de la trompette est si délicieux,
                Dans ces soirs solennels de célestes vendanges,
                Qu’il s’infiltre comme une extase dans tous ceux
                      Dont elle chante les louanges.

  • Across and beyond

    Fantômes.

    "They don't know, as yet, quite how--but they're trying hard. They're seen only across, as it were, and beyond--in strange places and on high places, the top of towers, the roof of houses, the outside of windows, the further edge of pools; but there's a deep design, on either side, to shorten the distance and overcome the obstacle; and the success of the tempters is only a question of time. They've only to keep to their suggestions of danger." (The Turn of the screw – James)