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  • Un livre en appelle un autre

    J'ai déjà cité la proposition de réforme théâtrale faite par Dom Casmurro. J'ignorais (j'en sais toujours moins que ce que j'en dis) que cette idée de commencer par la fin avait été appliquée à l'art des mémorialistes par un autre héros de Machado de Assis. J'ai passé ma journée d'hier à lire les Mémoires posthumes de Bras Cubas, qui commencent par le récit tragi-comique de ses derniers jours. Par mémoires posthumes, entendez non pas le cas banal d'une œuvre publiée après la mort de son auteur, mais une œuvre entreprise par l'auteur après sa propre mort. Par quel procédé extraordinaire ? Bras Cubas a malheureusement renoncé à nous l'exposer en détail, choisissant dans un souci louable de concision de ne pas alourdir son prologue.

    Après quelques cours chapitres le récit retombe sur ses pieds et reprend l'exposé de la vie de son auteur par la naissance. Mais l'allégresse ne fait pas complètement disparaître la fleur jaune ou le papillon noir de la mélancolie.

    Au début il y aura eu également l'ultime rencontre entre Bras Cubas et Virgilia. J'imagine que c'est dans un souci de pudeur que les retrouvailles des deux amants ont été ainsi placées, afin d'éviter le pathétique auquel par exemple n'échappe par entièrement Flaubert : toutes proportions gardées dans le chapitre où Frédéric et Madame Arnoux se retrouvent à la fin de l'Education Sentimentale. D'ailleurs Flaubert éprouva le besoin de faire suivre cette grande scène par l'évocation par Frédéric et Deslauriers de leur première visite, avortée, au bordel. Une manière de finir par le début.

    Un livre en appelle un autre. Dans le cours de celui-ci, on croise quatre ou cinq fois un personnage extraordinaire : Quincas Borba. D'abord un galopin qui glisse des cafards morts dans la poche d'un vieux maître d'école ; puis un mendiant donnant l'accolade à de vieux amis plus fortunés ; enfin philosophe régénéré, prophète de l'Humanitisme, doctrine dont la réclame vaut mieux que l'exposé :

    - Venez à l'Humanitisme. Il est le grand refuge des esprits, la mer éternelle en laquelle j'ai plongé pour en arracher la vérité. Les Grecs la faisait sortir d'un puits. Quelle conception mesquine ! Un puits ! Mais c'est pour cela qu'ils ne l'ont jamais remontée. Grecs, anti-Grecs, sous Grecs, les hommes se sont tous penchés à tour de rôle sur ce puits pour en voir sortir la vérité qui n'y était pas. Ils y ont dépensé en vain seaux et cordes. Quelques-uns, plus audacieux, sont descendus au fond et en ont ramené un crapaud. Moi je suis allé tout droit à la mer. Venez à l'Humanitisme ! (trad Chadebec de Lavalade)

    Je trouve dans la liste des oeuvre de Machado de Assis un Quincas Borba. Je vais de ce pas me le procurer.

  • Une passion

    Au cinéma, Une Passion, de Bergman.

    Je ne m'intéresserai pas à ces gens ni à leur histoire. Mais la pénombre. C'est l'hiver. On ne sait pas l'heure. La maison n'a pas l'électricité : seule la lumière crépusculaire, une bougie qu'on allume et qu'on souffle, une lampe à huile qu'on promène, le sommeil entre le jour et la nuit.

    La suite du rêve final de La Honte, cette fois-ci explicitement comme un rêve. La barque s'échoue. La femme seule erre sur le rivage. Croise des femmes en noir : des veuves ou des mères qui ont perdu leur fils. Elles la repoussent, la fuient.

  • A Canterbury Tale

    Au cinéma, A Canterbury Tale, de Powell et Pressburger.

    Souffré-je d'hallucinations ou le cinéma Reflet nous gratifie-t-il d'une projection video ? L'image est laide, la lumière terne (et pourtant l'été dans la campagne anglaise, ce devait être bien beau). Les scènes nocturnes du début donnent à peu près un écran noir, sans profondeur ... Ils pourraient prévenir.

    Etrange histoire. Le mystérieux glue-man jette de la colle dans les cheveux des filles la nuit ; tout ça pour attirer les soldats à des séances de diapos consacrées à l'histoire locale et aux pèlerinages médiévaux (peut-être faut-il avoir lu Chaucer pour comprendre ?). Cette intrigue tirée par les cheveux (si j'ose dire) finit à Canterbury par les grandes orgues des miracles de l'Amour et de l'Art in tempore belli.

  • Skammen

    Au cinéma, revu La Honte, de Bergman.

    Une réplique très Ruines circulaires : - j'ai l'impression d'être dans un rêve. Pas le mien, celui d'un autre. Quand cet autre s'éveillera, je me demande s'il aura honte.

    (En écrivant ceci, je me souviens de la dernière (?) phrase du Procès : est-ce ainsi qu'il faut la comprendre ?)

    Les scènes de guerre du début sont plutôt ratées (la Suède sous les bombes). En revanche on croit complètement (pourquoi ?) au climat de malaise et de méfiance qui s'installe après : occupation, épuration, milices, trahisons, exécutions sommaires ... il y a un aimable couple de musiciens, réfugiés à la campagne, qui vit tout cela ; on suit les évolutions de leur égoïsme : de l'indifférence béate au meurtre. Le film culmine dans une scène finale hallucinante, une vision de cauchemar digne du chef d’œuvre de Bergman dans le genre, L'Heure du loup. Des fugitifs se sont entassés dans une barque qui doit les amener, paraît-il, à un chalutier au large. Ils naviguent plusieurs jours sur une mer grise, déserte, calme, morte. Dans une lumière crépusculaire, dans un demi-sommeil, l'homme voit le pilote enjamber le bordage et se laisser glisser silencieusement dans l'eau, les abandonnant à leur sort.

  • Side street

    Au cinéma, La Rue de la mort, d'Anthony Mann (film vu par le Vrai Parisien).

    On retrouve le couple des Amants de la nuit de Nicholas Ray. Farley Granger a un rôle similaire de héros-victime, innocent et coupable, mêlé presque malgré lui à une sale histoire. N'est-ce pas le meilleur du film les scènes où il erre, anonyme, dans New York avec ce secret qui pèse sur lui, ou bien avec sa femme et leur fils qui vient de naître, et pourtant seul, séparé d'eux ?

  • Emblème

    Pensées. - Les pensées sont les ombres de nos sentiments - toujours obscures, plus vides, plus simples que ceux-ci.

    Nietzsche - Le Gai Savoir. (trad Klossowski)

  • Sturla se met au lit

    Pall a fait un bel et légitime héritage. Mais l'ambitieux Sturla le lui dispute et entend bien, par la chicane et la violence, s'en approprier une portion à sa mesure. Lors de la grande assemblée annuelle des islandais, l'affrontement armé couve ; les deux adversaires se font face, chacun avec ses alliés. Alors :

    Thorbjörg, la femme de Pall, était de caractère violent et cette lutte incessante l'excédait.
    Elle bondit parmi les hommes, un couteau à la main et frappa Sturla en visant l’œil tout en disant : « Pourquoi ne te rendrais-je pas semblable à celui auquel tu veux ressembler le plus - c'est-à-dire Odinn ?»
    Mais le coup arriva dans la joue et ce fut une grande blessure (...)

    [Le dieu Odinn est borgne - c'est le Wotan de Wagner ; une figure fausse, rusée, traîtresse.]

    S'ensuivent nouveaux procès, nouvelles intimidations, et pour finir le triomphe légal de Sturla. Cependant quelques années plus tard :

    On dit que lorsque Sturla apprit la mort de Thorbjörg, la femme du prêtre Pall, il se mit au lit - il était très coutumier du fait lorsqu'il était affligé. On lui demanda ce que cela signifiait.
    Il répondit : « Je viens d'apprendre une nouvelle qui me paraît grave.»
    On répondit : « Nous ne pensions pas que tu t'affligerais de la mort de Thorbjörg.»
    Sturla répondit : « Eh bien, il en va autrement et je ne me sens pas très bien. Car j'estimais qu'il ne serait pas hors de question que je me mette en peine contre les fils de Pall et de Thorbjörg, tant qu'elle vivrait. Mais maintenant qu'elle est morte, il ne sied guère des les attaquer.»

    On est récompensé de la lecture de la Saga de Sturla (trad. R Boyer) (sinon plutôt confuse et mal fichue) par des passages comme ceux-là.