Lundi soir au cinéma. Young Mr Lincoln, de Ford
Nombreux moments d’anthologie, comme :
- la première scène (dans une de ces galeries qui plaisent tant à Ford). On nous annonce : Abraham Lincoln ! et voici un jeune type qui s’extrait de son rocking-chair, s’avance en traînant les pieds, met les deux mains dans les poches, et donne en trois phrases son programme électoral, avec un grand détachement
- l’arrivée de Lincoln, avocat débutant, à Springfield, juché sur une mule, silhouette encombrée de ses longs bras et de ses longues jambes, vêtu de noir, avec un grand chapeau haut-de-forme
- le bal chez les riches ; Lincoln tournoie raide comme un piquet à contre-sens des évolutions de la bonne société où sa partenaire veut l’entraîner. Dépitée elle l’emmène sur la véranda (encore une) ; mais au lieu du flirt attendu, il reste pétrifié à la vue de la rivière (qui est sa bien-aimée morte)
- le (presque) condamné à mort réuni avec sa famille dans la prison le temps d’une chanson ; regards vagues, (presque) dans l’objectif. Puis la musique s’arrête et il faut se séparer
La place de la caméra est souvent avec la foule ou un des protagonistes, à hauteur d’homme, ce qui nous vaut ces personnages de dos ou ces nuques dans le cadre. Alors on est parmi eux, avec eux, même quand ils ne sont pas visibles. Si je supporte l’interrogatoire de la mère par le procureur (seuls dans le plan) qui cherche à lui faire désigner l’un de ses fils et choisir celui qu’elle enverra à la potence, c’est parce que je sais que Lincoln est à mes côtés (son regard est le nôtre, sa compassion est la nôtre), qu’il va intervenir et arrêter ça.
Dans la dernière scène, dans une pièce nue, Lincoln chapeauté se détourne du groupe de ses adversaires politiques (le parti des nantis). La foule l’attend pour l’acclamer. Une porte s’ouvre. On entend la clameur. Il s’avance dans l’encadrement face à la caméra et se découvre. La foule = le public = la nation tout entière.