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Mes bouquins refermés - Page 112

  • Dieu Cerf

    Au cinéma. Princesse Mononoké, de Miyazaki.

    Dans la feuillée, écrin vert taché d'or
    Dans la feuillée incertaine et fleurie

    (...) on voit épeuré (...)
    Le Baiser d'or du Bois, qui se recueille.

    (Il y a quelque chose de ce recueillement dans l'apparition du Dieu-Cerf au cœur de la forêt prodigieuse. Dans le poème de Rimbaud, c'est un faune qui survient ; mais les divinités de Miyazaki ne sont pas celles de notre mythologie. Le merveilleux y est autre (double merveille) ; et ses métamorphoses, et son ambivalence, ne sont pas celles auxquelles nous sommes habitués.)

  • Poussières dans le vent

    Au cinéma, Poussières dans le vent, de Hou Hsiao Hsien.

    Deux adolescents, un garçon, une fille, quittent leur village et vont à la grande ville pour continuer leurs études, peut-être, et travailler. Les expériences qu'ils partagent les rapprochent au point de donner l'image qu'ils sont promis l'un à l'autre (mais ce n'est pas vraiment dit). Puis le garçon part au service militaire. Il apprend après des mois de lettres sans réponse que la jeune fille en a épousé un autre (« de plus grande envergure »).

    Cette histoire d'une jeunesse est racontée de façon discontinue, sans discours, comme une suite de remémorations. Ce sont des scènes courtes du quotidien ou des anecdotes montrées sans être explicitées (sauf quand le récit en est fait dans une lettre, comme pour l'épisode des pêcheurs naufragés venus du Continent).

    S'inscrivent les images répétées ou fugitives : des repas partagés, la famille, des objets chers (une montre, un briquet), les silhouettes éphémères des amis ou des patrons, des lieux bien définis (l'escalier-perron devant la maison familiale, la place du village sous l'arbre où se retrouvent les hommes, l'arrière-salle d'un cinéma en ville, l'atelier de confection où travaille la fille avec l'espèce de soupirail où vient s'asseoir le garçon, une plage au bout du monde) et surtout les parcours qu'on imagine cent fois répétés : le train de la ville au village à travers les collines (magnifique séquence d'ouverture dans un tunnel), le chemin de terre qui monte dans le village étagé (dans une scène on voit le garçon descendre avec son grand-père au moment de partir au service ; de loin en loin le vieil homme lance des pétards qui célèbrent, sans joie, l'événement).

  • Fuir, disparaître

    Au cinéma, Profession : reporter d'Antonioni.

    Deux scènes :

    1/ La voiture, un cabriolet blanc, roule sur une route d'Espagne bordée d'arbres La fille se réveille sur la banquette arrière. Elle demande à Locke, au volant : what are you running from ? Il répond : qu'elle se retourne. Elle regarde la route vide fuir derrière eux ; nous la voyons ainsi seule, debout sur le fond des feuillages qui défilent, illuminée brièvement quand un arbre manque (et c'est la première, voire la seule, image de bonheur, peut-être, dans la fastidieuse aventure de cet homme en fuite sous une identité d'emprunt).

    2/ La scène finale, dans un hôtel de rien, quelque part en Andalousie. A peu près le même hôtel que l'établissement africain où commence l'histoire (où Robertson meurt, où Locke intervertit les passeports). Nous sommes dans la chambre de Locke, où nous sommes entrés avec lui. Il s'est allongé ; nous regardons par la fenêtre fixement, à travers une grille : un terrain sous le soleil devant un grand mur blanc fait d'arcs outrepassés aveugles. Nous assistons à de nombreuses allées et venues, qui soulèvent la poussière. Un portière ou un coup de feu claque. Entre-temps, très lentement, continûment, la caméra s'est avancée jusqu'à passer dehors, prenant congés. Quand elle se retourne, on devine de loin l'homme mort sur le lit.

  • Martinets

    ...prendre leurs avantages assez pour mettre en jeu leurs longues ailes... (Buffon)

    Distraits pendant nos dîners par les oiseaux noirs, hauts et incessants dans le ciel rose, nous avons lu le lendemain cette page de l'Histoire naturelle : Le martinet noir. Les oiseaux de cette espèce sont de véritables hirondelles, et à bien des égards plus hirondelles, si j'ose ainsi parler, que les hirondelles même ; car non seulement ils ont les principaux attributs qui caractérisent ce genre, mais ils les ont à l'excès ; leur cou, leur bec et leurs pieds sont plus courts ; leur tête et leur gosier plus larges ; leurs ailes plus longues ; ils ont le vol plus élevé, plus rapide que ces oiseaux qui volent déjà si légèrement ; ils volent par nécessité, car d'eux-mêmes ils ne se posent jamais à terre, et lorsqu'ils y tombent par quelque accident, ils ne se relèvent que très difficilement dans un terrain plat ; à peine peuvent-ils en se traînant sur une petite motte, en grimpant sur une taupinière ou sur une pierre, prendre leurs avantages assez pour mettre en jeu leurs longues ailes : c'est une suite de leur conformation ; ils ont le tarse fort court, et lorsqu'ils sont posés, ce tarse porte à terre jusqu'au talon ; de sorte qu'ils sont à peu près couchés sur le ventre, et que dans cette situation la longueur de leurs ailes devient pour eux un embarras plutôt qu'un avantage (...)


    (Baudelaire, dans le Spleen de Paris : je n'ai jamais rougi, même devant les écrivains de mon siècle, de mon admiration pour Buffon)

  • Campagne

    Midi

    L’œuf du clocher, l'horloge, est doucement épris
    de l'immobile été, le temps le couve et dort.

    (André Frénaud - Vieux Pays)

    (A T***, la cour de la ferme désaffectée, la demie qui sonne à l'église dans le silence du village invisible et sans voix, font que je pense à)

  • Retour/départ

    La Louve du Capitole maigre mais pas avare de mamelles ni de dents, le coin ouvert d'un portique dans le parcours des rues, les formes presque déchiquetées de la lanterne de Sant'Andrea della Fratte : à peine le temps de former ici trois images de Rome qu'il faut repartir

  • Plan de Rome

    - Oh he's smart ! he made a hat with a map !

    (Dans le Cortile della Pigna, malgré la chaleur, la foule et l'Art, quelques touristes gardent leurs facultés d'émerveillement.)