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Mes bouquins refermés - Page 108

  • La Clémence de Titus

    A l'Opéra Garnier.

    Le décor est un grand cube blanc (on se croirait toujours à Pleyel). Le palais a été inauguré trop tôt, n'est pas encore meublé ; la peinture sèche. De longs récitatifs précèdent les airs. On a l'impression d'une « œuvre de prestige », de haute culture (opera seria, Rome antique, Métastase), luxueuse mais quelque peu inhabitée. Un programme racinien lie les personnages : Sextus aime Vitellia qui convoite Titus qui se propose d'épouser Servilia qu'aime Annius. L'histoire romaine fournit des accessoires sans relief (le Sénat, le Capitole, Bérénice...)

    La distribution accentue l'effacement de l'Empereur, « meilleur des princes », mais qui à force de vouloir plaire à tout le monde, risque d'être totalement dépourvu d'existence. (Si peu vivant qu'il ne peut mourir : dans le magnifique finale du premier acte, seule son ombre est poignardée). La réalisation de l'opéra tord les rapports entre les rôles. Un chanteur l'emporte sur les autres (en l'occurrence Sextus) ; il draine à lui l'émotion et la vie ; les autres se font marionnettes et le drame devient son rêve ou son cauchemar, la chambre d'écho des hantises et des désirs de son personnage.

  • Beethoven

    A Pleyel.

    C'est (peut-être) la première fois que j'entends la Deuxième Symphonie qui, avec le mal de crâne, me paraît interminable.

    Mais, en seconde partie, l'Eroica est un tout autre monde (Figures du dépassement : cette brutalité sans le souci de plaire (Pan ! pan ! pan ! pan ! pan ! pan ! dans le premier mouvement) couronnée pourtant d'une aisance souveraine et véloce, ces départs contrariés (phrases qui finissent en trébuchant au début du finale) fondus ensuite dans l'élan irrésistible, ce chant qui sort de lui-même, porté sur un plan supérieur, dans une autre lumière, comme la marche funèbre devenue récit ou épopée...)

  • Vaisseau en perdition

    Au cinéma : Nausicaa, de Miyazaki.

    Le récit est moins riche, moins ambivalent et le dessin moins beau que dans les films ultérieurs.

    Cependant une scène de naufrage : nuit de tempête dans le haut pays du vent. Les ailes des moulins battent lourdement dans les ténèbres. Alerte ! une odeur avec le vent, une lueur dans le grand souffle sombre : une masse vient frôler le haut des tours. C'est un immense vaisseau aérien en perdition. Avant qu'il ne s'écrase, on entr'aperçoit par un hublot un jeune visage captif de l'énorme désastre.

  • La voiture arrêtée

    Au cinéma, revu Moonfleet.

    Tous les ingrédients réunis (contrebandiers, souterrains, fantôme, trésor caché...) ne font pas un bon film d'aventure, mais l'histoire crépusculaire d'un homme qui meurt au moment où il décide de changer de vie, choisissant le bien contre le mal :

    Le carrosse s'arrête au bord de la route. Fox monte rejoindre ses deux complices. Ils s'installent côte à côte dans l'intimité forcée de la caisse tapissée de damas : lui noir et sombre ; eux un couple d'aristocrates dépravés, avides et sans scrupules. Au fur et à mesure que ceux-ci se vautrent plus avant dans leur cynisme, celui-là se renfrogne et se mure dans le silence.

    A un certain moment le souvenir de l'ami trahi devient intolérable, Fox saute hors de la voiture et la fait stopper. Là, sur la lande, dans la nuit, en quelques instants d'une violence et d'une sécheresse extraordinaires, se joue leur destin : un coup d'épée, une détonation, les chevaux emballés ; Fox est blessé à mort et les deux autres vont brûler en Enfer.

  • Mahler

    Salle Pleyel.

    O Röschen rot !

    Je vois des pivoines dans une teille de cuivre, avec leur couleur dans l'eau (Claudel)

    (Au début d'Urlicht, la voix penchée sur lui colore le souffle de l'orchestre ; rouge sombre noyé qu'un peu de lumière fait disparaître, à peine vu.)

    ***

    (Le finale a quelque chose de sinistre avec son essai d'auto-consolation véhémente : combien fort qu'il gueule, le chant ne laisse rien derrière lui dans la salle claire, quand il cesse. Le chœur-Moi clame « je ne mourrai pas » et le silence manque de répondre à l'assemblée de fantômes : « c'est déjà fait »).

  • "La malinconica distesa"

    A S e a E la malinconica distesa delle colline cretacee che cominciano di qui.

    Du projet qui devait transformer l'édifice actuel en transept d'une cathédrale agrandie, il ne reste que le bas-côté droit et le gros du mur de façade. Les constructions ferment à l'est et au sud ce coin de la place du Duomo qu'auraient pu couvrir, au lieu du ciel, les voûtes de la nouvelle nef. (Vu d'en-haut, le plan inachevé donne ainsi une belle image de la réunion des vides et des pleins qui régit la ville édifiée autour de ses places et de ses rues selon un dessein ancien ; comme deux corps qui ont longtemps cherché le sommeil côte à côte,  intérieur et extérieur patiemment et intimement s'accordent.)

    On peut monter au sommet du bâtiment tronqué et voir la cité resserrée devant sa campagne vide. Au nord et à l'ouest, un paysage encore verdoyant ; au sud et à l'est des terres plus arides (je ne sais pas si c'est le pays décrit dans la phrase citée par Yves Bonnefoy). Les parcelles ocres et bombées s'assemblent en collines rapiécées qui vers l'horizon rappellent les champs lointains du paysage peint par Van Eyck dans la Vierge au Chancelier Rollin.

  • Visite

    La route traverse la banlieue. Au-delà les bourgs mangent la campagne. Une rue monte dans un village.

    On se gare en face de l'église. A notre approche une vieille, assise devant la porte, disparaît dans l'entrebâillement. En entrant, on la voit claudiquer jusqu'au deuxième autel de droite. Elle illumine le tableau, s'approche d'un confessionnal et fouille derrière le rideau violet. Elle s'éloigne vers le fond de l'église avec un paquet de feuilles. Revient vers nous, propose sans succès sa brochure. Va s'asseoir un peu plus loin. Pendant tout ce temps elle joue avec sa canne, la heurte lourdement contre les dalles, la range à côté d'elle, frappant et raclant la caisse du banc. Elle soupire.

    C'est une Visitation qui est peinte là. La Vierge est jeune et élégante ; elle a un foulard rose dans les cheveux. Elisabeth est une vieille dame pleine de dignité ; elle porte un voile blanc. Les deux femmes se tiennent embrassées et s'entre-regardent avec une douce sympathie. Derrière elles (qui apparaissent de profil) deux figures debout font face au spectateur, côte à côte, de part et d'autre de la Vierge. L'une jeune, l'autre âgée, elles forment comme un double des deux premières (mais elles n'ont pas d'auréole et les couleurs des vêtements ne sont pas les mêmes). Leur regard absent fixe le vide et semble témoigner, par défaut, de la grâce qui unit les deux saintes femmes.