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Mémoire d'endormi - Page 10

  • dôme

    On nous fait entrer mais, au premier palier de l'escalier intérieur, je me retrouve dehors : la maison est retournée comme un gant et ses pièces se déploient à ciel ouvert. C'est une île, une arche au-dessus de la ville, un dôme surbaissé où l'on marche. Elle est couronnée d'arcs et de pinacles ; elle fait penser à un chef d'oeuvre d'orfèvre ou de ferronnerie agrandi aux dimensions d'un palais ; les frises, les corniches, les parois sont en fer. Côte à côte, le gigantesque et le minuscule. (Je me penche ; tout à l'heure j'arracherai pour la mettre dans ma poche un détail d'une guirlande : une figurine en train de se desceller). Il y a une ou plusieurs cloches énormes en contrebas, vers le bord de la terrasse. Le battant, extérieur, vole dans les airs, risque d'assommer les visiteurs. Sa course, suspendue je ne sais où, tourne des boucles, vient heurter le métal. Un seul coup fait trembler les fondations. Tout l'édifice retentit. J'ai dans la main l'osselet que j'ai ramassé. Le petit ornement est l'image d'un nouveau-né, couché, qui tend les bras, comme l'Enfant dans la Crèche. (Mais l'enfant, cela est assuré, représente Dionysos).

  • Printemps

    C'est le printemps des "Îles Lofoten". La terre en désordre est encore moitié couverte de plaques de neige, selon les hasards du relief qui ne connaît ni plaines ni fortes pentes. Le reste est à découvert et montre les pelouses de l'an passé ou le sol dégelé et noir. A l'horizon l'archipel est fait de terres de toutes les tailles sans que nulle part n'apparaisse la pleine mer. Dans ce paysage de nature, une usine immense se dresse seule au bord de l'eau, surmontée de deux tours cheminées bleuies par l'éloignement. Un peuple, comme des touristes jamais en repos, parcourt les routes tout en montées et en descentes. Ils débarquent de véhicules divers, rembarquent. Ils s'avancent sur les chemins qui vont au rivage. Une jetée en bois rejoint comme un rayon le centre d'un cratère que remplit un lac sombre. Ils se croisent sans s'arrêter ni dévier. Ils ne se regroupent pas,  ils ne se suivent pas. Comme eux, les saisons, les époques. C'est un jardin d'enfance, une poignée de groseilles. Une bouche happe les fruits, que la langue presse et fait éclater. Ne reste de la grappe, dans la main, que l'armature solide et légère.

  • Prémonition

    Dans le rêve, je suis en voyage à l'étranger. Hors de la ville, on nous montre un vase colossal (semblable par la forme et la taille au vase d'Amathonte). Il est fait d'une matière dorée, pailletée, laide. En quelques endroits, les bords sont ornés de bas-reliefs ; je ne sais pas ce qu'ils représentent. L'intérieur du vase est resté presque entièrement rempli du matériau extérieur ; il n'est pas évidé de façon uniforme ; il contient une cavité principale et d'autres plus petites ; la surface semble une ébullition figée à l'état solide, faite de bulles crevées, etc. Dans le rêve, je dois décrire la remarquable chose à des correspondants qui ne peuvent la voir (qui habitent sans doute le séjour où je suis maintenant revenu, où se répète l'exercice requis par l'ustensile inexistant et tenace).

  • Ronce-aux-deux-lumières

    L'office du tourisme paye une bière à tout nouvel arrivant. Il règne une joyeuse pagaille dans les bureaux pendant qu'on distribue cannettes et prospectus. Une fois que les parents sont passés, ils envoient leurs enfants quémander.

    Je suis venu en train ou en car. Je reste quelques jours à D*** pour le travail. Je profite d'une journée de liberté pour découvrir Roncière, la petite ville d'à côté. On nous a laissés sur une grande esplanade à l'abandon, au pied d'un immeuble de parking.

    Je monte des ruelles coupées d'escaliers, des passages plongés dans le noir. Je finis par me demander si je ne suis pas entré "chez les gens" par mégarde. J'arrive sur une terrasse au-dessus des toits d'où on découvre toute la ville. Je n'imaginais pas pareille splendeur. Comment croire qu'il existe, inconnue, dans le Nord, une cité aussi belle que Sienne ? Elle s'étend dans le creux des collines. Je devine les porches, les dômes, les places mais sans bien voir car il fait presque nuit. La ville est bâtie en brique ; la lumière basse et bleue approfondit la couleur sombre et la fait rougeoyer comme des braises.

    Je continue ma route dans les maisons ou les rues aveugles. Quand la vue s'ouvre à nouveau, le château apparaît pour la première fois sur la crête. Mais la découverte ne compense pas la déception. Le jour a changé. Il tombe jaune et clair sur la ville en contrebas. Il révèle la pauvreté des bâtisses entre de grands terrains déserts. Des quartiers ont été rasés autrefois et déblayés ; il ne reste que le dessin au sol des murs rognés, dans la poussière ocre.

  • L'exil à Batalha

    Dans la procession, des enfants bien en chair portent sur les épaules une plate-forme de bois surmontée d'une haute tour, un vrai donjon de château-fort, découpée dans une plaque de métal ou de carton ou de plastique, qui tangue et ondoie comme une flamme, pendant qu'un autre costaud la maintient d'aplomb par derrière, avec une longue perche. Un vieil homme sort de chez lui. Il fait face à la plaine. Mais, à tout moment, des morceaux du paysage se transforment. La mer remplace les champs. Les flots embués, agités, gris, se brisent sur le rivage. Trois palmiers alignés, avec une tige immense et une tête minuscule, demeurent au milieu de l'eau, oscillant, avant de disparaître à leur tour.

    L'homme marche dans une rue encombrée ; il roule dans une petite voiture en verre ; on l'arrête.

    Le procès est sur une scène vide, sans théâtre autour. L'instant d'après, un jeune acteur est substitué au vétéran en lourd manteau de laine pourpre. D'un plan à l'autre, les personnages modifient leur costume, les interprètes changent. La voix du metteur en scène invisible appelle Miss Mowcher, un témoin. La voix ordonne que la naine soit nue. Un petit film d'animation nous la montre, sous la forme d'une pièce de cire blanche, entrer en rampant, alternativement M ou W, parmi les cubes de couleur qui figurent les autres protagonistes. Enfin le verdict tombe, le coupable est condamné à deux années de relégation. Le vieillard, face à nous, tout près, accueille dignement la sentence et, choisissant le lieu de son exil, il prononce le dernier mot de l'ouvrage, faisant résonner le nom comme s'il donnait le titre du drame (qui viendrait à la fin) : Batalha.

  • onirie, ironie

    L'autre nuit, dans mon rêve, je relis des notes anciennes de ce carnet et je n'y comprends goutte.

  • Brouillards, gravats

    Je suis dans un bâtiment moderne qui sert de plate-forme d'observation, moitié grande salle vitrée, moitié terrasse. La tour se détache solitaire dans le ciel. Mais le fond de nuées monte et mange curieusement ses contours. La tour diminue par les bords. Des coulures du brouillard suivent les arrêtes et dissimulent les faces latérales. Les panneaux de béton recouverts, rigoureusement découpés, disparaissent en se confondant avec le gris lumineux et uniforme du ciel.

    L'image silencieuse et paisible se brise quand brutalement la vision d'un chute de gravats s'y ajoute. (Le bruit qu'ils font sonne comme un premier réveil.)

    On court sur la terrasse rejoindre la foule qui regarde. L'effacement avait une autre explication : là-bas des pans de la tour se détachent et tombent en morceaux. L'effondrement s'accélère. Un mur s'ouvre au sommet. Ceux qui habitent là apparaissent dans le noir. Ils se tiennent face au vide comme des comédiens au moment des saluts : un costume bleu roi, un manteau couleur sable que je crois reconnaître. L'horreur interrompt le rêve.