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Mémoire d'endormi - Page 7

  • Marbres

    Il nous regarde en parlant. Ses grands yeux roulent. La pupille n'est qu'un point noir, sans profondeur. Ses yeux bleu blanc  sont de pierre ; une marqueterie de marbre ou semblables à ces billes que, dans l'enfance, on appelait porcelaines.

  • Carte de voeux

    J'ai dans la main une carte (d'un format intermédiaire entre la carte à jouer et la carte postale). Le recto est la photographie de nuages bleu sombre qui couvrent toute l'image. Au centre, disposées presque régulièrement en damier, sur les cases impaires, des lueurs roses : leur intensité est variable ; les plus brillantes rayonnent en étoile, les plus faibles ne sont qu'un point. En haut, dans le sens de la largeur, un mot est écrit en lettres blanches, rondes et grasses, majuscules : SOUV'AVENIR. Je suis si content du jeu de mots que je ne songe pas à retourner la carte.

  • Désaccords littéraires

    Ce n’est pas la délibération d’une académie, plutôt : un jeu de société, le passe-temps d’un soir pour une petite communauté en vacances. La séance a lieu dans une longue salle mal éclairée. A un bout, une estrade avec un tableau noir qui servira à inscrire les résultats. L’assemblée est répartie par tables de cinq ou six. L’objet du débat est la mise au point d’un palmarès : la "bibliothèque idéale", les "meilleures œuvres littéraires de tous les temps". Chaque groupe à son tour proposera quelques titres. Un délégué se lève. Le premier nom qu’il prononce est Sansevero. Mon voisin se détourne en faisant la grimace.

  • Extinction

    Je me lave les mains. Tournant la tête, je vois la paroi du tunnel que le passage du train éclaire. La cabine est étroite, le lavabo à peine plus large que deux paumes jointes pour boire. Mais l'eau tiède devient froide. La lumière baisse. Le train s'arrête, tout s'éteint. Il n'y a pas de réseau de secours. En avant, cependant, la lueur des lampes de la station suivante.

  • Nebenmonde

    Je sors. Il fait nuit noire. Dans l'obscurité totale, une lune très pâle luit au-dessus de nos têtes, au sommet exact du ciel. Son disque est uniformément gris, sans traits ni taches. Une seconde lune, pleine également, brille bas sur l'horizon. Sa lumière éclatante révèle les nuages interposés.

  • Epigraphe / aube

    Tu cherches une épigraphe pour commencer un nouveau cahier de ton journal. Tu compares le fil du temps avec le cours d’un fleuve : par une sorte de calembour, une citation avec le mot Nil semble nécessaire. J’ouvre un recueil de Guérin pour y retrouver le texte qui, je crois, pourra convenir. Un autre passage m’arrête : ce sont les dernières lignes d’une lettre. La conclusion est ordinaire, triviale, mais je lis maintenant avec difficulté les quelques phrases qui la précèdent : elles sont pleines d’incises et de redites, qui s’insinuent jusque dans certains mots et leurs syllabes redoublées. Les corrections successives s’ajoutent dans un brouillon dépourvu de ratures ; elles s’insèrent entre deux propositions et décalent la suite ou l’effacent en partie. Le jeu continue en ce moment même sur la page. 

    Quand on sort, le jour se lève seulement. C’est qu’il fait noir plus longtemps, les jours ont désormais bien commencé à raccourcir. On contourne les bâtiments plongés dans l’ombre. Quand on entre dans la cour, la vue est dégagée à droite au-dessus de la prairie et embrasse un grand pan de ciel rose. La même teinte exactement se retrouve dans le champ en deçà, luisant dans l’obscurité, comme si la couleur liquide avait coulé trempant les buissons de fleurs.

  • A distance

    La table est installée dans l’ouverture d’un porche, derrière les vantaux et débordant vers l’intérieur. La halle au-delà forme un T, vaste comme une cathédrale et couverte d’une verrière (sauf dans la partie transversale, plus étroite mais aussi haute que la nef, fermée par un berceau de maçonnerie). Le sol de marbre brille ; les parois sont richement décorées de plaques de pierre de couleur et de moulures et de guirlandes en stuc. Mais tout l’édifice est vide à l’exception de quelques tables dressées comme la nôtre aux extrémités.
    C’est une réunion de famille, un repas de baptême peut-être. Je salue des parents que je n’avais encore jamais vus. On lève les yeux au ciel, on montre du doigt la voûte transparente, mollissant les genoux pour faire croire qu’on vacille : une telle hauteur, ça donne le vertige !
    Plus loin dans la ville il y a une église en brique. Elle se dresse dans la pente d’un seul bloc ; des décrochements verticaux, autour du clocher central, animent seuls la façade. Mais à l’approche, le réseau des rues se desserre. L’unité du  bâtiment n’était elle-même qu’illusion de la perspective. La tour, qu’on y voyait, se détache, recule : elle apparaît isolée, presque sans épaisseur, dans un coin de pelouse, là où tourne la route.