Tu cherches une épigraphe pour commencer un nouveau cahier de ton journal. Tu compares le fil du temps avec le cours d’un fleuve : par une sorte de calembour, une citation avec le mot Nil semble nécessaire. J’ouvre un recueil de Guérin pour y retrouver le texte qui, je crois, pourra convenir. Un autre passage m’arrête : ce sont les dernières lignes d’une lettre. La conclusion est ordinaire, triviale, mais je lis maintenant avec difficulté les quelques phrases qui la précèdent : elles sont pleines d’incises et de redites, qui s’insinuent jusque dans certains mots et leurs syllabes redoublées. Les corrections successives s’ajoutent dans un brouillon dépourvu de ratures ; elles s’insèrent entre deux propositions et décalent la suite ou l’effacent en partie. Le jeu continue en ce moment même sur la page.
Quand on sort, le jour se lève seulement. C’est qu’il fait noir plus longtemps, les jours ont désormais bien commencé à raccourcir. On contourne les bâtiments plongés dans l’ombre. Quand on entre dans la cour, la vue est dégagée à droite au-dessus de la prairie et embrasse un grand pan de ciel rose. La même teinte exactement se retrouve dans le champ en deçà, luisant dans l’obscurité, comme si la couleur liquide avait coulé trempant les buissons de fleurs.