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Mémoire d'endormi - Page 5

  • Etape

    Pour nous rendre du point A, où nous sommes, au point B, où nous allons, la ligne droite est impraticable ; il faut pousser jusqu’à C. Peu avant l’étape, on passe un gué : l’eau est froide et monte jusqu’aux genoux. On parcourt une brève jetée en béton, perpendiculaire au courant ; la portion où l’on marche est submergée ; au centre, il y a un vide qui est le lit même de la rivière. L’après-midi qui devait suffire au voyage se termine. Soit que nous ayons mal estimé la durée du trajet, soit que nous soyons allés chercher trop loin le point intermédiaire, il est trop tard pour arriver à destination avant la nuit, il faudra dormir au village.
    Au matin je pousse les volets de la chambre : d’ici se découvre tout le triangle du territoire parcouru.  Le fleuve déroule ses bras entremêlés dans la plaine; la terre est nue, l’eau, à ras bord, a la même couleur brune, mais labile. Deux grands arbres poussent dans les îles ; sans feuilles encore, ils ont fleuri dans l’avant-printemps ; leurs branches s’éparpillent dans un réseau de fleurs petites et roses ou violettes, qui semble détaché d’elles.

  • Musicologie

    Dans mon rêve, je visite une exposition consacrée à une période encore relativement méconnue de la carrière d'Alban Berg ; y sont présentées les compositions qu'il réalisa pour la télévision dans les années 60, musiques d'accompagnement pour des animations ou des films. La première salle, en guise de préambule, je crois qu'il s'agit encore d'une oeuvre de son maître, Schönberg, "les poèmes du feu", adaptée pour un dessin animé. Dans la deuxième salle, les écrans font voir un documentaire sur la faune sous-marine,  images vivement colorées et un peu floues : bruits sourds, métalliques et feutrés. Dans la troisième, aux murs noirs ou bruns, des plaques de marbre antiques ("slabs"), longues comme des planches et fixés par des crochets. Des fragments d'inscriptions en lettres capitales ou bien  le bas de scènes gravées, la frange d'une toge, le bout d'un bâton et des pieds nus ou chaussés de sandales.

  • Visite du palais

    Les appartements de la reine mère : ici, par le petit cabinet d’angle, elle fit créer un dégagement, astucieusement ménagé dans la mur extérieur et qui débouche dans cet espace aveugle coincé entre les deux enceintes. Elle appelait cela son jardin mais, sans lumière et sans eau, ce ne pouvait être qu’un jardin de pierre.

    Un balcon : ici, le premier soir des troubles, le prince héritier, seul, alors qu'il cherchait à rejoindre ses appartements, fut confronté à un homme de la garde. Celui-ci sans doute n’en voulait pas à sa vie mais, échauffé par les clameurs,  se mit néanmoins à le menacer de son arme. Le prince fait demi-tour, rentre dans le palais, se sauve dans un réduit qui ouvre dans le passage et s’abrite derrière une toile roulée, entreposée là. Le hasard a fait qu’il s’agissait d’un portrait du prince et on a pu dire : « le prince s’est caché dans son propre portrait ». On montre encore dans la peinture la trace des coups de pique donnés par l’assaillant. Le tableau est très grossier : le visage pareil à un masque de carnaval ou une allégorie à la Arcimboldo.

  • Voyage en Angleterre

    Une carte sous les yeux : avant de déterminer où nous irons, essayons de savoir où nous sommes... Orange, jaune et violet indiquent les principales zones d'intérêt ; le blanc les étendues anodines ou étrangères. Quel itinéraire avons-nous suivi ? le trait entortillé passe un estuaire. Qu'est-il écrit ici ? une abréviation dont la légende ne dit rien : quelque chose en anglais comme "pont à chaussées séparées", "voie à un seul sens", "gestion alternée du trafic" ?

    Ici, sommes-nous loin de la mer ? En aucun point du pays le rivage n'est distant de plus d'une centaine de kilomètres (ce qui nous enchante, comme si la mer devait toujours faire notre bonheur). Dans l'hypothèse où, allant au Nord, nous nous sommes bien engagés dans cet étranglement, nous devrions voir la côte à droite et à gauche. La route suspendue contourne une énorme basilique dressée sur une éminence. Le chantier est resté inachevé au dix-neuvième siècle. La couverture de la nef manque.

  • Un masque double

    L'avers du masque forme l'empreinte d'un visage. Sa face est creuse comme son revers : le masque est double et deux personnes affrontées pourraient le porter en même temps. Creux et pleins s'arrangent comme si ces deux-là s'embrassaient.

  • Un fleuve côtier

    De Gênes à Nice. Je ne fais pas le voyage en voiture (elle est restée garée là-haut sur la corniche, avec son chargement) – ni en train (même si, je ne sais par quelle substitution, c’est ainsi que nous arriverons ; le convoi pénètre au matin sous la verrière de la gare terminus et s’immobilise le long des quais) – mais en ballon dirigeable. La côte tombe à pic dans la mer. L’aérostat contourne le massif marin, survole les vagues puis rejoint le rivage, toujours descendant. Un fleuve coule derrière les collines du bord de mer; son lit fait notre route. Un vent souffle là, suivant le courant, et nous pousse. Nous allons en silence au-dessus des eaux brunes, le ballon nous emporte comme le songe nocturne. Il fait nuit.

  • Début et fin de la neige

    Cette nuit, je trouve parmi le rebut d’un grand magasin, dans le rayon des bonnes affaires, une photographie originale d’Y.B. Sous un encadrement de papier jaune, elle montre la terrasse d’un immeuble moderne, ouverte à droite sur un jour blanc et vide. La neige du titre n’est peut-être que le grain de l’image qui atténue les traits du carroyage et des barres, voile les murs et les vitres. Au fond, du linge a été mis à sécher et ses couleurs très pâles apparaissent peu à peu.