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Mémoire d'endormi - Page 12

  • Manifestation

    Manifestation. La police barre le haut de l’avenue. Les manifestants se sont arrêtés en face, en contrebas. Ils ont vu la rangée de policiers casqués et immobiles. Ils hésitent, se retournent, commencent à se disperser. Une femme seule se détache de la foule. Elle traverse en diagonale tout l’espace vide qui sépare les adversaires. Elle chancèle et tombe comme morte à l’extrémité du rang, quasiment aux pieds des policiers. Je ne peux pas dire si elle vient d’être frappée ou si elle a reçu un projectile pendant son parcours. C’est une femme noire d’une quarantaine d’années, vêtue modestement.

  • Corrections

    M a trouvé le cahier bleu. Elle l’a lu d’un bout à l’autre. Elle me montre les derniers mots d’un texte que j'ai corrigés. Je lis sous la rature « par les Sarrasins », et dans l'interligne : « par les vengeurs de César ». Cette solution a sa préférence. Mais, à la relecture, j’ai décidé de ne pas m’en satisfaire. Je suis l'auteur. Rien ne m'empêche de modifier encore. En conclusion, ce ne sera ni les uns, ni les autres. Les vainqueurs ne seront pas précisés. Il sera vaincu. Point final.

  • Au Mexique

    Une ville du Mexique. Une ville de montagne en dehors des circuits les plus fréquentés. La principale attraction, c’est le Parc. Dans le classement du guide elle n'est que d'un intérêt moyen, mais nous voilà quand même partis le long des routes en corniche. Trois devant et deux ou trois derrière, dans notre petite voiture. On s'arrête à la grille rouillée, qui ne ferme plus. Le Parc s’étend à travers la pente, irrégulier, vallonné. Ses limites disparaissent sous les arbres. L’herbe est haute. A moitié séchée, elle est de couleur gris-vert et argent ; elle est parsemée de fleurs blanches ou de fleurs montées en graine. Ce sont de petites balles pleines d'air. Un souffle les défait. Les plumes détachées volent à travers la prairie.

    A droite, derrière la balustrade, très en contrebas, il y a un champ de terre battue. Des femmes vêtues de blanc y sont dispersées. C’est une fête. Elles chantent et leur chant monte jusqu’ici. T reconnaît l’air ; il les accompagne ; ses paroles françaises se superposent aux leurs, pendant qu'il s'avance dans l’herbe. Je marche avec lui vers ces hautes baraques de bois à l’abandon.

    A gauche, en montant, c’est un chemin creux dans la forêt. Des arbres tombés, déracinés, encombrent le passage. Au-delà je vois basculer la façade d’une grange et les planches s’abattre d’un seul tenant.

  • Il y a deux musiques

    Il y a deux musiques. La première, la course vers un but, la conquête, l’assaut. La seconde, le but atteint, la joie de l’accomplissement. Voilà ce que je comprends en entrant dans le hall du théâtre. C’est peut-être ce que disaient les deux musiciennes avec leur violon. Je les ai croisées là-bas, à la lisière Nord du parc, se relayant face aux hauts murs de pierre de la ville.

    Maintenant je cherche un billet dans ce théâtre de New York. En vain, c’est complet, on refuse du monde. Comme l’explique un jeune type également bredouille, ce n’est pas étonnant, vu la distribution. Pourtant une petite bonne femme revend des billets. Elle parle anglais avec un tel accent que je lui demande si elle est française. Non. Sèchement, sans lever les yeux. Que la transaction se fasse ! et vite !  Il y a deux places. J’interpelle mon nouvel ami pour qu’il profite de l’aubaine. Nous sommes séparés mais peu importe. Dans la salle déjà plongée dans la pénombre, je vois la foule obscure pressée sur les gradins. Ils sont entourés à hauteur d’appui d’une paroi de planches, peinte vert épinard.

    P se penche vers moi. Il dit qu’il veut partir. Mais je m’obstine. Je connais quelqu’un parmi les interprètes. Pourtant le spectacle est fini. Il se délite. Sur scène, les échanges se transforment en transactions d’arrière-cuisine. On partage des restes de nourriture.

  • Statues

    Concert dans un jardin d’ambassade. On fête les échanges culturels avec un pays d’Europe Centrale. L’orchestre joue sur le perron, ou la terrasse, de l’hôtel particulier. L’assistance déambule sur les pelouses. Le buffet est ouvert. Au milieu des musiciens, au centre, un groupe sculpté de pierre rouge, du porphyre. Trois ou quatre figures colossales assises. Pieds croisés sous les grands plis de leur robe. Nuques ployées à l’horizontale comme les Satyres en Atlante du Louvre. Visages invisibles. Elles représentent l’accablement ou la force des paysans de ce peuple-là. A l’étage, formant loggia juste au-dessus, la même sculpture mais plus variée : l’une d’elle, n’est-ce pas une Pietà ? et derrière, en bas-relief, une descente de croix ? Dans la coulisse à gauche, la maîtresse de cérémonie est une blonde en robe de mousseline ( ?), chaussures ouvertes à talon noires. Elle commande la sortie de l’orchestre sans attendre la fin des applaudissements. En face un groupe de violons se remet à jouer après s’être levé et s’achemine vers nous en musique.

  • Au travail

    Une quinzaine de personnes se serrent autour de la table trop petite. La réunion a commencé. Madame B se plaint du retard, demande que le projet accélère. Pour cela, que l'expert en charge consacre le temps nécessaire à lire la documentation. Mais, comme il l'explique, ce n'est pas de lui que dépend l'organisation de son travail. Les regards se tournent vers son chef. Il est debout contre le mur, monté sur des échasses. Un pantalon vert olive couvre ses jambes et leur prolongement. Il ne dit rien. Il montre son profil contre le mur blanc.
    Après la réunion il faut rendre les chaises rapportées. On les tire par le trou dans le bois du dossier, on les traîne de guingois sur leurs pieds métalliques. Un petit groupe se retrouve dans la grande salle autour d'un bureau pour commenter les résultats. C'est assez amusant, on rit. Plus tard je suis avec IC dans une petite pièce derrière. Elle porte une longue robe de soirée, noire, avec des festons. Elle se sent mal. Elle tombe, je tombe avec elle pour empêcher que sa tête ne cogne. C'est moi qui reçois le coup. Je l'aide à se relever, je l'accompagne pour rejoindre sa place dans la grande salle du restaurant. A certains moments, j'ai le bras passé autour de ses épaules. A d'autres, je la tiens debout contre ma poitrine, ses deux pieds prennent appui dans ma main.

  • Réunion de famille

    C’est noël. Avant de rejoindre la maison des grands-parents, frères, sœurs, cousins, oncles et tantes sont venus dans notre maison du bord du lac. Un chalet noirci sur les eaux grises, avec une courte plage de gravier. Temps couvert, humide, sans lumière.

    Le petit dernier se déchaîne. Quelquefois un nourrisson, quelquefois debout sur ses jambes, il a dérobé les clés, il s’amuse à faire démarrer les voitures garées sur la pelouse. On laisse faire. C’est déjà un petit homme, on en est fier. Il maîtrise la marche avant comme la marche arrière, il sait s’arrêter à temps.

    Dans le salon, il y a mon frère, ma sœur et une fille plus jeune. Elle est brune et mince, vêtements sombres, les traits un peu fatigués ; quelqu’un dont on peut dire : ce n’est pas facile pour elle. Je la connais bien, même si nous n’avons pas été élevés ensemble ; c’est ma sœur cadette : mais, terrible à dire !, je ne me souviens pas de son prénom. Quand je fouille ma mémoire, je ne trouve que ce nom ridicule : « Hyacinthe ». Dans la conversation, je cherche des périphrases.

    Chez les grands-parents, on organise une séance de cinéma pour les enfants. C’est un film de Nabokov. Il faut que j’aille y voir si je veux empêcher que ne triomphent, dans la salle, sur l’écran ? la guerre, l’occupation, les tyrans. Des obstacles s’interposent. Par l’ouverture je vois les fauteuils ravagés, le chahut.