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Diversion - Page 10

  • Moutons d'or

    Le tableau est couvert de feuilles d'or en partie décollées. Une boîte transparente le protège des courants d'air mais n'a pas empêché la chute de quelques plumes. Les copeaux de métal précieux reposent sur le fond de plexiglas ou de verre.

    Ailleurs une banquette tout blanche, plus profonde que haute, court en bas des murs (pour éviter sans doute que le nez des visiteurs n'approche de trop près la couleur suspendue).  Aucun pied ne balaye, la poussière s'accumule. Les moutons roulent librement.

  • Ascension impossible

    Le vieux compositeur ne parvient pas à monter sur la scène où l'orchestre vient de jouer sa musique. C'est le moment des saluts. Le chef s'avance vers la rampe. Il cherche des yeux dans la salle (mettant peut-être la main en visière pour faire comprendre son geste aux spectateurs du fond). Puis il trouve celui qu'il attend ; il le salue, applaudit, ouvre les bras pendant que le compositeur remonte lentement l'allée. Arrivé au bout, le vieillard range sa canne (mais dans la précipitation elle tombe derrière lui) ; il tend une main au chef qui se penche et la saisit comme pour hisser le corps jusqu'à lui. Non, leurs mains se séparent. Debout contre le plateau, le compositeur fait des signes aux musiciens (derrière lui, un spectateur a ramassé la canne et tente de la lui faire reprendre). Un temps il reste là comme un nageur qui pose les mains à plat sur le bord pour prendre appui et se sortir de l'eau. Puis il commence à se glisser le long de la scène (il a retrouvé sa canne). Le chef croit qu'il se dirige vers l'escalier pour les rejoindre ; d'en haut, il l'accompagne mais, après quelques pas, le vieux  maître se laisse tomber dans un siège vide au premier rang et s'y installe.

  • Pise

    Majestueux et délicats dans leur cotte de marbre, les trois ou quatre monuments du Campo dei Miracoli trônent sur la pelouse comme des boîtes d'ivoire arrangées sur un tapis. Mais la foule ne se laisse pas éblouir. La Tour penche. Sa réputation suffit à transformer le champ en une fête foraine, en une kermesse où l'herbe rase a des poux. La Tour est un grand huit du treizième siècle, tout en pierre. Mais les sensations qu'elle donne sont subtiles : le plus grand vertige, c'est, quand on y monte, d'être, à chaque révolution du colimaçon intérieur, rejetés par des transitions insensibles successivement vers l'une puis vers l'autre paroi.

  • Poignet

    Que pensent les touristes asiatiques qui le prennent en photo du Persée de Cellini ? (je me demande si la froide figure leur rappelle le masque d'un génie bouddhique). Mais c'est un autre morceau du bronze qui attire : le héros est debout sur le cadavre gisant de Méduse décapitée. Le corps de la Gorgone, les membres tordus, s'inscrit dans un carré superposé au socle de la statue. Un bras seul échappe au reploiement et tombe le long du piédestal. Sous la cassure du poignet, la main continue l'abandon, s'ouvre à demi et paraît plus brillante que le reste du métal, sans doute d'avoir été caressée.

  • Journal

    Samedi : Eglise S. Andrea à Pistoia, chaire de Giovanni Pisano.
    (Dans le Massacre des Innocents, Hérode, vieillard couronné qui trône dans coin, bouche tordue par la colère et la terreur, assailli de têtes affligées, suppliantes ou réprobatrices.
    Dans l'Adoration des Mages, les rois ensevelis dans les longs plis du sommeil surmontés de l'éveil - ange bras tendu qui désigne).

    Dimanche : musée du Bargello à Florence, David, en marbre, de Donatello.
    (Un faux air de Gloria Grahame : sa frêle arrogance, son assurance juvénile, sa force. )

    Dimanche (2) : église Santa Croce à Florence, fresques de Giotto, mort de Saint François.
    (Les bures des moines comme les robes bien charpentées de mouches pour qui les plaies du Saint sont le miel. )

    Mercredi : musée de la Cathédrale de Sienne, statues de Giovanni Pisano.
    (Myriam, soeur de Moïse, telle une sibylle, la nuque tendue et ployée à l'horizontale, la tête tournée hors d'elle. )

    Jeudi : chapelle des Médicis à Florence, statues de Michel-Ange.
    (La face livide du marbre, le visage défait dont la matière se retire, du Penseroso. )

  • Pays cisalpins

    Pour quelques jours, en Toscane, près de Florence.

    [Léonard de Vinci (?) - Annonciation, détail]

  • Vacances d'été

    Nous habitons tous de petites maisons accrochées à la pente qui domine le petit lac sombre ; nous déjeunons ou dînons tantôt chez l'un tantôt chez l'autre ; nous lisons des poèmes anglais : l'aîné des Franckenstein compose des airs sur de petites chansons que j'ai faites à Marienbad ; à midi nous partons en bateau sur le lac pour nous baigner, le peintre reste dans le bateau pour nous croquer dans ses carnets ou faire des esquisses des arbres sur la rive ; jusque tard dans la nuit, nous allons nous promener sous le ciel étoilé ou bien nous restons assis sous la galerie d'une ferme à discuter tous ensemble... Je sais que, même si je devais un jour vivre des années sombres et moroses, je n'aurais pas le droit de me plaindre que ma vie a été pauvre après avoir vécu de tels moments.

    Quelques lignes de Hofmannsthal, traduites et citées par P. Dehusses dans sa préface à la correspondance entre le poète et Edgar Karg (« Les mots ne sont pas de ce monde »). Au présent, elles évoquent la saison de leur rencontre quelques années plus tôt dans la région du Salzkarmmergut.