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Diversion - Page 7

  • La carrière Acropole

    Je pris, en descendant de la citadelle, un morceau de marbre du Parthénon ; j'avais aussi recueilli un fragment de la pierre du tombeau d'Agamemnon ; et depuis j'ai toujours dérobé quelque chose aux monuments sur lesquels j'ai passé. Ce ne sont pas d'aussi beaux souvenirs de mes voyages que ceux qu'ont emportés M. de Choiseul et lord Elgin ; mais ils me suffisent.(Chateaubriand - Itinéraire de Paris à Jérusalem.)

    12fee426e13bf6ff672f7b6b47e961bc.jpg(Fragment de la frise du Parthénon, au Louvre).

    Il est toujours un peu surprenant de constater, à quelques années de distance, d'une visite à l'autre, les changements intervenus dans l'acropole d'Athènes. Cette fois-ci, le temple d'Athéna Niké a complètement disparu (entièrement démonté, il attend sa reconstruction selon les règles de l'archéologie contemporaine). Un moulage de la frise des Panathénées a été monté en arrière de la façade ouest du Parthénon. Les colonnes et l'entablement du flanc nord sont en cours d'assemblage (l'agencement de chaque bloc a été nouvellement identifié, après les restaurations anciennes, et attend de retrouver sa place exacte dans le puzzle monumental). L'aspect actuel des ruines n'est pas le dernier état d'une lente dégradation peu à peu arrêtée, il n'a qu'un siècle ou deux et continue d'évoluer.  Autour des temples, des échafaudages, des marbres taillés, des grues. Un chantier est en cours, très prudent et presque immobile (ne dit-on pas que sans les déblaiements trop hâtifs des premiers archéologues, on aurait été en mesure de rebâtir entièrement le Parthénon à partir des débris qui l'entouraient ?).

    Vue d'en bas, la colline paraît une carrière à ciel ouvert, exhaussée au milieu d'un morceau de campagne verdoyant, encerclée par la ville. Le sommet de l'élévation, entièrement minéral, semble avoir été arasé. Il a la couleur de la pierre fendue, découpée, rainurée (il a effectivement été longtemps une sorte de carrière d'où ont été arrachés des fragments et des ornements, emportés au loin). Le miracle, c'est que sous le piétinement, le décapage, les coups portés au hasard, dans l'embrouillement des lignes ultérieures, demeurent la délicatesse et la rigueur des formes antiques (comme apparaissent, dans la sculpture brisée conservée au Louvre, les plis des robes des Ergastines et le détail des veines sur la main du prêtre.)

  • Les ambassadeurs de Corcyre

    Les ambassadeurs de Corcyre demandent de l'aide aux Athéniens
    dans Thucydide et dans cette journée incertaine de mars,
    mais le signe est, ou peu s'en faut, un hiéroglyphe indéchiffrable :

    que disent en vérité les ambassadeurs de Corcyre,
    ont-ils vraiment demandé de l'aide, et dans quelle journée,
    en ce jour bousculé de mars ou sinon, quand ?

    Luca pense qu'ils ont demandé de l'aide pour des raisons improbables
    avec des discours impossibles. Le geste est là, empâté de paroles
    qui ne font pas un discours, et cela ne fait ni un geste, ni un texte.
    Ils retournèrent à Corcyre, arrachée la promesse d'aide,
    ou les ambassadeurs sont encore ici, parmi nous,
    masqués, ou à peine, et parlent, mal compris, demandant de l'aide
    pour le danger de mort imminent, ou Corcyre est ici, Corcyre est peut-être ce lieu-ci
    et les ambassadeurs cinglent sur la mer, sur une mer azur,
    et ne savent pas rentrer ou ne savent pas qu'ils rentrent,
    si Corcyre est où que ce soit et si personne appelle à l'aide,
    Athènes est au désert, dans un désert de paroles désolées
    d'où émergent des voiles qui se gonflent , en ce Pirée tacite

    des signes qui crient, qui crient adieu ou peut-être appellent à l'aide.

    (Piere Bigongiari, traduit par P Jaccottet in D'une lyre à cinq cordes.) 

     

  • Bassin de Latone

    Le gel commence à saisir l'eau du bassin. La glace encore peu épaisse est transparente ; le fond apparaît nettement dans l'eau froide : la tuyauterie des fontaines et les feuilles mortes noyées y rappellent les feuillages et les jets évanouis.
    (...souvenirs
    qui sont comme des feuilles sous (la) glace au trou profond
    )
    Des enfants (mais pas seulement) jettent du gravier dans la fontaine pour le plaisir, sans doute, de voir l'eau porter des pierres et entendent, sous les coups, le chant métallique de la glace tels des fils de fer qui vibrent.

     

  • La terre n'est que du cron

    J'avais, plus près de Paris, une autre station fort de mon goût chez M. Mussard, mon compatriote, mon parent et mon ami, qui s'était fait à Passy une retraite charmante où j'ai coulé de bien paisibles moments. M. Mussard était un joaillier, homme de bon sens, qui, après avoir acquis dans son commerce une fortune honnête, et avoir marié sa fille unique à M. de Valmalette, fils d'un agent de change et maître d'hôtel du roi, prit le sage parti de quitter le négoce et les affaires, et de mettre un intervalle de repos et de jouissance entre le tracas de la vie et la mort. Le bonhomme Mussard, vrai philosophe de pratique, vivait sans souci, dans une maison très agréable qu'il s'était bâtie, et dans un très joli jardin qu'il avait planté de ses mains. En fouillant à fond de cuve les terrasses de ce jardin, il trouva des coquillages fossiles, et il en trouva en si grande quantité, que son imagination exaltée ne vit plus que coquilles dans la nature, et qu'il crut enfin tout de bon que l'univers n'était que coquilles, débris de coquilles, et que la terre n'était que du cron.

    (Rousseau - Les Confessions, VIII)

  • Retour de Rome

    Le nombre de visiteurs a augmenté et continue de croître, la situation s'est dégradée au point où la finalité de l'établissement semble se limiter à faire passer tous ceux qui se présentent par un certain nombre de points  (ceux-là sans doute pour lesquels ils sont venus) : le guichet où sont vendus les billets, la Chapelle Sixtine et la boutique, avant la sortie. Les longs corridors (comme la Grande Galerie du Louvre) sont les pires lieux d'exposition : les groupes s'arrangent en file et tout le monde doit avancer au même pas. (Ceux qui privilégient l'attention sur le débit peuvent s'arrêter à l'écart, dans la Pinacothèque). Les flux sont gérés avec une certaine astuce : le flot est divisé entre plusieurs circuits  qui étalent la crue en ajoutant le Laocoon ou les Stanze de Raphaël au programme  ; un afflux excessif peut être dérivé pendant un quart d'heure en poussant une porte : le musée d'art religieux moderne offre un certain volume de stockage, la vitesse d'écoulement reste à peu près constante, la longueur du parcours détermine la capacité de la retenue. Dans le bassin principal (la Chapelle), le mouvement de la foule se perd ; le remplace une rumeur toujours croissante, interrompue quand elle devient trop forte et ramenée au murmure par les protestations des gardiens ou des haut-parleurs.

    (J'imagine qu'un jour ou l'autre une autre organisation, plus raisonnable, s'imposera : ou bien on construira une réplique, comme à Lascaux ; ou bien on mettra en place un système de quotas et de réservation - espérons que, dans ce cas, le temps de visite sera plus long que les douze minutes accordées pour les fresques de Giotto à Padoue).

  • Après coup

    Je ne sais pas si ça a été dit : je me rends compte aujourd'hui que la jeune femme arrêtée au Tchad jouait le rôle du premier amour dans le beau film de Civeyrac, Fantômes.

  • Souvenirs de Flaubert

    Je croyais qu' un Enterrement à Ornans (1850) de Courbet figurait l’enterrement de l’héroïne de Madame Bovary (1857). C’est au-dessus d’Yonville, dans la campagne délavée, sous les falaises de craie. Devant la fosse se tient Charles, tête nue, échevelé et blafard, n’écoutant et ne voyant personne. A gauche, un Rodolphe plébéien (qu’il a fière allure !) a mis un genou à terre. A droite Homais, bras levé, pérore. A l’écart, les femmes « couvertes de mantes noires à capuchon rabattu », offusquées par de grands mouchoirs. Leur cortège s’est replié sur lui-même, le chagrin forme la ronde. J’étais étonné de les voir pleurer autant une femme qu’elles ne devaient pas porter dans leur cœur.
    (Mais, à dire vrai, on peut mettre un nom sur presque tous ces visages ;  ce sont les portraits, réels et non fictifs, d’habitants du village d’Ornans, d’amis ou de parents du peintre. Dans l’invention de l’artiste, on ne sait pas qui est porté en terre.)