Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Au Louvre - Page 4

  • La ruche des nombres

    Art grec : art essentiellement funéraire. (...)

    Comme si la pensée de l'artiste grec, ce n'était que cette équation : moins on reconnaît de réalité aux contradictions d'une chair évidemment périssable et plus on se doit de porter à une perfection de la forme ce rapport de l'âme et du corps visible que la vie comme elle est vécue empêche de délivrer du non-être. Mais ce sont des morts, ces abeilles qui volent en silence autour de la ruche des nombres. Ce que l'on ressent l'être de la vie, de sa vocation à présence, ne ruisselle plus au travers des voies de l'Intelligible.

    (Bonnefoy - Le Grand Espace, la Grèce 3)

  • La Tour

    (Il faudrait résister au courant des visiteurs (qui inexplicablement s’entassent dans l’exposition Babylone du Louvre) et rester devant la Tour de Babel de Bruegel, s’en approcher malgré la barrière et, l’œil contre le verre, rester le temps qu’il faut pour en bien comprendre tous les détails – suspendu en quelque sorte entre ces deux extrêmes qui se renforcent l’un l’autre, l’énormité du monument imaginaire et la minutie des détails peints.) Les parois extérieures de la tour sont en pierre (grises à la base elles prennent une teinte orange en s’élevant). Au sommet, inachevé, elles manquent et dévoilent les murs du noyau en construction, de brique rouge. Avec les arcades, l’agencement rappelle les enveloppes concentriques du Colisée (dont la structure au lieu d’un cercle dessinerait une spirale ; comme un ruban enroulé puis étiré à partir du centre pour former un cône). Le soin apporté à la description du chantier et à ses techniques est manifeste : la route qui s’élève en tournant est hérissée sur son bord d’instruments de levage qui se relaient d’étage en étage. Deux longues traînées à gauche, rouge, blanche, indiquent le chemin que suivent les matériaux (d’un côté la brique, de l’autre le mortier ou la craie).  Ce que l’emprise immense de la tour laisse visible du pays semble encore occupé à sa construction : la mer fréquentée,  les vaisseaux nombreux ancrés au pied de la tour (un chenal du port pénètre jusque sous ses arcades) ; la carrière au premier plan ; les fours à brique épars dans la campagne verdoyante.

  • Ici-bas

    Ex-voto, de Champaigne.

    Les rayons schématiques de la lumière divine, le maigre crucifix au mur avec son étroite couronne d'épines et les clous à-demi enfoncés. Le plancher brut avec les planches régulièrement et solidement clouées, le doux éclat et les plis opulents des robes des religieuses.

     

  • Paysage près d'Ariccia

    573bb6982df925f9efd468d7fb9d9233.jpg
    Corot - Paysage près d'Ariccia, Musée du Louvre.

    (Parmi les tableaux de Corot, il en est une série dont le charme m'échappe : ce sont ces compositions imaginaires, vues dans une lumière indécise, où des nymphes pataudes marchent dans la brume, passant sous des feuillages argentés, au bord d'étangs ; on n'y retrouve pas l'exactitude, la clarté et l'art de rendre la transparence de l'air qui font notamment la beauté des vues d'Italie peintes sur place. Dans les dessins actuellement exposés au Louvre, les feuilles tardives se rapprochent de cette manière-là : arbres fuligineux et vagues, avec la lune, des poètes et des bergers d'allégorie, intermédiaires entre Claude Lorrain et Puvis de Chavanne. En revanche dans les études de paysage plus anciennes, il y a le même bonheur que dans les toiles correspondantes : dans les vues de sous-bois, le trait du crayon semble croître comme le végétal, suivant chaque rameau à travers l'enchevêtrement. De même un banc de rochers est rendu dans tout son développement qui fait sentir le pli qu'il imprime à la terre et qu'on pourrait suivre en marchant, comme le lit de ce torrent ou le tracé de ce chemin. De grands espaces laissés blancs interrompent la profusion des motifs recréés dégageant les masses, reliant le proche au lointain, indiquant la focalisation d'un regard. Les contours sont émoussés par la profondeur mais un détail à l'horizon peut être plein de précision, dans sa petitesse, parce qu'il attire les yeux, alors qu'un buisson ou une pierre au premier plan ne sont qu'une forme imprécise.)

  • Praxitèle

    L'exposition commence par un socle vide : le sculpteur y a mis sa signature et c'est peut-être là le seul témoignage de sa main que tout le monde s'accorde à reconnaître. Elle se termine par un satyre de bronze, trouvé dans une épave au large de la Sicile : corps arqué, tête rejetée en arrière, yeux blancs de l'extase. Entre les deux termes du parcours sont rassemblées des statues hypothétiquement imitées ou inspirées des originaux. Elles me rappellent (faute d'attention sans doute) l'ennui que peuvent instiller les collections d'antiquités classiques quand l'exaltation du nom ou l'étrangeté manquent : sans vie et sans grâce, peuple monotone de marbre encombré de copies, pastiches et rafistolages produit inlassablement par les ateliers pour le décor des palais, des jardins et des stades.

  • En route

    Avant de partir revoir Madame Leblanc, je m'arrête devant Madame Marcotte : autant la première, dans mon souvenir, est simple et affable, autant la seconde apparaît compliquée et peu amène. Même l'or de ses bijoux ne brille pas beaucoup alors que le tissu du canapé resplendit. Son caractère lui vient peut-être de sa coiffure impossible : deux mystérieuses tours noires au sommet de la tête et puis deux ailes tout aussi noires, plaquées en haut du front, qui finissent en rouleaux sur les tempes. La ténébreuse involution contamine les ailes du nez et les commissures des lèvres, qui se renfrognent. La robe reproduit le système d'aplanissement et de gonflement de la chevelure, contredisant le corps et la respiration  : déprimée au centre, sur la poitrine que sangle une ceinture, et bouffante dans les manches... (Décidément, la merveille des portraits d'Ingres, c'est l'équilibre entre la ressemblance et l'abstraction :  les formes simples de la géomètrie courbent la figure, les matières se changent en motifs sans que le portrait disparaisse.)

  • H. M.

    Au Louvre, revu le David sacré roi par Samuel, de Claude Lorrain.

    Au premier plan, sous un haut portique se déroule la scène qui donne son nom à l'oeuvre. A côté, devant le palais, des serviteurs vont et viennent parallèlement au plan de la toile. Un sacrifice se prépare. On amène un bélier ; l'homme qui doit le mettre à mort attend debout, au centre, la double hache sur l'épaule. Au-delà s'étend un magnifique paysage de vallée, dans une douce lumière. Une ville est massée au pied des montagnes (dont le modèle est peut-être une ville d'Italie que le peintre a vue, de brique et de travertin, encore médiévale, fortifiée). Je ne peux m'empêcher de faire le lien entre cette cité et la royauté accordée à David (dans le tableau les deux éléments se répondent d'un plan à l'autre, à gauche)... Devant la ville, il y a un pont d'une forme peu commune, interrompue, comme un m disjoint : deux arches de pierre, une pile centrale, deux passerelles que l’on imagine en bois : dans le rapport imaginé, la symétrie de la construction fait écho à celle de l'instrument du sacrificateur...

    Peu après, le lisais : "Le labyrinthe, c'est le lieu de la double hache (Labryx)" / Robbe-Grillet à Cerisy : "Cela posé, je n'ai pensé ni au poignard, ni au Labyrinthe, ni à quoi que ce soit de ce genre mais à deux lettres qui au point de vue graphique sont les deux plus proches, puisqu'il y a des façons de tracer le M qui le font ressembler tout à fait à un H (--> Henri Martin, Dans le labyrinthe). (...) H. M., c'est le personnage dont le prénom est identique au nom de famille (??? --> Humbert Humbert, Lolita), et dont chaque moitié de lettre est identique à la deuxième moitié, ce qui produit une double annulation, comme si le nom y disparaissait lui-même en tant que nom" 
    (in Renaud Camus, Journal de Travers, Fayard, p226)