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Au Louvre - Page 2

  • Refermé

    Les instruments de la musique civile, par Chardin.

    (Ne dirait-on pas que toute la composition repose sur la touche du ton le plus vif, celle qui forme la tranche du livre posé à plat, un peu plus bas que le centre du tableau ? Les deux traits verts de la couverture l’isolent du rose du tambourin et de la pourpre du tapis ; ici, pour que la couleur perce le poudroiement épars, les tons dissous  se concentrent. Rouges, bruns, bleus, cuivre et vert-de-gris se recueillent dans l’étroite bannière horizontale.
    Le volume fermé est le terme plein qui s’oppose aux vides béant par les ouïes du violon ou par les pavillons de la clarinette et du cor. Et tout le bric-à-brac des instruments et des accessoires se reploie dans son resserrement. Le ruban déroulé est pressé comme marque-page, les partitions étalées rentrent dans l’obscurité close. Le silence rutile.)

  • Le grand vide enfermé

    Cy Twombly a peint (ou, plus exactement, a fait peindre à son idée) le plafond de la salle des bronzes antiques au Louvre : un grand rectangle bleu ciel, vide, avec sur les bords des disques couleur de métal ou de terre (sphères, boucliers, jetons des Médicis, etc.) et, dans des cartouches, les noms d'artistes grecs anciens.

    Citons, à ce propos, Barthes ("Sagesse de l'art"), qui cite Valéry à propos de Twombly :

    Le Rectangle Rare renvoie de la sorte à deux civilisations : d'un côté au "vide" des compositions orientales, simplement accentué ici et là d'une calligraphie ; et de l'autre à un espace méditerranéen, qui est celui de Twombly ; curieusement, en effet, Valéry (encore lui) a bien rendu compte de cet espace rare, non à propos du ciel ou de la mer (à quoi on penserait d'abord), mais à propos des vieilles maisons méridionales : "ces grandes chambres du Midi, très bonnes pour une méditation - les meubles grands et perdus. Le grand vide  enfermé - où le temps ne compte pas. L'esprit veut peupler tout cela." Au fond les toiles de Twombly sont de grandes chambres méditerranéennes, chaudes et lumineuses, aux éléments perdus (rari) que l'esprit veut peupler.

  • Madeleine

    L’enterrement du Christ, de Titien.

    (Dans le ciel inachevé, les mains de Madeleine apparaissent une seconde fois, par l’effet d’un repentir, au-delà des bras ouverts, augmentant leur écart. On a l’impression d’un corps brutalement arrêté, comme une flèche plantée dans la cible, qui vibre encore. Le point d’arrêt de la figure dressée sur les pointes, c’est ce cadavre puissamment lourd et immobile sur qui elle se penche. Tous les efforts réunis peinent à soutenir son poids ; seuls lui conviennent l’ensevelissement et la pierre historiée du tombeau. Madeleine arrive trop tard, pas même épousée et déjà veuve ; sa poitrine est flétrie, sa robe blanche est le linceul.)

  • Molé

    Le portrait par Ingres du comte Molé est enfin entré au Louvre. Il est exposé dans les salles, aux murs rouges, des grands formats du dix-neuvième siècle français.

    (La pointe du col de chemise fait un point brillant juste sous l'oreille gauche et ajoute comme un anneau de pirate à son air farouche).

  • L'aveugle

    L’autre jour, au Louvre, j’ai croisé un aveugle en train de visiter l’exposition Titien, Véronèse, Tintoret. L’homme qui l’accompagnait le menait d’une salle à l’autre ; lisait les cartels et lui décrivait sommairement les tableaux, parlant par le truchement d’un petit microphone relié à un casque.

  • Brève clarté

    Le "Coup de soleil", de Ruisdael.

    Le ciel, où montent de grands nuages, occupe la majeure partie du tableau. La terre est traversée par une route et un fleuve qui se croisent, selon une forme habituelle à l'artiste, comme une paire de ciseaux largement ouverts rabattus à l'horizon (les ailes du moulin reprennent cette intersection, perpendiculairement). Les hommes, plongés dans le cours du temps, vont et viennent sur la route ou bien se baignent dans le fleuve, résistant au courant qui les entraîne. Mais ces images du flux et de l'écoulement sont surpassées par l'éclat d'un seul instant, qui fait briller la lande. Derrière la tache resplendissante, le clocher d'une église plongée dans l'ombre désigne le ciel. Le fort contraste de  l'ombre et de la lumière sur la terre s'oppose aux gradations subtiles de l'atmosphère, qui va du bleu obscurci au blanc et au gris, puis aux traces au loin de l'averse. Mais de ce ciel successif et illimité tombe le point fugace de l'éclaircie.

  • Cosmè Tura

    Au Louvre, prêté par le musée d'Ajaccio: La Vierge à l'Enfant avec saint Jérôme et une sainte martyre, de Tura.

    (Les couleurs ont noirci : les figures se mélangent aux colonnes de l’arrière-plan ; elles paraissent coiffées par les vases remplis de cerises du décor, qu’elles cachent à demi ;  les têtes rondes et les cous hauts et droits donnent l’impression d’un jeu de quilles.  Mais, au second regard, la lueur blanche des chairs perce sous l’obscurcissement de la peinture ; les volumes des draperies se dégagent de l’ombre ; les mains, magnifiques, sont vivantes, elles serrent et portent. Les visages de la sainte martyre et de la Vierge sont presque semblables : le même ovale, la bouche petite, le menton rond et les yeux cernés mais celui de la Vierge, animé par la douleur, se détourne pour ne pas voir l’Enfant jouer avec les fruits écarlates.)