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Au Louvre - Page 3

  • Cristallin

    Marine, de Claude Lorrain.

    Le format ovale du petit tableau renforce cette rêverie qui nait quelquefois des soleils couchants du Lorrain, l'impression que le paysage qu'ils illuminent ne s'étend pas extérieurement, sous un regard, mais qu'il a été saisi à la surface d'un globe où il se projette : nous contemplons l'image close qui s'est formée à l'intérieur d'un oeil. Cela explique la matière vitreuse, plus dense que l'air, qui remplit l'étendue transparente. Les nuages n'y flottent pas mais sont pris, comme les éclats blancs du ressac, dans son épaisseur. Le soleil est la pupille de cet oeil, l'ouverture où passent les rayons qui déterminent l'image.

  • Portrait

    Goya, Portrait de Don Luis Maria de Cistué.

    (Les joues sont grosses, délicates et roses comme celles d’un vieil aristocrate ; elles apparaissent  trop précises contrastant avec les couleurs vibrantes de la ceinture et de l’habit. Le sérieux de l’enfance fige les traits ; le petit garçon nous regarde bien en face.
    Mais il songe tout de même à son chien ; et tend les deux mains qui tiennent la ficelle pour que l’animal aussi tourne la tête et prenne la pose : mais, au lieu de ça, le chien regarde son maître.)

  • La Mort de Saphire

    La Mort de Saphire, de Poussin.

    Saphire s'est effondrée, elle est morte, sa chair est devenue grise. Le petit groupe qui l'entoure est bouleversé, se penche sur elle, regarde vers l'apôtre dont la parole, qui vient de retentir, a suffi, semble-t-il, à la tuer. Seule à l'extrêmité gauche, une femme se détourne portant un enfant sous le bras ; elle retient encore sa compagne, l'invitant peut-être à délaisser la morte, à réserver sa compassion à d'autres. L'enfant nous regarde, suce son pouce, indifférent à l'événement.

    Saphire a menti sur le prix d'une propriété, espérant garder une partie de l'argent de la vente au lieu de le remettre à l'apôtre et à la communauté. Ses vêtements, sa parure, dénotent la richesse. Elle est la seule à porter des chaussures, elle a des rubans d'or dans les cheveux, en partie dissimulés.

    Perpendiculairement à la scène racontée, une vaste perspective monte dans la ville. De part et d'autre, les hauts bâtiments carrés semblent continuer, en y ajoutant une dimension, le dallage du premier plan. Entre eux, au-delà d'une bande grise indéterminée, il y a un bassin rempli d'eau ; puis une place, un grand escalier, une esplanade fermée sous un rocher couronné de tours. Sur cette autre rive, des figures drapées se promènent.

    L'étagement des plans place sous l'index accusateur de l'apôtre, dans l'éloignement, une scène d'aumône qui justifie la condamnation qu'il a prononcée. Une femme est allongée au bord de l'eau et tend la main ; une écuelle est posée à côté d'elle. Un homme donne d'une main et de l'autre désigne les apôtres et le petit groupe des adeptes comme la source de sa générosité.

    Un peu plus haut dans l'évangile, après la guérison d'un infirme, il est question de la pierre, que "vous, les bâtisseurs avaient dédaignée et qui est devenue la pierre d'angle". Les blocs épars autour du bassin renvoient peut-être à ces pierres rejetées. La ville opulente, au-dessus, est celle des "bâtisseurs", elle est semblable dans sa grisaille au corps mort de Saphire : à la tête brillent les fils d'or mais son visage est un masque livide et ses bras, épais et lourds, sont pleins de la pesanteur de la mort.

  • Feux

    La prédelle du retable de San Zeno, dans l'exposition Mantegna au Louvre.

    Le calvaire est situé, dirait-on, à l'un des sommets du monde : la courbure du globe est visible. Le sol est pâle, convexe et lisse comme le haut d'un crâne gigantesque, conforme à l'étymologie. A l'arrière plan : la ville de Jérusalem et une étrange aiguille de roches brun rouge où le sépulcre est creusé (Le lieu de chaque scène se repère selon ces deux points, tournant, se rapprochant ou s'éloignant).

    La pierre et le bois sont les élément constitutifs : ils s'imbriquent sans intermédiaire. Les croix sont plantées dans la roche (on voit les trous vides où elles s'encastrent) ; elles sont fixées par des coins ou des blocs amoncelés. Dans la Résurrection, les arbustes font éclater la paroi du sépulcre.  La pierre se délite comme une bûche qu'on fend. Une même matière, ligneuse et minérale, saisit les choses et les êtres : les plis des robes, les rides creusées, les lèvres ouvertes, les corps raidis.

    Dans la Résurrection, un feu embrase la matière. La renfoncement où est placé le tombeau est taillé comme un âtre dans la roche. Le Christ porte la bannière de saint Georges ; derrière lui : un halo de chérubins blancs à sa gauche et rouges à sa droite. De façon inverse, la paroi apparaît blanche de ce côté (car la lumière de l'aube tombe d'aplomb sur la pierre) ; en face, la lueur surnaturelle éclaire le roc latéralement et, rasant la surface fissurée et inégale, fait naître un rougeoiement précieux filé de noir.

     

  • Salubre

    Dans l'exposition Mantegna, au Louvre. Histoire de Drusienne  de Giovanni Bellini.

    Le panneau de la prédelle est divisé en trois par des piliers peints qui semblent inclus dans la composition centrale. Les trois vues se succèdent de droite à gauche, sans être contiguës. Dans la première scène, le cortège funéraire de Drusienne sort de la ville close. Dans la deuxième, au centre, Drusienne est rappelée à la vie par Saint Jean au milieu d'un cimetière, près de son tombeau ouvert. Dans la dernière, l'assistance accompagne la femme ressuscitée dans la direction d'une maison au fond, tout à gauche, qu'un personnage désigne de la main. 

    La perspective et la composition sont organisées selon une croix dont le centre est le miracle. La bière sur laquelle est étendue Drusienne est représentée successivement de profil, dans le sens de la longueur, puis en raccourci, de face : le cadavre et le corps en train de revenir à la vie sont perpendiculaires l'un à l'autre ; mais l'élan de la femme qui se relève infléchit le schéma et dans la dernière scène, l'assemblée qui s'éloigne continue son mouvement libre, de biais.

    De droite à gauche le paysage urbain se desserre : au petit pan étroit de ciel du premier tableau succèdent de larges trouées vers l'extérieur de la ville. Malgré l'étirement du panneau, le peintre parvient à exalter l'étendue dans le sens de la profondeur : à droite une douve, à gauche un podium, ouvrent un espace entre le spectateur et les premiers plans. Les pleins et les vides des monuments antiques, les arches et les socles, s'étagent solidement campés autour et derrière les personnages. Surtout les dégagements horizontaux laissent voir les merveilleux lointains, les montagnes bleues sous une bande de clarté. Entre elles et la ville haute règne une plaine nue ; un air froid et transparent y circule qui en retour emplit de sa limpidité les abords de la cité (dissipant la mauvaise odeur qui obligeait un témoin à se boucher le nez).

  • Jean Fouquet (2)

    Exilé dans le département des objets d'art (la technique l'emporte sur l'artiste), un étage en dessous du Guillaume des Ursins et du Charles VII, l'autoportrait de Jean Fouquet. Email peint sur cuivre : le métal est comme le tain du miroir où le peintre a pris son image ; ses yeux vivants y sont fixés entre les deux termes de son nom et attestent à l'égal de celui-ci, avec gravité, la présence solitaire du peintre. (A notre tour, nous pouvons la constater en ajustant notre regard à la pièce ronde, oeilleton percé dans l'épaisseur jaune du temps.)

  • Eaux et lame

    Le Ravissement de saint Paul, de Poussin.

    Le saint avec les trois anges qui le portent en plein ciel composent un groupe compact dont la solidité, les formes nettes et les couleurs franches contrastent avec la nuée qui l'entoure. L'ensemble fait bloc au milieu du vide et paraît davantage en apesanteur qu'en vol (pas une plume des ailes ne bouge ; les anges n'en ont pas besoin pour annuler la charge du corps pesant qu'ils tiennent fermement). Le ravissement est sans désordre ; le bel ange de gauche, qui donne au saint sa principale assise, s'incline sans effort (son éloignement de la verticale semble, plutôt qu'un mouvement pour se pencher en arrière, le résultat d'une rotation géométrique autour du centre de gravité). Les anges font sensiblement la même taille que le saint et, en conséquence, le groupe est hérissé de bras et de jambes similaires : les mains sont occupées (à soutenir, à exprimer : par un geste délicat l'ange le plus élevé touche de l'index la paume du saint et désigne à l'autre main le ciel) ; les pieds pendants, dont le compte est exact, semblent en revanche un peu trop nombreux (malgré la douce teinte des orteils des créatures célestes que peut-être "rougit la pudeur des aurores foulées".)

    Sous l'étrange assemblage, au sol, une architecture massive compose une plate-forme entre un pilier et une ouverture, où sont posés le livre et l'épée associés au saint. Au-delà de ce seuil un très beau paysage : le ciel lointain illuminé derrière une colline et la plaine avec ses eaux éparses (dont les reflets s'accordent avec le miroitement de la lame).