La Mort de Saphire, de Poussin.
Saphire s'est effondrée, elle est morte, sa chair est devenue grise. Le petit groupe qui l'entoure est bouleversé, se penche sur elle, regarde vers l'apôtre dont la parole, qui vient de retentir, a suffi, semble-t-il, à la tuer. Seule à l'extrêmité gauche, une femme se détourne portant un enfant sous le bras ; elle retient encore sa compagne, l'invitant peut-être à délaisser la morte, à réserver sa compassion à d'autres. L'enfant nous regarde, suce son pouce, indifférent à l'événement.
Saphire a menti sur le prix d'une propriété, espérant garder une partie de l'argent de la vente au lieu de le remettre à l'apôtre et à la communauté. Ses vêtements, sa parure, dénotent la richesse. Elle est la seule à porter des chaussures, elle a des rubans d'or dans les cheveux, en partie dissimulés.
Perpendiculairement à la scène racontée, une vaste perspective monte dans la ville. De part et d'autre, les hauts bâtiments carrés semblent continuer, en y ajoutant une dimension, le dallage du premier plan. Entre eux, au-delà d'une bande grise indéterminée, il y a un bassin rempli d'eau ; puis une place, un grand escalier, une esplanade fermée sous un rocher couronné de tours. Sur cette autre rive, des figures drapées se promènent.
L'étagement des plans place sous l'index accusateur de l'apôtre, dans l'éloignement, une scène d'aumône qui justifie la condamnation qu'il a prononcée. Une femme est allongée au bord de l'eau et tend la main ; une écuelle est posée à côté d'elle. Un homme donne d'une main et de l'autre désigne les apôtres et le petit groupe des adeptes comme la source de sa générosité.
Un peu plus haut dans l'évangile, après la guérison d'un infirme, il est question de la pierre, que "vous, les bâtisseurs avaient dédaignée et qui est devenue la pierre d'angle". Les blocs épars autour du bassin renvoient peut-être à ces pierres rejetées. La ville opulente, au-dessus, est celle des "bâtisseurs", elle est semblable dans sa grisaille au corps mort de Saphire : à la tête brillent les fils d'or mais son visage est un masque livide et ses bras, épais et lourds, sont pleins de la pesanteur de la mort.