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  • De la maison des morts

    Samedi soir, à l'opéra.

    De la Maison des morts, de Janacek.

    Est-ce un opéra ? Pas d'action, pas de personnages. Un choeur d'où sortent des monologues. L'orchestre à plein volume, du début à la fin, presque sans reprendre sa respiration, sans épisode, tambour battant. La mise en scène ne remédie pas à cela, incompréhensible. Sauf peut-être au troisième rang du parterre ? Couleurs : jaune canari et noir corbeau. Accessoires : un platane, des meules, un pope, des crânes en caoutchouc.

  • L'homme aux colts d'or, de Dmytryk

    Vendredi soir au cinéma.

    L'homme aux colts d'or, de Dmytryk.

    Histoire peuplée d'arrière-histoires. A l'image de la scène de l'attaque de la diligence, où un second tireur embusqué (comme à Dallas en 1963 ?) abat un voyageur par dessus l'épaule des assaillants, qui n'y comprennent rien.

    Dans toutes les premières scènes ou presque, à chaque fois vers la fin, un personnage, le même, se détache dans le plan, muet et en réserve. C'est, mêlé à l'action, refusant d'y prendre part, l'homme de la mauvaise conscience. Un regard insistant, sans origine, va le chercher et l'appelle. Ce regard s'incarnera au milieu du film, dans une voix à laquelle enfin notre héros va répondre.

  • On ne devrait pas parler de musique quand on n'est pas musicien

    Mercredi soir, concert à la Cité de la Musique.

    Varèse, Xenakis. Cuivres, percussions, sonneries et fanfares. Pas matière à finesses psycho-acoustiques. Le dur d’oreille entend ; le dérangé se rassérène. C’est bien agréable.

     

    Jeudi soir, concert au Théâtre des Champs-Elysées.

    Quarantième Symphonie de Mozart. En 1989 ou 1990, pour ses débuts, une radio diffusait un programme musical en boucle. Dans la succession des extraits, il y avait le deuxième mouvement de cette symphonie. Et dans ce deuxième mouvement, il y a deux fois ce passage qui nous ravit. J’étais au lycée, interne. A la pause je regagne ma piaule pour brancher la radio, impatient, incertain d’avoir ce plaisir que j’espère. Une fenêtre étroite donne dans la cour. La salle de classe ouvre dans une galerie sur cette même cour. De mon poste, je peux suivre la rentrée des élèves . Avant ça - est-ce que je l’aurai ?

    C’était comme ça que je comprenais Mozart. Dix exemples de ça dans ses concertos pour piano ou ses quatuors. A l’intérieur d’un langage convenu et sans jamais abandonner les éléments de ce langage, la survenue d’un accent inouï. Le glissement de panneaux interposés, d’opacité décroissante ; le dévoilement d’un ciel lumineux d’éclaircie. Une hésitation, un oscillation, court tout au long de ce mouvement et puis, deux ou trois fois, la superposition du motif des cordes et des vents (est-ce que je sais ? on ne devrait pas parler de musique quand on n’est pas musicien) produit la miraculeuse huile sonore.

    Bien sûr, à la 262ème occurrence, l’effet est moins évident. D’ailleurs je suis venu pour écouter la symphonie de Bruckner.

  • Le fleuve par le chas d'une aiguille

    Mardi soir, concert au Théâtre des Champs Elysées.

    Le Quintette à cordes de Schubert. « Un Monsieur de Vienne, encore jeune, et obèse », « fait couler un fleuve par le chas d’une aiguille » (selon Tranströmer, traduit par Outin, cité par Jaccottet). Mais pas ce soir-là, pas pour moi en tout cas.

    A propos d’aiguilles, j’ai le souvenir il y a cinq ans, dix ans ? (Remember ! Esto memor !) de concerts sous la menace de la montre d’un voisin. Peu après le début, au premier silence, à la première baisse du volume sonore, l’oreille détecte le tic-tac d’une trotteuse à droite, à gauche, devant, derrière, ou plusieurs. Impossible alors de ne plus l’entendre. On a beau se tordre sur son siège, se boucher une oreille, mettre la main en cornet. Musique avec accompagnement de métronome.
    Cela a passé : l’oreille ou la cervelle ont dû s’endurcir. La sensibilité s’émousse.
    Mais avant-hier c’était sur scène qu’était le dérangement. Dans le quatuor qui veut jouer ensemble, j’entends la voix du premier violon bien plus forte que toutes les autres. C’est embêtant.

  • La Chienne

    Lundi soir, au cinéma. La Chienne, de Renoir.

    On peut apprécier l’aspect documentaire des rues de Paris, les modes, les gestes et le langage parlé il y a un siècle (mots et accents de l’année 1930 qu’on imagine plus lointains que les phrases de Villehardouin pour la langue écrite et qu’on s’émerveille de toujours à peu près comprendre) ; on peut aimer le genre d’histoire de ce temps-là, caractères et  types bien franchouillards (le maquereau, la grue, le pigeon) ; mais je préfère les moments où la caméra vacille pour suivre un couple qui danse, ou pour passer de l’armoire refermée à la fenêtre ouverte avec la petite fille d’en face qui joue du piano (le linge bien replié et tassé avec les billets glissés au milieu de la pile ; le blaireau plein de savon posé sans égards tout contre).

  • Commencer par la fin

    A mi-chemin de son récit, le narrateur éponyme du roman de Machado de Assis, Dom Casmurro (trad. AM Quint), propose une réforme du théâtre :

    C’est un genre d’art où il y a peut-être quelque chose à réformer et moi, je proposerais, à titre expérimental, de commencer les pièces par la fin. Othello se tuerait et tuerait Desdémone au premier acte, les trois suivants seraient consacrés à l’action lente et décroissante de la jalousie, et le dernier ne comporterait plus que les scènes initiales avec la menace turque, les explications d’Othello et de Desdémone, et le bon conseil du subtil Iago : « Mets de l’argent dans ta bourse ». Ainsi le spectateur, d’un côté, trouverait au théâtre la charade habituelle que lui proposent les journaux, parce que les derniers actes expliqueraient le dénouement du premier, qui serait comme le tout à deviner, et d’un autre côté, il irait au lit sur une bonne impression de tendresse et d’amour :
        She loved me for the dangers I had pass'd,
        And I loved her that she did pity them

    J'aime dans ce passage :
    - l’allusion voilée au dénouement, sous l’emblème ambigu d’Othello ;
    - le soupir de l’écrivain fictif qui sait que son histoire finit mal et voudrait retourner aux bonheurs de l’origine ;
    - l’image du travail de l’écrivain qui compose ces mémoires à l’envers, du plus lointain au plus proche ; semant son chemin d’éléments qui annoncent ou préparent la révélation finale, comme un auteur policier place ces indices tout au long de son roman avant de les rassembler dans les dernières pages pour désigner le coupable ;
    - l’image, dans le miroir, de la rêverie du lecteur qui, venant de refermer le livre, cherche dans son souvenir les prémonitions du coup de théâtre final, doutant de la cohérence, voulant répondre à la question « cette histoire, est-ce vraisemblable ? est-ce crédible ? » (de même qu’arrivé à la fin du film de Fritz Lang, l’Invraisemblable Vérité, le spectateur, particulièrement malmené sur ce plan-là, se remémore la scène d’ouverture où, dans le public rassemblé devant la chaise électrique, seul Dana Andrews reste impassible au moment de l’exécution.)

  • La répudiation d'Agar, de Claude Lorrain

    - Passé le seuil de la maison massive, ton geste qui nous chasse, Père, montre le monde ouvert sous le soleil levant.

    Le peintre a peint le soleil de face avec l'éblouissement. Son oeil voile l'arche et l'eau. Il argente la brume et les feuillages. Il blanchit la montagne et la mer. Et voit la terre et la lumière égales.