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  • Corrections

    M a trouvé le cahier bleu. Elle l’a lu d’un bout à l’autre. Elle me montre les derniers mots d’un texte que j'ai corrigés. Je lis sous la rature « par les Sarrasins », et dans l'interligne : « par les vengeurs de César ». Cette solution a sa préférence. Mais, à la relecture, j’ai décidé de ne pas m’en satisfaire. Je suis l'auteur. Rien ne m'empêche de modifier encore. En conclusion, ce ne sera ni les uns, ni les autres. Les vainqueurs ne seront pas précisés. Il sera vaincu. Point final.

  • Manifestation

    Manifestation. La police barre le haut de l’avenue. Les manifestants se sont arrêtés en face, en contrebas. Ils ont vu la rangée de policiers casqués et immobiles. Ils hésitent, se retournent, commencent à se disperser. Une femme seule se détache de la foule. Elle traverse en diagonale tout l’espace vide qui sépare les adversaires. Elle chancèle et tombe comme morte à l’extrémité du rang, quasiment aux pieds des policiers. Je ne peux pas dire si elle vient d’être frappée ou si elle a reçu un projectile pendant son parcours. C’est une femme noire d’une quarantaine d’années, vêtue modestement.

  • Le Maître du Jugement dernier, de Perutz

    Mardi soir au concert, au Châtelet.

    Le cygne de Tonuela, de Sibelius.
    … vogue comme les Nuages de Debussy.

    Les Quatre Derniers Lieder, de Strauss

    … où l’on peut constater qu’Eichendorff est bien meilleur écrivain que Hesse (Paix vaste et calme / Loin déjà dans le soir/ Notre fatigue / C’est peut-être la mort ).

    La troisième symphonie, de Beethoven.

    A l’écouter, depuis longtemps, une phrase me revient. D’où ? je ne sais pas. La voilà, quoi qu’elle veuille dire : l’optimisme des Lumières se mue en esprit de conquête. Je m’en débarrasse par l’occasion.
    On trouve davantage et mieux ailleurs. Cette musique n’est-elle pas dans le livre de Carson Mac Cullers, Le Cœur est un chasseur solitaire, entendue à la radio, par une fenêtre ouverte? A vérifier.

    Je cherche d’autres exemples de fictions avec musique réelle. Dans ma liste :

    Le Don Juan, de Hoffmann. Ou le fantasme d’avoir une porte dans sa chambre qui donne dans une loge d’opéra.

    Le Maître du Jugement dernier, de Perutz. Des amis se réunissent pour jouer entre eux le premier trio avec piano de Brahms. Mais ils ne vont pas plus loin que le deuxième mouvement. L’un d’eux meurt, de mort violente, pendant la pause. On ne jouera donc pas le troisième mouvement (adagio) qui reste à l’état de fantôme, comme un apaisement impossible. Qui est le coupable ? La façon dont le narrateur entend le scherzo (à peu près comme du Mahler ou du Chostakovitch) donne quelques indications sur son caractère.

  • Au Mexique

    Une ville du Mexique. Une ville de montagne en dehors des circuits les plus fréquentés. La principale attraction, c’est le Parc. Dans le classement du guide elle n'est que d'un intérêt moyen, mais nous voilà quand même partis le long des routes en corniche. Trois devant et deux ou trois derrière, dans notre petite voiture. On s'arrête à la grille rouillée, qui ne ferme plus. Le Parc s’étend à travers la pente, irrégulier, vallonné. Ses limites disparaissent sous les arbres. L’herbe est haute. A moitié séchée, elle est de couleur gris-vert et argent ; elle est parsemée de fleurs blanches ou de fleurs montées en graine. Ce sont de petites balles pleines d'air. Un souffle les défait. Les plumes détachées volent à travers la prairie.

    A droite, derrière la balustrade, très en contrebas, il y a un champ de terre battue. Des femmes vêtues de blanc y sont dispersées. C’est une fête. Elles chantent et leur chant monte jusqu’ici. T reconnaît l’air ; il les accompagne ; ses paroles françaises se superposent aux leurs, pendant qu'il s'avance dans l’herbe. Je marche avec lui vers ces hautes baraques de bois à l’abandon.

    A gauche, en montant, c’est un chemin creux dans la forêt. Des arbres tombés, déracinés, encombrent le passage. Au-delà je vois basculer la façade d’une grange et les planches s’abattre d’un seul tenant.

  • Chérie, je me sens rajeunir, de Hawks

    Lundi soir au cinéma.

    Qu’il est long à venir, le gag ! On perd patience à l’attendre. La robe de soirée pendue au mur, longtemps avant l’épouse en petite tenue sous son tablier ; le poisson rouge dans le bocal, longtemps avant d’être dans le pantalon du chef ; la porte fermée du conseil d’administration longtemps avant que les deux sales gosses fassent irruption.

  • Il y a deux musiques

    Il y a deux musiques. La première, la course vers un but, la conquête, l’assaut. La seconde, le but atteint, la joie de l’accomplissement. Voilà ce que je comprends en entrant dans le hall du théâtre. C’est peut-être ce que disaient les deux musiciennes avec leur violon. Je les ai croisées là-bas, à la lisière Nord du parc, se relayant face aux hauts murs de pierre de la ville.

    Maintenant je cherche un billet dans ce théâtre de New York. En vain, c’est complet, on refuse du monde. Comme l’explique un jeune type également bredouille, ce n’est pas étonnant, vu la distribution. Pourtant une petite bonne femme revend des billets. Elle parle anglais avec un tel accent que je lui demande si elle est française. Non. Sèchement, sans lever les yeux. Que la transaction se fasse ! et vite !  Il y a deux places. J’interpelle mon nouvel ami pour qu’il profite de l’aubaine. Nous sommes séparés mais peu importe. Dans la salle déjà plongée dans la pénombre, je vois la foule obscure pressée sur les gradins. Ils sont entourés à hauteur d’appui d’une paroi de planches, peinte vert épinard.

    P se penche vers moi. Il dit qu’il veut partir. Mais je m’obstine. Je connais quelqu’un parmi les interprètes. Pourtant le spectacle est fini. Il se délite. Sur scène, les échanges se transforment en transactions d’arrière-cuisine. On partage des restes de nourriture.

  • Arabella 4

    Dimanche après-midi, au Châtelet. Arabella, de Strauss.

    La première phrase d’A, quelques mots banals, le monde entier s’arrête pour l’écouter : Ich danke Faulein, holen Sie mich morgen um die gleiche Zeit, für heute brauch’ ich Sie nicht mehr, Adieu ...

    Conversation en musique. Mais, quelquefois la musique s’arrête, réplique parlée d’A, gorge serrée : « Monsieur de Mandryka, je n’ai rien à répondre à vos questions. »