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  • Les larmes de Marcellus

    (Le récit quelquefois bien morne de la deuxième guerre punique par Tite-Live s'anime pour la prise de Syracuse : les Romains tirent avantage des fêtes de Diane, comme les assiégés sont plongés dans l'ivresse ; il fait nuit, les assaillants escaladent en silence un coin désert de la muraille, ils ouvrent à revers une des portes, le clairon donne le signal de l'assaut, les premiers cris retentissent puis se répandent dans la ville...  Un tableau s'arrange. Son premier spectateur, le général victorieux, y est inclus et en indique le sens :)

    On dit que Marcellus pleura quand, une fois à l'intérieur des murs, il contempla d'une hauteur la ville qui était sans doute la plus belle du monde à cette époque : larmes de joie, parce qu'il avait réussi mais aussi d'émotion, à cause du passé glorieux de la ville. Il songeait au naufrage de la flotte athénienne, à la défaite de deux immenses armées conduites par deux généraux illustres, à tant de combats si difficiles contre les Carthaginois, à tant de tyrans et de rois si puissants et en particulier à Hiéron (...). Toutes ces images repassaient dans sa mémoire et il songea aussi que dans un instant tout allait brûler et serait réduit en cendres.(trad. A Flobert)

    (Quand, revenu à Rome, Marcellus se voit accorder les honneurs de l'ovation, le cortège glorieux du butin est précédé par un tableau représentant la chute de Syracuse.)

  • La ruche des nombres

    Art grec : art essentiellement funéraire. (...)

    Comme si la pensée de l'artiste grec, ce n'était que cette équation : moins on reconnaît de réalité aux contradictions d'une chair évidemment périssable et plus on se doit de porter à une perfection de la forme ce rapport de l'âme et du corps visible que la vie comme elle est vécue empêche de délivrer du non-être. Mais ce sont des morts, ces abeilles qui volent en silence autour de la ruche des nombres. Ce que l'on ressent l'être de la vie, de sa vocation à présence, ne ruisselle plus au travers des voies de l'Intelligible.

    (Bonnefoy - Le Grand Espace, la Grèce 3)

  • Sables

    Wallace Collection, à Londres. Paysage avec une cascade, de Ruysdael.

    Le ciel couvert ou le crépuscule a lentement diffusé dans l'herbe et dans l'eau. Les éléments y ont pris à la longue une faible phosphorescence. (Et les nuages et l'horizon reflètent à leur tour la couleur sableuse). Mais la clarté dissoute en deçà rejaillit dans le blanc de la cascade.

  • La Tour

    (Il faudrait résister au courant des visiteurs (qui inexplicablement s’entassent dans l’exposition Babylone du Louvre) et rester devant la Tour de Babel de Bruegel, s’en approcher malgré la barrière et, l’œil contre le verre, rester le temps qu’il faut pour en bien comprendre tous les détails – suspendu en quelque sorte entre ces deux extrêmes qui se renforcent l’un l’autre, l’énormité du monument imaginaire et la minutie des détails peints.) Les parois extérieures de la tour sont en pierre (grises à la base elles prennent une teinte orange en s’élevant). Au sommet, inachevé, elles manquent et dévoilent les murs du noyau en construction, de brique rouge. Avec les arcades, l’agencement rappelle les enveloppes concentriques du Colisée (dont la structure au lieu d’un cercle dessinerait une spirale ; comme un ruban enroulé puis étiré à partir du centre pour former un cône). Le soin apporté à la description du chantier et à ses techniques est manifeste : la route qui s’élève en tournant est hérissée sur son bord d’instruments de levage qui se relaient d’étage en étage. Deux longues traînées à gauche, rouge, blanche, indiquent le chemin que suivent les matériaux (d’un côté la brique, de l’autre le mortier ou la craie).  Ce que l’emprise immense de la tour laisse visible du pays semble encore occupé à sa construction : la mer fréquentée,  les vaisseaux nombreux ancrés au pied de la tour (un chenal du port pénètre jusque sous ses arcades) ; la carrière au premier plan ; les fours à brique épars dans la campagne verdoyante.

  • Le Prisonnier

    Le Prisonnier de Dallapiccola à l'opéra Garnier.

    "La torture par l'espérance" : le geôlier laisse un soir la porte de la cellule ouverte après avoir appelé "frère" l'homme qui y est enfermé. Le prisonnier toute la nuit erre dans la prison, cherchant la porte par où fuir. Il trouve au petit matin une ouverture, se croit sauvé, à l'air libre, mais, au lieu de la liberté, paraissent devant lui les instruments du supplice et le bourreau : il comprend que son évasion n'a été qu'un leurre, l'ultime torture inventée par les gardiens. (Si longue scène de torture, à l'opéra, je n'en connais pas d'autre que celle de Tosca ; plongés trois-quart d'heures durant dans les ténèbres de la prison bardées de grilles, on rêve de la trompette de Fidelio.)

  • Arc-en-ciel

    Wallace Collection, à Londres. Le Paysage à l'arc-en-ciel, de Rubens.

    N'est-ce pas ici, sous nos yeux, à nouveau la Création ? De même que l'arc-en-ciel fait paraître dans le monde les couleurs pures, le peintre fait naître le monde de ces couleurs : bleu, jaune, rouge (la troisième manque un peu dans le ciel, elle rougeoie à la lisière du champs avec les fleurs qui ont poussé dans le blé). L'image relie, à droite, l'ombre des bois avec, à gauche, la lumière de l'horizon, elle tient ensemble les bleus lointains, l'or de la paille et la terre brune ; elle montre les hommes, vêtus des trois couleurs, à leurs travaux : la moisson, le charriage, la construction des meules ou le retour des troupeaux. Au premier plan, au centre, l'homme fait sortir les bêtes de la mare où elles pataugent ; l'arc brille à la surface de l'eau boueuse ; deux vaches y sont peintes, à l'envers, comme des reflets d'elles-mêmes dans la peinture - où plongent des canards : comme des coups de pinceau faits plumes. 

  • Haydn, Bruckner

    Au théâtre des Champs-Elysées.

    (Dans la symphonie de Bruckner,  l'interprétation est impressionnante de clarté, que la disposition particulière de la salle accentue sans doute encore (il y a un bonheur pour l'oreille dans cette lumière, comme il y a un plaisir de l'oeil dans la simple transparence de l'air). La musique semble jouer à juxtaposer les masses sonores, tranchées net, qui cessent sans laisser de halo sensible ; et tel épisode tonitruant passe sans déranger un motif sous-jacent, mince et obstiné,  qu'il avait dissimulé et qui réapparaît intact après lui : demandant comment des phénomènes d'un volume pareil peuvent avoir lieu et occuper tout l'espace et n'être rien l'instant d'après.)