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  • Le miroir de Vénus

    Les armes de Mars, de Corinth, dans l'exposition qui lui est consacrée par le musée d'Orsay.

    Toute la famille est nue. Les garçons ont empoigné les armes éparpillées au sol. L’enfant au premier plan porte l’épée trop grande à deux mains. (J’aime le détail de ses oreilles rouges, peut-être éclairées à revers par la réverbération du métal). Derrière lui, à gauche, le jeune homme penché tient le bouclier debout ; à droite l’autre petit garçon apporte le grand casque à cimier (l’absence de regard désindividualise ces deux-là). Un autre enfant (une petite fille ?)  est couché au fond et regarde vers nous. Mais le personnage principal est la femme accroupie au centre. Elle a trouvé un autre usage à tout ce métal et fait des mines : Vénus se mire dans le bouclier de Mars (on ne voit pas l’image reflétée mais elle transparaît à son origine, dans la figure qui s’arrange, miroir d’un miroir). Vénus lève les deux bras et tend un voile rose autour de sa tête inclinée. Sa main gauche, paume et doigts repliés, s’entortille dans le voile ; l’autre peigne les cheveux. Son application coïncide avec le zèle du peintre, dans ce visage que colorent le rose et l’ombre de la parure. L’expression des lèvres molles et vieillissantes hésite peut-être entre coquetterie et inquiétude, à l’image de cette couleur doucereuse mêlée avec la teinte de la chair.

  • Marbre

    A la descente des lignes d’écume apparaissent à la surface de la mer ; elles s’étendent au loin formant de longues stries parallèles, régulières comme les sillons d’un champ. Leur matière est inégale, prise comme les veines d’un marbre dans la masse de la mer ; le passage d’un navire fait sourdre une eau grise qui les efface.  

  • Intérieur

    La maison, sans étage, est enfouie dans la pente parmi les immeubles de la rue Raynouard comme un vestige de la ville disparue. De ce côté-ci elle donne de plain-pied dans un petit jardin peu soigné ; de l’autre elle surplombe de trois niveaux une rue plus basse. L’intérieur, déshabité, refait à neuf, ne dit pas grand-chose de la vie de ses anciens occupants. Balzac a séjourné des années dans l’appartement du haut et a écrit ici plusieurs romans fameux. Le musée réunit quelques objets qui lui ont appartenu. Il y a surtout sa table de travail : elle est petite mais ses pieds entravés sont liés fastueusement par une barre en torsade (assis on doit être tenté de jouer avec) ; derrière, le fauteuil à haut dossier paraît trop grand pour la table, proportionné plutôt à la grosse tête sculptée par David d’Angers, qui est posée sur un socle élevé, debout contre le mur.

    (Mais si l’esprit des lieux existe, il est avant tout fomenté par les gardiens : un par pièce (ou presque) dans les cinq salles exiguës, ils occupent tout l'espace. On entend des éclats de voix.  L’un d’eux semble fou de colère ; maintenant il se tait et se carre au milieu d’une pièce ; de l’autre côté du mur, ses collègues indolents ou contrits.)

  • Mozart, Chostakovitch, Webern, Brahms.

    Pièces pour violon et piano, au Théâtre des Champs-Elysées.

    La sonate opus 108 de Brahms, qui clôt le concert avant les rappels, laisse la meilleure impression : fluide, la musique semble respirer librement (mais je l'entends pour la première fois et j'ai tendance à apprécier certains morceaux de Brahms en proportion inverse du nombre de fois où je les écoute). Avant elle, en un préambule étrangement enchaîné, la pièce de Webern est inaudible non pas en elle-même, sans doute, mais parce que la salle refuse de lui prêter l'attention nécessaire (elle est si brève).

    Je suis venu pour la sonate de Chostakovitch, en première partie. Après le mouvement initial, auscultatoire, qui semble hésiter entre l'ironie et le chant, le deuxième mouvement cède à la rage (le violoniste a changé son archet), martelant une rengaine. Rien ne semble devoir survivre à cette violence : le public commence à applaudir. La musique reprend : l'instrumentiste est penché sur son violon et, fatigué sans doute de la vitesse et des enchaînements, il égrène un thème lentement, note après note, en pinçant les cordes.

     

  • Deux manières d'autorité

     (...) je ne sentais que trop la distance entre mon genre d'action et celui de Lavater : la sienne était une autorité de présence, la mienne une autorité d'absence ; celui qui était mécontent de lui à distance se réconciliait de près avec lui, et celui qui, d'après mes ouvrages, me croyait aimable, se trouvait bien trompé quand il se heurtait à un homme roide et dédaigneux.

    (Goethe, Poésie et Vérité - trad. P du Colombier).

  • Les Capulet[s] et les Montaigu[s]

    Les Capulet et les Montaigu, de Bellini, à l'opéra Bastille.

    Roméo est chanté par une femme et ce travestissement a pour heureuse conséquence de nous débarrasser de l’indiscrète voix de ténor italien dans les scènes d’amour.

    (Mais les épées sont  tirées quand, dans le palais ouvert des Capulet, une musique funèbre vient interrompre la rencontre entre Roméo et son rival. Un chœur invisible soupire : Ahi sventurata ! Juliette est morte. Et c’est elle encore, cette plainte qui retentit dans les salles dévastées : telle que nous l’avons vue, dans les scènes antérieures, belle, éplorée et solitaire, parmi les hommes en armes.)

  • Beethoven, Stravinski, Schubert

    Au théâtre des Champs-Elysées

    (Quintette pour cordes de Schubert. Sans affliction et sans les signes du deuil, le quintette ferait pourtant une parfaite musique de funérailles. Dans l’adagio, on se réveille au paradis : la lumière règne, immobile, constatée par les interjections du violon et les cordes pincées du violoncelle.  Quand l'épisode central, animé, aux accents passionnés, succède à la paix élyséenne, il semble non pas un retour aux vicissitudes terrestres mais leur expression remémorée et posthume : c'est le souvenir d'épreuves terminées et de désirs anciens, que la clarté future illumine obliquement. Un peu de leur agitation passe néanmoins dans le séjour céleste, colorant de nostalgie la reprise du premier thème.)