Rope, de Hitchcock.
Comme on sait, le film donne l'illusion d'être fait d'un seul plan ou presque (la continuité visible à peine rayée par quelques coutures plus ou moins apparentes). Aucune ellipse, aucune accélération, ne viennent précipiter ou condenser le cours des faits que nous avons en permanence sous les yeux. La période de temps montrée est, selon cette convention, exactement égale à la durée de la projection. Or il faut bien constater que ce n'est pas le cas : la représentation est plus rapide que l'événement ; trois quarts d'heure de pellicule séparent l'arrivée des invités et leur départ ; mais la soirée n'a pas pu durer vraisemblablement moins de deux heures. Ici personne ne finit un verre, moins encore ne dépasse la première bouchée d'un plat.
Philipp et Brandon tuent un ancien camarade d'université puis cachent le cadavre dans un coffre au milieu de l'appartement ; immédiatement après ils reçoivent les parents et la fiancée de la victime ; le coffre sert de buffet où sont posés les éléments du dîner. Le dispositif ressemble à un numéro de prestidigitation (dont l'enjeu reste la disparition du corps). Le plan-séquence est comme le boniment du magicien : tout se passe sous votre regard ! voyez, aucun artifice (ni trappe, ni double fond) ne permettra la substitution ! (mais plutôt ici, a contrario, l'apparition, la découverte).