J'étais parvenu à regarder comme appartenant entièrement à ma nature le talent poétique qui habitait en moi, d'autant plus que j'étais conduit à considérer la nature extérieure comme son objet. L'exercice de ce don poétique pouvait, il est vrai, être excité et déterminé par une occasion, mais c'était involontairement, et même contre ma volonté, qu'il se manifestait avec le plus de joie et d'abondance.
(...)
Cependant, comme le naturel qui produisait spontanément en moi des poèmes longs ou courts de cette sorte sommeillait quelquefois pendant de longs intervalles, et que, pendant un temps considérable, j'étais même en le voulant, incapable de rien donner, et que j'en éprouvais assez souvent de l'ennui, devant ce contraste absolu, j'en vins à me demander si je ne devrais pas employer à mon avantage et à celui des autres ce qu'il y avait en moi d'humanité, de raison et d'intelligence, et à consacrer, comme je l'avais déjà fait, et comme j'y étais toujours plus fortement invité, l'entre-temps aux affaires du monde, en sorte qu'aucune de mes forces ne restât inutilisée.
(Goethe - Poésie et Vérité, trad. P du Colombier).