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Projections - Page 3

  • Un fantôme

    La Fille de la Cinquième Avenue, de Gregory la Cava.

    Mr Borden est un chef d’entreprise dont l’affaire connaît quelques difficultés ; ce soir-là, c’est son anniversaire mais personne, hormis sa secrétaire, ne pense à le fêter. Ni sa femme, ni ses enfants, tout à leurs plaisirs, ne songent à lui. La famille vit dans une somptueuse demeure de la Cinquième Avenue au bord de Central Park. Rentrant chez lui, trouvant la maison vide, Mr Borden part se promener dans le parc où il rencontre une jeune femme sans le sou ; il l’invite dans un restaurant chic de la ville. Le lendemain, elle s’installe dans la grande maison. Dès lors Mr Borden ne va plus travailler, passe la journée à s’occuper de ses pigeons et sort tous les soirs avec l’inconnue.

    Réagissant à la crise, le fils finira par prendre les rênes de l’entreprise de son père  ; la fille par épouser le chauffeur ; la mère par se mettre aux fourneaux et reconquérir son mari.

    C’était le but recherché. Mr Borden a embauché l’inconnue pour remettre de l’ordre dans sa maison et dans ses affaires. La jeune femme est pleine de caractère, elle a son franc parler et, pourtant, c’est presque un fantôme : on ne sait rien d’elle ; elle semble sans attaches, sans passé, sans avenir (sauf à la dernière minute grâce au happy end). Chacun des protagonistes a ses mobiles, ses intérêts, ses plaisirs : elle seule semble n’en avoir aucun. Elle est pâle et sans grande beauté. Sa liaison avec Mr Borden est une comédie ; seule une complicité désabusée les rapproche.  Leur rencontre n’est que le fruit d’un moment d’absence : celui où Mr Borden a rompu le cours d’une vie réglée, s'en écartant avant d’y revenir. Leurs soirées se jouent hors du monde à rouler au hasard dans le parc en attendant l’heure de rentrer.

  • Sables

    Sabotage de Hitchcock.

    Panne générale dans Londres. Les ouvriers de l’usine électrique découvrent du sable dans les machines : sabotage ! Au même moment, profitant de l’obscurité, Verloc rentre chez lui inaperçu. On le voit se laver longuement les mains. Désignant le coupable, un plan nous montre alors l’évier qui se vide et le sable que l’eau laisse derrière elle.

    Je me souviens du minerai que les agents nazis dans Notorious stockent dans des bouteilles de Pommard. Devlin et Alicia explorent la cave ; par mégarde Devlin renverse une bouteille qui se brise sur le sol. La tache noire autour des éclats de verre semble un instant l’image arrêtée du vin en train de se répandre : non c’est une espèce de sable. Les deux complices réarrangent les bouteilles mais les traces qu’ils laissent dans l’évier attirent l’attention du mari d’Alicia qui découvre la manipulation.

    La ressemblance est anecdotique (même si l’image demeure). En revanche les deux films de Hitchcock partagent quelque similitude dans la distribution des rôles : un policier aime et se sert d’une femme pour percer à jour les agissements de son mari soupçonné d’être un agent ennemi.  Sabotage n’a pas la perfection vénéneuse de Notorious : un quatrième personnage vient perturber le triangle ; il s’agit du jeune frère de Mrs Verloc. Fidèle en cela au roman de Conrad dont il s’inspire, le réalisateur le fait mourir dans l’explosion d’une bombe : mais difficile, après cette scène horrible, de renouer les fils de l’intrigue amoureuse…

  • Balaoo

    A la Cinémathèque, Balaoo d'après Gaston Leroux.

    Balaoo est un singe fait homme, contemporain de l’auteur du Rapport pour une académie. La science de son maître, le Professeur Coriolis, lui a donné apparence presque humaine sans lui enlever ses talents de grimpeur et ses instincts de bête sauvage. Balaoo aime à monter dans les arbres dont il se laisse tomber pour surprendre ses victimes, ralentissant sa chute en embrassant les branches qui plient sous son poids. Après un séjour sur les bords du lac de Lugano, Balaoo commet un meurtre pour le compte du braconnier Hubert. C’est la scène la plus marquante du film : le voyageur de commerce dort sur le billard de l’auberge ; Balaoo s’est suspendu par les pieds au plafond, ses deux mains descendent lentement pour étrangler le dormeur ; au fond, l’ouverture du passe-plat laisse voir, comme un commentaire, le visage de la tenancière qui longuement bée d’horreur et roule des yeux avant de s’évanouir

  • Hortensia

    Au cinéma. The shooting, de Monte Hellman.

    Dans l'Ouest américain, les frères Gashade et Coin exploitent une mine avec deux compagnons. Un matin en rentrant d'une absence de quelques jours, Gashade trouve le site bouleversé : Coin a fui, leur associé a été abattu par une tireur invisible ; le troisième, un jeune homme un peu simple, se cache, terrifié par les coups de feu. L'attaque est sans doute motivée par la vengeance : on apprend que, peu auparavant, Coin a provoqué la mort accidentelle, en ville, de deux personnes, dont un enfant.

    Alors un femme paraît ; elle a perdu son cheval ; elle engage les deux hommes pour l'escorter jusqu'à sa destination. On devine et on découvre peu à peu qu'elle est à la poursuite de Coin. (Cette histoire conserve une part d'énigme ; elle est racontée et exécutée sans grands discours d'explication et sans luxe de motivations ; les personnages s'engagent dans une aventure où la mort, ils le savent, est presque certaine ;  tout cela me fait penser aux récits de Borges. L'attribut mythique n'est pas absent : la femme, namenlos, refuse de dire son nom.)

    (La femme joue avec le jeune homme qui s'est entiché d'elle. Il quémande un nom. Elle répond, aimable : - Quel est le nom que vous aimez le mieux ? - Je me rappelle le nom que mon père donnait à ma mère ; moi, je l'appelais maman, mais lui disait Hortensia... - Hortensia ? ne m'appelez jamais ainsi.)

  • A fish is a fish

    Au cinéma. Il faut marier papa / The Courtship of Eddie's father de Minnelli.

    Un deuil invisible marque le début de la comédie. On comprend indirectement que le père, que l'on voit préparer un petit-déjeuner pour son fils, est veuf ; que le petit garçon vient de perdre sa mère. Le petit lit est vide. L'homme déambule dans les pièces trop désertes de l'appartement, à la recherche de l'enfant. Le spectateur s'amuse de cette partie de cache-cache (il a deviné que l'enfant s'était roulé dans les couvertures du lit paternel). La disparition n'est qu'un jeu ; mais, à la fin du film, le fils fera véritablement une fugue et, alors, le père s'effondrera.

    (Auparavant le père tâche de faire bonne figure. La vie continue. Une voisine vient leur rendre visite. L'enfant sort de la pièce. Des hurlements retentissent. Les adultes se précipitent. Dans la chambre de l'enfant, devant lui, un poisson mort flotte à la surface de l'aquarium.)

     

  • Derniers regards

    Au cinéma, revu They live by night de Nicholas Ray.

    Tout le monde a ses raisons et, sans trop y penser, les uns utilisent les autres pour servir leurs intérêts : c'est ainsi que les jeunes et tendres amants finissent victimes des adultes endurcis qui les enrôlent dans leurs intrigues. Parmi ceux-là, il y a la femme d'un détenu, prête à tout pour obtenir la libération de son mari parce que la vie passe, le temps presse et que l'un et l'autre seront bientôt vieux.

    Dès qu'elle a croisé la route de Keechie et de Bowie, elle leur a témoigné de l'hostilité : peut-être par jalousie, peut-être par aversion pour un destin qui lui rappelle le sien à son début. Enfin l'occasion se présente : le couple en fuite s'est réfugié chez elle ; elle obtiendra l'élargissement de son homme en livrant à la police le jeune bandit. On la voit négocier durement avec l'officier ; à gauche du bureau, le mari entravé garde la tête baissée. Pendant qu'on le remmène (dans l'attente de la réalisation du forfait), la femme lui jette un regard implorant ; les grands yeux noirs, inquiets, guettent sans doute une approbation, en vain : a-t-elle tout perdu, croyant réussir ? (Peu de temps après, il lui faudra boire le calice jusqu'à la lie et convaincre Bowie, qui veut s'enfuir, d'aller voir une dernière fois sa jeune femme endormie pour que, sur le chemin de la chambre, la police puisse l'abattre : songe-t-elle alors à son propre sort, à cet autre regard qui restera peut-être lui-aussi le dernier ?)

  • Prix et salaires

    Au cinéma, Still life de Jia Zhang-ke.

    Quelques ordres de grandeur :
    - le personnage principal, loin de chez lui, arrive dans la ville de Fengjie en amont du barrage des Trois-gorges. Il a pour toute indication une vieille adresse ; une moto-taxi l'emmène et s'arrête au-dessus du lac de retenue, pour rien : la rue est depuis longtemps submergée (prix de la course : 3 yuans)
    - l'homme veut se loger : on l'emmène chez un vieillard avec qui il négocie une chambre (loyer : moins de 1,5 yuan par jour)
    - pour continuer ses recherches, il a besoin de gagner de quoi vivre. Il s'embauche comme ouvrier dans les chantiers de démolition. Sur les façades, des chiffres peints indiquent le futur niveau des eaux. En deçà les immeubles sont démolis à la masse (salaire journalier : 50 yuans). Chez lui, l'homme travaillait dans les mines : un travail bien plus dangereux mais mieux payé (200 yuans)
    - on comprend que l'homme est à la recherche de sa femme. Elle l'a quitté il y a seize ans retournant dans sa famille juste après la naissance de leur fille. A l'époque, l'homme avait "fait venir" une épouse pour 3000 yuans. Il finit par la retrouver au service d'un chef de clan ; qui propose de la lui rendre en échange du réglement d'une dette de 30 000 yuans.

    (Et, avec ces détails, une contrée extraordinaire : le site du barrage, lieu du passé englouti et des métamorphoses ; où se rejoignent mythes de la Chine d'hier (les grands projets maoïstes) et la frénésie économique contemporaine).