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Projections - Page 4

  • Lady Windermere's fan

    Au cinéma Lady Windermere's fan de Lubitsch.

    Le film est muet et il y a quelque chose de réjouissant (comme devant un tour réussi, une prouesse menée à bien) à voir se développer l'intrigue en silence ; qu'il n'y ait pas besoin d'entendre pour comprendre (à peine de lire, de brefs intertitres) et qu'il soit possible de représenter un quiproquo par le seul arrangement de jeux de scène, de mimiques et de regards.

    Ainsi dans la séquence du Champ de courses, Lord A prend pour une invite à lui adressée les regards pleins d'amour (maternel) que Mrs E destine à Lady W ; ou Lord D perçoit dans les coups d'oeils impérieux que Lord W jette à Mrs E la confirmation d'une liaison imaginaire (au lieu d'une invitation à déguerpir). Ici les péripéties elles-mêmes sont sans paroles. Le personnage (comme le spectateur) est censé interpréter les figures et les gestes mais, lui, se trompe parfois... et la méprise alors se lit sur son visage...

    (Les regards muets et quelquefois sidérés m'ont fait penser à Proust (voir dans Sodome et Gomorrhe la pétrification de Charlus à la vue des fils de Mme de Surgis) ; mais c'est peut-être l'effet des habits noirs et des robes de soirée ou de l'étrange conquête de Lady W par Mrs E.)

  • Ordonnance

    Au cinéma, Cité interdite de Zhang Yimou.

    Le spectacle (les décors, les combats, les batailles, la musique, les images) est très laid ; mais il y a une espèce de rituel qui fait tenir l'ensemble : toutes les deux heures, de l'aube à minuit, des sonneurs passent ; les servantes en cortège viennent trouver l'impératrice, s'agenouillent, lui versent le remède qu'elles apportent. L'infusion prescrite par l'empereur est un poison qui tue lentement ; l'impétratrice le sait mais ne peut s'y soustraire (le vaste complot ourdi, les fils massacrés, l'inceste révélé ni l'armée anéantie ne lèveront la sentence). L'impératrice boit, vide la tasse ; se rince la bouche avec un peu d'eau (recrachant derrière sa grande manche).

  • U

    Au cinéma, Pushover de Richard Quine.

    Le bâtiment (lieu principal de l'intrigue) a la forme d'un U (le plan apparaît quelquefois, punaisé au mur). C'est donc depuis un appartement situé dans le même immeuble, au même étage, que les policiers épient les fenêtres de la femme qu'ils surveillent. Les guetteurs et l'appât risquent à tout moment de se croiser dans les couloirs ou l'ascenseur (ce qui, soit dit en passant, rend passablement absurde le fait qu'on demande au même policier de surveiller et de séduire la dame). Les dernières nuits tout se resserre autour de ce dispositif (la planque, l'appartement d'en face, celui de la voisine, les couloirs, les escaliers de service, la terrasse de l'immeuble, les voitures garées en bas), à l'exception de quelques plages presque vides de filature quand la femme s'absente et roule longuement dans la ville (Kim Novak comme dans Vertigo ?). Le héros malheureux (le policier qui trahit) a beau connaître toutes les cases, il ne réussit pas à sortir du piège décrit : victime de faibles décalages, pris à l'endroit où il ne devait pas être, absent quand il fallait être là, vu quand il se voulait invisible. L'accumulation des hasards le condamnent progressivement, irrémédiablement à mourir : abattu en pleine rue ("comme un chien") sous le regard de la femme qu'il aime, qui ne dit mot.

  • Notorious

    Au cinema, revu Notorious de Hitchcock.

    Extraordinaire scène finale : un escalier lentement descendu ; le mari accompagne sa femme et l'amant de celle-ci, enlacés, et les aide, malgré lui, à fuir. La belle-mère suit, une marche en arrière, chuchotant, suppliant son fils de montrer davantage de zèle. En bas de l'escalier, maintenant l'équilibre par la terreur qu'ils inspirent, les regards soupçonneux des tueurs.

    (Un détail : la bouteille oubliée par Devlin chez son patron n'est-elle pas de même marque que le champagne bu avidement par les hôtes de Sebastian ? L'histoire interrompue (comme la bouteille non ouverte) entre Devlin et Alicia reprend quand tout le champagne de Sebastian est épuisé.)

  • un pied boiteux

    Au cinéma, The merry Widow de Lubitsch.

    Le comte Danilo et Fifi sont attablés, l'un contre l'autre, chez Maxim's. Nous ne voyons rien des batailles qu'ils se livrent sous la table ; nous n'en savons que ce qu'ils en disent, pince-sans-rire. Un garçon avertit que le numéro 7 est libre. Danilo invite Fifi à venir avec lui dans ce cabinet particulier. Elle ne veut pas mais, l'instant d'après, son soulier est entre les mains de Danilo qui décampe. Elle le poursuit, à demi déchaussée.

    (Le jeu rappelle le dîner des pickpockets dans Trouble in Paradise : le vol a lieu sous nos yeux, le geste est invisible mais le butin fait la preuve.)

  • Vaisseau en perdition

    Au cinéma : Nausicaa, de Miyazaki.

    Le récit est moins riche, moins ambivalent et le dessin moins beau que dans les films ultérieurs.

    Cependant une scène de naufrage : nuit de tempête dans le haut pays du vent. Les ailes des moulins battent lourdement dans les ténèbres. Alerte ! une odeur avec le vent, une lueur dans le grand souffle sombre : une masse vient frôler le haut des tours. C'est un immense vaisseau aérien en perdition. Avant qu'il ne s'écrase, on entr'aperçoit par un hublot un jeune visage captif de l'énorme désastre.

  • La voiture arrêtée

    Au cinéma, revu Moonfleet.

    Tous les ingrédients réunis (contrebandiers, souterrains, fantôme, trésor caché...) ne font pas un bon film d'aventure, mais l'histoire crépusculaire d'un homme qui meurt au moment où il décide de changer de vie, choisissant le bien contre le mal :

    Le carrosse s'arrête au bord de la route. Fox monte rejoindre ses deux complices. Ils s'installent côte à côte dans l'intimité forcée de la caisse tapissée de damas : lui noir et sombre ; eux un couple d'aristocrates dépravés, avides et sans scrupules. Au fur et à mesure que ceux-ci se vautrent plus avant dans leur cynisme, celui-là se renfrogne et se mure dans le silence.

    A un certain moment le souvenir de l'ami trahi devient intolérable, Fox saute hors de la voiture et la fait stopper. Là, sur la lande, dans la nuit, en quelques instants d'une violence et d'une sécheresse extraordinaires, se joue leur destin : un coup d'épée, une détonation, les chevaux emballés ; Fox est blessé à mort et les deux autres vont brûler en Enfer.