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Projections - Page 12

  • Il était un père

    L'autre jour au cinéma, pour le film d'Ozu : Il était un père.

    - j'ai toujours rêvé d'habiter avec mon père. Ça a fini par arriver ; ça n’a duré qu’une semaine, mais ç’a été le plus beau moment de ma vie.

    Ultime réplique du fils, dans le train : il rentre chez lui avec l'épouse à qui son père l'a confié sur son lit de mort.

    Pourtant l'idylle, ce n'étaient pas ces derniers jours mais, dans l’enfance, quand le père a renoncé à son métier de professeur. Alors, le père - qui est veuf - emmène son fils dans la petite ville où il est né. Pendant un bref moment le poids des responsabilités sociales est levé (nous sommes dans une société qui envoie les enfants mourir loin de leurs parents).

    Ils sont seuls tous les deux ensemble, dans le train, sur les remparts, à l'auberge (où le père tend un linge à son fils pour qu’il s’essuie le front ; le même linge qui servira au fils, à la fin, pour le père agonisant).

    Ils vont à la pêche ensemble : mais, première accroc dans cet unisson, le fils doit aller à l’internat (et alors le mouvement parallèle des cannes à pêche s’arrête). Second accroc, le père part travailler à Tokyo (alors on retrouve le surnom, oublié, que ses anciens camarades lui avaient donné). Fin de partie : les études sont terminées ; le fils retrouve son père pour quelques jours de vacances et l’idylle semble recommencer ; un peu ivre, en fin de soirée, il dit son désir de revenir habiter avec lui ; et se fait durement rabrouer : pas question, il doit avant toute chose se consacrer à son nouveau métier d’enseignant.

  • L'homme qui marche

    Au cinéma. Ces jours-ci, revu Stalker de Tarkovski.

    La traversée de la frontière, le transport en draisine (avec le bruit du roulement sur les rails), la « marche à l'écrou » dans les ruines envahies par l'herbe et l'eau : ces scènes-là pourraient durer éternellement.
    Dans la Zone, le regard passe à la verticale du sol, tout près comme un œil qui détaillerait une toile. Mais la surface est vivante et change. Un souffle passe sur des braises, qui rougeoient au milieu d'une eau qui se brouille.

    Dans ce monde où ils font intrusion, combien dures, fermées, opaques malgré leur inquiétude, ressortent les têtes (les crânes) des trois hommes.
    Après j'ai l'impression que le film sombre dans un tunnel de discours interminables, à la Dostoïevski, à peine interrompu par le gag du téléphone qui sonne au milieu de la Zone (non, ce n'est pas la boucherie Sanzot).

  • La fille des marais et le gars du fleuve

    Encore au cinéma (En ce moment, impossible de passer une soirée dans un appartement parisien).

    L'autre jour, Steamboat round the bend, de Ford.

    Je rajoute à la liste de Zvezdo :
    - une recette pour transformer la reine d'Angleterre en princesse indienne (ou quand l'écriture de l'histoire passe de l'Europe à l'Amérique)
    - la plus nonchalante des incarcérations (et du coup la plus inexorable)

  • Clash by night

    Jeudi soir au cinéma. Le démon s'éveille la nuit, de Lang.

    Dès le tout début, au déchargement de la pêche, à voir les phoques et les oiseaux se précipiter pour glaner un peu de nourriture, on comprend qu’il n’y en aura pas pour tout le monde : du poisson, du vin et de l’amour (contrairement à ce que dit le vieux père).

    Mais plus que d’amour, il est question de solitude. La peur de la solitude, le chantage à la solitude, la fuite dans la solitude. Impossible d’être seul, impossible de ne pas l’être. Voir la scène où Earl s’échappe de la noce, descend l’escalier extérieur, s’avance dans la nuit déserte jusqu’à un plan rapproché de son visage défait.

               Rien que la nuit qui est commune et incommunicable

    Et si les plus jeunes ne savent pas encore, on se charge de leur faire la leçon. Voir à la fin ce même plan sur le visage de Peggy. Ou à la noce, Peggy arrachée à la compagnie, et juchée sur une table par Earl.

  • The prisonner of Shark Island

    Mardi soir au cinéma, Je n’ai pas tué Lincoln, de Ford.

    (Encore Lincoln : on reconnaît le maquillage de la verrue sur la joue droite).

    Une scène d’exécution. Les deux axes du supplice : l’un parallèle à l’alignement des tambours où les condamnés sont avancés ; l’autre perpendiculaire, en plongée, l’escalier à gravir pour monter à la potence. Les soldats, les prêtres sont solidement tenus par leur uniforme ; les suppliciés s’effondrent dans leurs vêtements fripés.

  • Young Mr Lincoln

    Lundi soir au cinéma. Young Mr Lincoln, de Ford

    Nombreux moments d’anthologie, comme :
    - la première scène (dans une de ces galeries qui plaisent tant à Ford). On nous annonce : Abraham Lincoln ! et voici un jeune type qui s’extrait de son rocking-chair, s’avance en traînant les pieds, met les deux mains dans les poches, et donne en trois phrases son programme électoral, avec un grand détachement
    - l’arrivée de Lincoln, avocat débutant, à Springfield, juché sur une mule, silhouette encombrée de ses longs bras et de ses longues jambes, vêtu de noir, avec un grand chapeau haut-de-forme
    - le bal chez les riches ; Lincoln tournoie raide comme un piquet à contre-sens des évolutions de la bonne société où sa partenaire veut l’entraîner. Dépitée elle l’emmène sur la véranda (encore une) ; mais au lieu du flirt attendu, il reste pétrifié à la vue de la rivière (qui est sa bien-aimée morte)
    - le (presque) condamné à mort réuni avec sa famille dans la prison le temps d’une chanson ; regards vagues, (presque) dans l’objectif. Puis la musique s’arrête et il faut se séparer

    La place de la caméra est souvent avec la foule ou un des protagonistes, à hauteur d’homme, ce qui nous vaut ces personnages de dos ou ces nuques dans le cadre. Alors on est parmi eux, avec eux, même quand ils ne sont pas visibles. Si je supporte l’interrogatoire de la mère par le procureur (seuls dans le plan) qui cherche à lui faire désigner l’un de ses fils et choisir celui qu’elle enverra à la potence, c’est parce que je sais que Lincoln est à mes côtés (son regard est le nôtre, sa compassion est la nôtre), qu’il va intervenir et arrêter ça.

    Dans la dernière scène, dans une pièce nue, Lincoln chapeauté se détourne du groupe de ses adversaires politiques (le parti des nantis). La foule l’attend pour l’acclamer. Une porte s’ouvre. On entend la clameur. Il s’avance dans l’encadrement face à la caméra et se découvre. La foule = le public = la nation tout entière.

  • Out of the past

    Lundi soir, au cinéma. Pendez-moi haut et court, de Tourneur.

    Ce n’est pas la première fois que je vois ce film (ni la dernière - je touche du bois) mais il y a à nouveau un passage où je me perds.

    Au milieu du film, rattrapé par son passé, le héros accepte une mission douteuse. Il doit récupérer chez un avocat des documents compromettants. La ténébreuse secrétaire de l’avocat sera sa complice . Ils se retrouvent chez elle ; elle lui expose son plan. A la fin, flairant le piège, il la menace, la tenant par l’épaule et serrant jusqu’à faire mal. – Plus tard, dans une pièce obscure, encore le geste de saisir par l’épaule (notre héros était dissimulé derrière une porte ; une femme est venue répondre au téléphone) : la femme se retourne. Pendant un moment, je suis perdu : qui est-ce ? La secrétaire ou bien Elle, la femme de son passé, celle qui l’a trahi, qui le trahit encore ?

    Doubles, apparitions (ces êtres qui s’approchent dans le plan immobile), personnages du mythe (le sourd-muet), prémonitions de la mort (le nom écrit « dans le ciel ») donnent à l’intrigue de film noir une résonance extraordinaire ; tout cela, et, surtout, la splendeur nocturne de la lumière.