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  • King Arthur

    Purcell à la Cité de la Musique.

    ("L'air du froid" a connu une telle carrière hors de son divertissement natal et, par la métamorphose, atteint le stade du tube planétaire qu'on a peine à le reconnaître quand on le retrouve, à sa juste place, selon la proportion et l'esprit de l'oeuvre originale : sonnant alors comme les grommellements d'un ours mal réveillé, au lieu du vouloir-mourir "d'une âme fatiguée des luttes de la vie". )

  • Pelléas et Mélisande

    A l'Opéra Bastille.

    (La scène de la tour est une somptueuse évocation de la nuit d’été, il fait chaud, la fenêtre est ouverte, les corps s’illimitent dans les ténèbres tièdes. Autour de ce pivot, de cette belle saison symbolique et réelle, est-il imaginable de considérer que l’action de la pièce se déroule à peu près sur un an ? La rencontre de Golaud et de Mélisande aurait lieu à l’automne ("la nuit sera très noire et très froide"). Six mois plus tard (à supposer que les noces ont lieu le lendemain de cette première nuit), le couple arrive à Allemonde ("cela fait six mois que je l’ai épousée"). C’est le printemps ("Voyez, j’ai les mains pleins de fleurs", mais les tempêtes d’équinoxe menacent encore "le navire aura mauvaise mer cette nuit"). Peu après, une merveilleuse lumière d’avril illumine la Fontaine des aveugles ("J’ai vu le ciel pour la première fois ce matin"). Les scènes amoureuses entre Pelléas et Mélisande deviennent de plus en plus sensuelles, la série suit une courbe ascendante (la Fontaine, la Grotte, la Tour) puis, passé ce sommet, comme pour l’année, commence le déclin ("le dernier soir" : "j’ai entendu craquer les feuilles mortes"). C’est à ce point que les deux amants se confessent leur amour ; ils le découvrent déjà vieux et paré de son commencement ("On dirait que ta voix a passé sur la mer au printemps", "on a brisé la glace avec des fers rougis"). La suite est précipitée par la mort de Pelléas. Mélisande s’éteint au début de la mauvaise saison ("c’est l’hiver qui commence")  ; sa fille vient de naître, Golaud avait évoqué la maternité de sa femme quelques mois plus tôt.)

  • Tristan und Isolde

    Au Théâtre des Champs-Elysées.

    (L'orchestre souffle comme un boeuf. Veut-il pousser les chanteurs par dessus la rampe ? Non ils restent là, frappés comme des mouches sur une vitre... Tintamarre : on croirait que la nef des deux amants vient de se fracasser contre les fanfares récifs de Cornouailles ; et l’œuvre a fait naufrage. Le roi Marke lève les yeux pour la première fois, après la surprise, sur Isolde infidèle : que lui est-il donc arrivé, à cette "musique sublime" ? Le fatras de l’épave gît sur la scène comme des accessoires de théâtre après la représentation. On se dit que la torche pourra resservir pour allumer le bûcher de Brünnhilde (l’invocation à l’amour y est incluse), l’arme de Melot pour équiper Klingsor. Dans la carène béante, on pourrait encore introduire des scènes entières d'autres opéras de Wagner : à Kareol, Parsifal débarquera du bateau et ses soins seront plus efficaces ; Wotan aura fait ses adieux à Isolde à la fin du deuxième acte et, au troisième, tous sauteront dans le feu, les fautes des uns et des autres ayant été pardonnées ou rachetées adéquatement.) 

  • Didone abbandonata

    Didone abbandonata de Hasse à l’opéra de Versailles.

    Cadrà fra poco in cenere
    il tuo nascente impero,
    e ignota al passeggiero
    Cartagine sarà.
    Se a te del mio perdono
    meno è la morte acerba,
    non meriti, superba, 
    soccorso né pietà.


    (Le dernier air d’Iarba, qui précède immédiatement le monologue final de Didon, remporte un beau succès au point que le public en oublie le da capo et applaudit intempestivement. Didon, abandonnée par Enée, cernée par l’incendie de Carthage, vient de repousser une dernière fois le roi maure, préférant la mort à l’union qu’il lui propose.  Iarba lui prédit la fin de son empire mais l’air lui-même, l’expression et le timbre du chanteur jurent avec la situation dramatique : ce ne sont pas les reproches et la rage d’un roi orgueilleux et avide ; c’est une prophétie détachée de l’heure qui pourrait être redite par un enfant ou par un ange. Elle signale gracieusement que le temps coule sans effort, la mort et l’oubli qu’il apporte sont pour lui choses légères, sa musique s’élève à proportion que les entreprises humaines sombrent. )

  • Parsifal

    Au Théâtre des Champs-Elysées.

    (Le cor anglais, les gémissements du roi, la plainte d'Amfortas, comme un nerf trop sensible qu'on titille malgré soi ; la clarinette basse de Kundry, rauque, amoureuse et insatisfaite ; 

    - Et, ô ces voix d'enfants chantant dans la coupole !

    Or, porté dans des marches harassantes, le corps douloureux de l'orchestre rabâche et s'exténue, jusqu'à la vaste clairière du troisème acte, où le manteau trop usé laisse voir la lumière.)

  • Beethoven

    Neuvième symphonie, salle Pleyel.

    (Ici ce n’est pas le premier mouvement, chaos du début du monde avec ses déflagrations démiurgiques ; ni le deuxième et son trot irrésistible – ma voisine bat sans vergogne le plancher de la salle Pleyel ; c’est le troisième  qui décide la victoire : ce que ni le demi-dieu créateur ni le conducteur d’armée n’avaient pu surmonter s’efface maintenant dans la lumière. La musique procède par éclaircissements successifs, par des oraisons lancées vers le ciel. La montagne est passée. De l’autre côté, les peuples se rassemblent pour le chant de triomphe.)

  • Beethoven

    Quatrième et septième symphonies, salle Pleyel.

    (Il y a aussi dans la Septième une apothéose de la musique militaire, du "concerto di tromboni, di bombarde, di cannoni" de Figaro : le musicien a pris le commandement d’un bataillon idéal. Il est ivre du plaisir de pouvoir à volonté mettre au trot tout un escadron de hussards et de l'immobiliser le pied en l’air, tous dans le même pas. Il déclenche d'un cillement les cavalcades, les charges, les arrêts, les reculades. Dans les moments d'apaisement, le régiment n’est pas sans grâce et sait à l’occasion saluer d’une révérence. Il ne s’agit pourtant pas de défier l’adversaire : il n’y en a pas. L’offensive est unanime. Les cuivres rayonnent, la buffleterie brille, les trompettes tonnent. La bataille n’est pas de ce monde, tout le combat est une danse. Et l'armée ne soulève pas de poussière, sinon le poudroiement de la gloire.)