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  • La Didone

    La Didone, de Cavalli, au Théâtre des Champs-Elysées.

    (Admirable séquence du troisième acte : elle commence par la chasse qui réunit Didon et Enée avant que l'orage les surprenne et les oblige à s'abriter dans une grotte ; la musique redouble l'image de la poursuite amoureuse et de l'amoureuse tempête. Puis, alors que la reine de Carthage repose, Mercure intervient et rappelle au héros quel destin l'attend au-delà de la mer. Enée monologue et se résout à partir ; la lâcheté de son demi-chuchotement ne nuit pas la bouleversante intensité de sa douleur. Cependant Didon se réveille au moment où son amant contrit va enfin achever sa sortie ; la reine se livre à tous les excès de ses sentiments outragés, devant Enée et puis sans lui : tour à tour, impérieuse, suppliante, tendre, enragée, utilisant toutes les ressources de la déclamation et du chant. Mais

    Grido e bruscia il mio core senza pace
    Da quando più non sono
    Se cosa in rovina e abbandonata.

    - - - 

    Nella tenebra,  muta
    Cammini in campi vuoti d'ogni grano:
    Altero al lato tuo più niuno aspetti.

    Cependant, au contraire du finale attendu, à l'instant où Didon se jette sur l'épée d'Enée, la fin heureuse vient se greffer sur l'histoire antique et éteindre le bûcher funéraire. Iarba, soupirant sans espoir de Didon, retrouve la raison, qu'il avait perdue devant les succès de son rival, et sauve la reine : elle-même se relève et acquiesce à cet amour jusqu'alors dédaigné. Le revirement est un peu fort pour notre goût moderne ; et la mise en scène, peut-être à contresens, fait chanter à Didon sa liesse nouvelle d'une voix blanche en jetant de longs regards en coulisse, à cour, du côté où Enée a disparu. Pourtant ce retournement est approprié aux contrastes du livret, à son dédain des transitions, à la brutalité des renversements d'atmosphère, aux collisions de la farce et de la tragédie : la roue endentée de Fortune ne tourne pas sans saccades. Toute proportion gardée, la péripétie rappelle, dans le Couronnement de Poppée du même Busenello, la volte-face d'Othon, oubliant sa passion pour Poppée pour s'attacher à Drusilla. )

  • Yang Kwei-Fei

    Revu l'Impératrice Yang Kwei-Fei de Mizoguchi.

    (Par le jeu des ellipses, le règne de l’impératrice est réduit à peu de chose ; l’ascension et la chute de la favorite se succèdent ; et le film se compose autour de deux séquences en miroir : la rencontre et la séparation ou, si l’on préfère, un peu en deçà et au delà de celles-ci, une apparition et une disparition. Dans la première, la jeune femme (qui est le véhicule innocent de l’ambition de son clan) doit attirer l’attention de l’empereur et le séduire ; plusieurs tentatives sont nécessaires (il ne la regarde pas ; puis il ne perçoit en elle qu’un simulacre ; enfin il l’entend et, la connaissant enfin, la choisit). Mais les adieux, à rebours, sont furtifs, rapides et peut-être inconscients car on ne sait, dans le court moment  où l’impératrice reculant s’éloigne de l’empereur,  si tout deux comprennent qu’ils échangent leur dernier regard (elle oui, lui non, sans doute). Par un entrebâillement, elle continue un temps de le voir sans qu’il le sache, comme à leurs débuts. La scène est dans un lieu étrange et nocturne, mal défini : un campement militaire, un village de toile et de planches, qui sont autant d’obstacles qui cèdent ou s’interposent ; ils arrangent un espace mi-ouvert mi-fermé, sans issue, où les déplacements sont à la fois libres et contraints. Dans ce labyrinthe passe la clameur des soldats rebelles. Ils vont bientôt se présenter devant l’impératrice et l’accompagner au lieu de son exécution (c’est un arbre mort, quelques pas plus loin, où une corde est nouée ; que le bourreau remplace, à la demande de la victime,  par l’écharpe qu’elle appporte). L’impératrice marchant au supplice disparaît de l’image, laissant derrière elle dans le sable ses atours et ses pantoufles.)

     

  • La couleur des ténèbres à la lueur d'une flamme

    (...) je ne sais plus quand, il y a des années de cela, j'avais mené un visiteur venu de Tôkyô dans la Maison Sumiya de Shimabara, et c'est là que j'ai aperçu, une seule fois, certaine obscurité dont je ne puis oublier la qualité. C'était dans une vaste salle qu'on appelait, je crois, la "salle des Pins", détruite depuis par un incendie ; les ténèbres qui régnaient dans cette pièce immense, à peine éclairée par la flamme d'une unique chandelle, avaient une densité d'une tout autre nature que celles qui peuvent régner dans un petit salon. A l'instant où je pénétrai dans cette salle, une servante d'âge mûr, aux sourcils rasés, aux dents noircies, s'y trouvait agenouillée, en train de disposer le chandelier devant un grand écran ; derrière cet écran qui délimitait un espace lumineux de deux nattes environ, retombait, comme suspendue au plafond, une obscurité haute, dense et de couleur uniforme, sur laquelle la lueur indécise de la chandelle, incapable d'en entamer l'épaisseur, rebondissait comme sur un mur noir. Avez-vous jamais, vous qui me lisez, vu "la couleur des ténèbres à la lueur d'une flamme" ? Elles sont faites d'une matière autre que celle des ténèbres de la nuit sur une route, et si je puis risquer une comparaison, elles paraissent faites de corpuscules comme d'une cendre ténue, dont chaque parcelle resplendirait de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Il me sembla qu'elles allaient s'introduire dans mes yeux et, malgré moi, je battis des paupières.

    (Tanizaki, Eloge de l'ombre - trad. Sieffert)

  • Schumann, Schubert, Strauss

    Concert à la salle Pleyel : lieder avec orchestre de Schubert et Strauss.

    (A chaque fois que j'entends le Morgen ! de Strauss, il s'agit en l'occurence de la troisième en quelques semaines, je me demande ce qui peut rendre supportable un tel assaut de mièvrerie, quand bien même il serait merveilleusement chanté comme ce soir ; tant de sucre ne devrait-il pas soulever le coeur, a fortiori dans cette version pour orchestre où le violon solo passe les limites de la décence ? Le charme qu'on peut y trouver, s'il existe, tient peut-être à cette façon de commencer au milieu d'une phrase, par cette conjonction "Und" précédée d'une longue introduction ; la pièce se présente ainsi comme la péroraison d'un vaste discours enseveli, comme la conclusion soudain articulée d'une rêverie longtemps muette ; mais n'est-ce pas là tout bonnement un truc de chanson sentimentale ?)

  • Bach

    Passion selon Matthieu, salle Pleyel.

    (Les parties chorales ne sont pas chantées ici par un ensemble constitué mais par la réunion des solistes, renforcée par un petit groupe. Cependant l’impression n’est pas fondamentalement changée : le grand chœur final semble propulsé, comme ailleurs chez Bach, par quelque vaste machine pneumatique.  Le souffle qu’elle génère trahit, dans ses fluctuations,  la sinusoïde qui résulte de la rotation de tambours invisibles et inaltérables. Et son moteur est plus puissant que les forces humaines qu’elle anime, plus stable que leur élan. La Passion devrait s’achever par une  pierre d’attente et  préparer à l’événement qui lui succède et lui donne son sens. Mais ici la musique semble perpétuer l’entre-deux par son ambivalence : est-ce un appel ? est-ce une berceuse ?  L’instant s’éternise dans le cercle d’une litanie : nous veillons, tu reposes, nous dormons, tu veilles.)

  • Bach

    Passion selon Jean, à la Cité de la musique

    (Le plus étonnant dans la distribution, c’était Jésus : moins sublime, plus combatif qu’à l’ordinaire, très humain quoique ou parce qu’un peu étrange ; dans son face à face avec Caïphe ou Pilate on pouvait presque le soupçonner de morgue ou de vantardise (il ne manque pas de faire savoir qu’il a quelques légions célestes à sa disposition) ; bref pour une fois, dans cette première partie, l’interprète ne chantait pas le rôle comme, on l’imagine, le ferait le Beau Dieu d’Amiens descendu de son trumeau et s’il n’était de pierre.)

  • Dictionnaire abrégé de la fable

    (Cingria, "Vair et Foudres", in Bois sec Bois vert)

    C'est bien agréable, quand on revient dans ce patelin (...), de passer des après-midi entières à se vautrer sur des paillasses -- des sortes de lits de congressistes, il y en a vingt ou trente -- tout en s'intéressant à des lambeaux par-ci par-là d'un immense tas de livres ou de brochures qu'à fait dégringoler la foudre. (...)

    Voici une vieille mythologie minuscule et concise (...) L'ouvrage s'appelle : Dictionnaire abrégé de la fable pour l'intelligence des poètes, des tableaux et des statues dont les sujets sont tirés de l'histoire poétique.

    On lit :

    "Pygmés. Peuple de Lybie. Ils n'avaient qu'une coudée de hauteur ; leur vie était de huit ans ; les femmes engendraient à cinq et cachaient leurs enfants dans des trous de peur que les grues ne les leur vinssent enlever. Ils osèrent attaquer Hercule qui avait tué leur roi, appelé Antée..."

    (Tiens ! Le hasard fait que j'ai ce même ouvrage dans ma bibliothèque. Cela permet de vérifier l'exactitudes des citations. Celle-ci est irréprochable. Ce n'est pas le cas de la suivante:)

    Voici Alcmène, fille d'Electron, roi de Mycènes :

    "Cette princesse avait promis d'épouser celui qui tuerait un renard qui désolait les environs de Thèbes, Amphitryon entreprit de le faire et, pour réussir, il emprunta de Céphale un chien nommé Lélaps" (quand j'aurais un chien, je l'appelerai comme ça) "qui n'avait jamais manqué sa proie. Ce chien poursuivant le renard, Jupiter les pétrifia l'un et l'autre. On les apporta à Thèbes dans cet état, où ils furent honorés dans un musée."

    (Dans mon dictionnaire, il n'y a que:)

    ALCMENE, fille d'Electryon, roi de Mycènes, et de Lysidice. Elle épousa Amphitryon, à condition qu'il vengerait la mort de son frère, que les Thélébéens avaient fait mourir. Tandis d'Amphitryon était occupé à la guerre (etc.)