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  • Don Giovanni (3)

    Don Giovanni, à l'opéra Bastille.

    (« L’air du champagne » prend une toute autre résonance de la pantomime qui le précède : Don Giovanni ouvre une fenêtre de la tour de bureaux qu’il hante et se penche au-dessus du vide. Ainsi dans les écoles de cinéma, on démontre la puissance du montage en faisant voir comment une scène change de sens selon qu’on y ajoute le plan rapproché d’un visage effaré par la terreur. Ici l’air est transformé encore par la rage qui s’empare du personnage et qu’y met le chanteur : elle le conduit de ce seuil où il a fait demi-tour jusqu’aux lèvres de Leporello – qu’il embrasse. Même hiatus dans le finale du premier acte entre la situation représentée, où personne ne danse, et la lettre du livret : mais il est pleinement en accord avec la mise en musique elle-même et son atmosphère de fête affreuse et ratée où le rythme guilleret des pas contredit la duplicité des uns et des autres, leurs apartés et l’orage près de s’abattre.)

  • Tissu d'or

    [...] Léonard a bouleversé la conception du dessin préparatoire et donc de l'invention formelle [aussi] en opérant ce qu'Ernst Gombrich a appelé "un divorce entre le motif et la signification" au terme duquel certaines "images" persisteraient dans son oeuvre et recevraient des noms différents selon le contexte où elles sont utilisées. [...]

    [Ce peut être] une configuration ponctuelle qui revient, en ayant presque l'air d'être un attribut du personnage auquel elle correspond. C'est le cas du pan de tissu doré qui orne la robe de Marie : présent, au niveau du ventre, dès L'Annonciation des Offices, il se retrouve, transformé et décentré, quelques années plus tard dans La Madone à l'oeillet, puis encore autrement, dans les deux versions de La Vierge aux rochers. On serait tenté de lui chercher une valeur iconographique particulière, liée par exemple à la notion de Diva Matrix. Mais celle-ci risquerait fort d'être arbitraire, car si ce tissu d'or a un sens, celui-ci a dû être conçu de façon très personnelle par Léonard.

    (Arasse, Léonard de Vinci)

  • Le voile noir

    Pline rapportait surtout qu'une des inventions inimitables du grand Apelle, le maître incontesté de la "grâce", résidait dans le voile d'atramentum (ou noir) qu'il passait sur le tableau achevé : atténuant l'éclat des couleurs même de près, ce voile, de loin, "donnait, sans que l'on s'en aperçût, un ton plus sombre aux couleurs trop éclatantes". Il se pourrait que la comparaison de Léonard et d'Apelle ait été plus qu'un simple lieu commun et qu'il ait, lui-même, conçu comme un "programme d'action" consistant à tenter de réinventer la science antique de la peinture, en en recréant les attitudes et la technique.

    (Arasse, Léonard de Vinci)

  • Deux îles

    Je suis monté jusqu’à cette terrasse espérant jouir de la vue. Et certes elle commence devant moi comme un beau rivage peint par le Lorrain. Un bois couvre le promontoire ; au sommet seule émerge une énorme bâtisse ronde, couleur  brique. La mer brille au-delà immuable. Mais plus loin les terres s’avèrent incertaines ; elles coulissent comme des panneaux, latéralement des marges vers le centre. Je devine au Sud le long bras de la péninsule de Sorrente ; au Nord, les maisons bariolées de Procida. Ah ! mais le point le plus douteux de cette vision de la baie de Naples, c’est l’île de Capri : est-elle là-bas minuscule, intense et rouge, au ras de l’horizon comme le disque du soleil au moment de se coucher ? Ou bien juste derrière, de même forme, deux fois cornue, mais pâle et immense, s’élevant haut dans le ciel ? Je baisse les yeux : un grand oiseau nocturne s’était posé dans l’herbe ; il vient de s’envoler et ses ailes et sa queue bifide ont formé dans l’air une croix avec, au centre, les grands yeux dardés et le bec qui crie.

  • Absent et plein d'encre

    Au début – cinq, six villages – c’est un train de rentrée d’écoles. Le compartiment et les autres sont pleins de collégiens aux forts roulants accents, qui arrachent des branches, s’assomment, se pilent, s’écrasent. Les sacs volent. « Il faudrait, dit le conducteur (qui les aime), les chloroformer pendant le trajet. »
    Un à un, ils descendent. C’est chaque fois un imperturbable village. A la fin, il n’y en a plus que deux : ils sont moins gais ; plus qu’un : il est absent et plein d’encre.
    Il reste, le temps encore de deux villages, puis il descend.

    (Cingria, Bois sec Bois vert, "Recensement")

  • Berg, Brahms, Debussy, Strauss

    Récital à la salle Pleyel.

    Das ist des Frühlings traurige Lust !

    (Le récital se termine (avant la récréation des bis) par le Frühlingsfeier de Heine mis en musique par Richard Strauss. Alors, tout en faisant mine d’arranger ses mains en porte-voix, se tournant vers le public, successivement aux trois points cardinaux de la salle Pleyel (le quatrième à l’arrière-scène est resté vide), la chanteuse répète le cri antique et neuf de toute éternité, propre à réveiller tous les cadavres, qu’ils soient vieux de trois jours ou de trois mille ans : Adonis ! Adonis !  )

  • Lumière palladienne

    The transcendent feature of Palladio's church interiors is a light that penetrates every corner with its warmth – a light as unique and as Venetian as that created on canvas by his contemporaries Titian and Veronese. It is produced partly by the large number and size of windows, by the orientation of the plan toward the path of the sun and by the dominance of the church over surrounding buildings; but above all, it is the nature of the reflecting surface that endows it with a special cast of humanity, even of sensuality, and differentiates it from the austere effects of equally well-lit late Gothic interiors.

    Whatever is not architecture in these churches is set apart in niches and panels; no sculpture or painted ornament invades the surfaces of walls, vaults or domes. Those surfaces, and most of the half columns, pilasters, and entablatures, except for the parts requiring detailed carving, are stucco over brick, and must perforce be painted. Palladio could control in this way the colour and quality as well as the quantity of light. The matt stucco surfaces reflect the light candidly, and unevenly enough to reveal the human touch, as brush-strokes do in a painting (...) Actually, Palladio's interiors were closer to the spirit of contemporary Venetian painting than if they had been decorated ; both architecture and painting created artificial theatres for the play of natural light.

    (J. S. Ackerman, Palladio)